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Interdisciplinarité : il y a «matière» à éduquer

Le hasard a voulu que la publication du Dossier de veille de l’IFÉ (Institut français de l’éducation) consacré à l’interdisciplinarité coïncide avec la réforme du collège. Il s’agissait d’aborder la littérature de recherche sur l’interdisciplinarité au niveau de l’enseignement secondaire, non en partant du travail en équipe des enseignants, mais plutôt du côté des contenus d’enseignement, de la place qu’occupe l’interdisciplinarité dans le curriculum et de ses liens avec les matières scolaires. Je me suis alors intéressée à tout ce qu’on enseigne dans le cadre scolaire et qui ne dépend pas stricto sensu d’une seule discipline comme l’interdisciplinarité et les « éducations à… » : la citoyenneté, la santé, les médias et l’information, etc. Ce qu’on pourrait appeler des contenus transversaux.

Une pression sociale en faveur des contenus transversaux à l’école ?

L’engouement pour les contenus transversaux n’est pas nouveau à l’école, puisque, contrairement à ce qu’on entend parfois, les finalités éducatives n’ont jamais été uniquement centrées sur la seule transmission de savoirs, mais au contraire tributaires de principes idéologiques : former les esprits des élèves à une certaine culture (au Moyen Âge), leur faire acquérir une ferveur républicaine (à l’époque de Jules Ferry), encourager leur socialisation dès le plus jeune âge, ou encore leur faire acquérir de nouvelles responsabilités dans un monde complexe. L’école doit ainsi, par la formation de futurs citoyens d’une société donnée, répondre à la demande sociétale en faisant évoluer ses matières scolaires ou en intégrant des contenus transversaux dans les curriculums.

Au niveau international, ces contenus transversaux sont diversement intégrés aux curriculums selon les pays et le niveau d’enseignement : soit ils sont rattachés à une matière scolaire, soit ils sont abordés sous la forme de thématiques transversales, soit encore ils peuvent être enseignés comme une matière séparée. La difficulté, parfaitement illustrée par l’éducation au développement durable, réside dans leur complexité et le fait qu’ils sont interdisciplinaires par essence. Ils sont donc souvent oubliés au profit de la matière principale, ou marginalisés s’ils sont traités de manière transversale.

L’exemple en France de l’éducation à la citoyenneté témoigne aussi de cette difficulté. L’éducation civique était une composante de l’histoire-géographie au collège et une matière à part entière au lycée : l’ECJS, l’éducation civique, juridique et sociale. Elle devient à la rentrée 2015 le nouvel enseignement moral et civique (EMC), avec un programme et un horaire dédiés auquel toutes les disciplines contribuent de manière transversale, sans qu’on puisse pour autant affirmer qu’il s’agit bien d’une matière à part.

Interdisciplinarité ou pluridisciplinarité ?

L’interdisciplinarité scolaire, au sens strict, est la mise en relation de plusieurs matières scolaires qui conduit à l’établissement de liens de complémentarité ou de coopération entre elles, en vue de favoriser l’intégration des apprentissages et des savoirs chez les élèves, d’après Yves Lenoir. Les recherches en éducation montrent que les enseignants éprouvent de manière générale des difficultés à mettre en œuvre une réelle interdisciplinarité dans leurs classes et les pratiques qui en découlent relèvent plus souvent d’une pluridisciplinarité, c’est-à-dire une juxtaposition de matières qui restent cloisonnées malgré un objectif commun. On pense par exemple à des matières outils, servant de faire-valoir à une autre matière, plus importante dans la hiérarchie scolaire implicite. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette difficulté : la formation des enseignants du secondaire, très disciplinaire et paradoxalement peu tournée vers l’épistémologie, qui s’intéresse justement à la spécificité, l’histoire et la philosophie des disciplines ; l’interdiction tacite d’aller voir ce qu’il se passe dans les autres matières, comme si des « frontières de verre », d’après Joël Lebeaume, s’élevaient entre elles ; la forme scolaire et les instructions officielles qui, en simplifiant ces thématiques complexes et en les rendant neutres, ne favorisent ni une réelle évaluation interdisciplinaire, ni le débat, ni le développement de l’esprit critique ou de l’engagement des élèves.

On voit ainsi que l’impartialité engagée nécessaire aux enseignants pour encourager l’engagement des élèves à prendre part aux questions vives de leur société nécessite un accompagnement global des acteurs de l’établissement, sorte de microsociété à même d’offrir aux élèves des occasions de s’engager concrètement.

Catherine Reverdy, chargée d’études et de recherche, service veille et analyses de l’IFÉ


Références
Catherine Reverdy, « Éduquer au-delà des frontières disciplinaires », Dossier de veille de l’IFÉ, n° 100, ENS de Lyon, mars 2015.