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Invisibles démarches

150 collégiens de trois collèges de l’académie de Lille ont été interrogés par questionnaire. Ils diffèrent par leur milieu social ou leurs performances scolaires et sont issus d’un collège « ordinaire » où de multiples projets leur sont proposés, d’un établissement de milieu favorisé avec notamment d’une classe bi-langue, et d’un collège classé en dispositif ECLAIR. Ils ont été questionnés, par exemple, sur les activités ou les conditions de réussite qu’ils identifient dans les disciplines ou sur les composantes d’une démarche d’investigation : hypothèse, expérience, structuration. Sept de ces collégiens ont ensuite fait l’objet d’un entretien et, d’Arnaud (élève « décrocheur ») à Mathys (collégien « brillant »), tous ont contribué, par la richesse de leurs propos, à approfondir les résultats de l’analyse des questionnaires.

Des mots communs pour des conceptions différentes

Les recherches que j’ai été amenée à réaliser indiquent une tendance : ces démarches d’investigation nécessiteraient de prendre en considération la discipline elle-même. En effet, elles portent sur des activités disciplinaires et visent des savoirs spécifiques à des disciplines scolaires. C’est ainsi que enseignants de technologie n’agissent pas dans la même rationalité que leurs collègues scientifiques : ces derniers cherchent en effet à résoudre un problème dans l’absolu, tandis que leurs collègues de technologie sont à la recherche d’une solution efficace, qui répond à un certain nombre de critères relatifs. Au contraire des sciences, la technologie accepte une certaine forme de créativité, mais une créativité « raisonnée ». Si en sciences on est à la recherche de preuves, en technologie on cherchera plutot des solutions.

À la lumière du discours des collégiens, il apparait que la fréquence de mise en œuvre de la démarche d’investigation et l’importance de l’autonomie qui leur est laissée ont un effet sur la clarté avec laquelle ils donnent du sens à ce qu’ils apprennent et sur leur capacité à comprendre les activités réalisées dans la discipline, leurs objectifs et les liens entre elles. À l’aune des réponses des élèves, en mathématiques, la démarche devient pour eux une activité préparatoire à la leçon, très limitée dans le temps, et qui les amène à découvrir des propriétés de géométrie. En sciences expérimentales, ils définissent l’expérience de la même manière dans les deux disciplines : elle nécessite un dispositif témoin et le résultat obtenu doit correspondre au savoir validé par la communauté scientifique. En technologie, la démarche prend la forme d’une résolution d’un problème ouvert pour lequel les hypothèses sont des explications ou des propositions de solutions techniques.

Des démarches mieux comprises par les élèves performants

Malgré ces différences, un point est cependant commun : le sens attribué aux différentes activités dépend en grande partie du niveau de performance scolaire des élèves. En mathématiques par exemple, les collégiens les plus performants du point de vue des résultats scolaires disent commencer un chapitre par une activité « qui les amène à la découverte de propriétés ». Pour les élèves en difficulté, c’est un simple exercice et l’aspect de recherche de cette activité ne leur est pas perceptible : les moments pendant lesquels ils cherchent, copient la leçon ou réalisent les exercices sont mêlés et peu identifiables.

Pour les élèves en difficulté, les hypothèses sont « des idées ou des exemples », quelle que soit la discipline et, au contraire des élèves performants, les différents moments des démarches se succèdent sans qu’ils parviennent à construire un lien entre eux. Ils ne discernent pas la finalité des expériences en sciences : au mieux, elles permettent de « voir  » et de « mieux comprendre la leçon », au pire « ça sert à rien ». En technologie, la situation problématique est perçue comme un simple « travail donné » et leurs exposés présentés en classe comme une « leçon, comme dans les autres matières ».

Davantage montrer la signification de nos activités en montrant l’implicite, faire percevoir les spécificités disciplinaires et les liens entre les étapes ces démarches, voici peut-être quelques pistes qu’il nous faut développer afin que les élèves en difficulté puissent faire dialoguer les disciplines et entrer dans les différentes cultures scolaires que nous leur proposons. Les élèves en réussite, quant à eux, y parviennent visiblement sans nous.

Béatrice Legrand
Enseignante de technologie dans un collège du Pas-de-Calais