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Intégrer la BCD aux pratiques de classe

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La lecture d’un album a toujours été pour moi un partage fascinant avec les élèves, instant magique où chacun semble se transporter dans un autre monde, imaginaire.
Après de nombreuses lectures traitant de la construction de la culture littéraire à l’école, j’ai mis en place, dans ma classe, un parcours de lectures sur le thème du loup, projet dont les élèves se sont vite investis. Motivés et intéressés, ils se sont rendus et sentis acteur de la construction de leur culture littéraire ; les moments passés autour de chaque album ont été source d’échanges et de débats où les interactions langagières ont pris une dimension tout à fait enrichissante. L’élève est amené à acquérir et exercer des compétences langagières diverses allant de la prise de parole à l’écoute et au respect de la parole d’autrui ; et d’autres compétences multiples à développer lui permettront d’identifier et de caractériser les personnages d’une histoire, de comprendre un texte adapté à son âge et d’en reformuler la trame narrative dans ses propres mots. C’est aussi savoir décrire quelques personnages de fiction rencontrés dans les albums, nommer, expliquer, et donner son avis.
Il faut faire le pari de la réussite : cette dynamique d’apprentissage de la langue suppose la répétition de situations culturellement incitatives et porteuses de référents.

Des outils pour des enfants apprentis lecteurs

En classe, les élèves disposent d’un carnet d’albums (photo1) qu’ils construisent au fur et à mesure de nos lectures. On a collé sur la même page les photocopies des couvertures des albums entre lesquels nous avons trouvé un lien : les albums de Petit Ours Brun, les albums pour apprendre à compter ou encore les albums qui parlent des « doudous » … Carnet qu’ils regardent et commentent dans des moments informels.
Dans ma classe, le prêt d’albums s’apparente au principe d’une bibliothèque municipale ou associative. Tous les mardis, les élèves empruntent un livre à la BCD ou à la bibliothèque de la classe, pour les plus petits. Ce fonctionnement me permet de rendre les enfants autonomes et respectueux de l’objet livre. En effet, ils choisissent librement un album ou un magazine et doivent retrouver la pochette de papier peint qui présente la photocopie réduite de la couverture ; ils peuvent ainsi ranger le livre à sa place. Un classeur est alors à leur disposition, contenant des feuilles plastiques avec les photocopies des couvertures ; il s’agit pour l’enfant d’identifier le livre emprunté et de glisser son étiquette prénom dans la feuille. Le jeudi au retour, les enfants font la démarche inverse.
J’ose parler d’une initiation des jeunes enfants à la recherche documentaire. Je leur demande de trouver en BCD (photo 2), tous les albums qui racontent une histoire de loup par exemple, en exploration libre ou aidée ; je leur propose aussi de chercher des réponses à cette question « un loup, qu’est-ce que ça mange ? ».

Tisser des liens entre les albums par les « parcours de lecture »

Très vite les élèves ont établi des liens entre les albums : « il y a 3 loups, c’est comme dans les 3 petits cochons », « dans Mademoiselle Sauve qui peut c’est pareil, il y a le Petit Chaperon Rouge »…
Le tableau (photo 2) mis à la disposition du groupe classe est devenu un référentiel, chacun pouvant y retrouver la couverture, le titre, les personnages, le portrait du loup, la trame narrative dictée par les plus grands et pour finir les liens représentés entre les albums. Ce référent construit par le groupe au fur et à mesure de nos lectures, n’a cessé d’évoluer. Mais la question s’est posée du comment mettre en évidence les liens pour qu’ils soient identifiables par tous ? Situation problème qui a suscité un débat intéressant entre les élèves : « mettre des couleurs » a été la solution proposée. Quelles seront leurs limites ?
Lors de la mise en place de ce projet, j’étais loin d’imaginer vraiment qu’à cet âge, un enfant est déjà capable de se construire sa propre culture. Pour qu’il y ait apprentissage, il faut proposer à l’élève une activité qui lui résiste, qu’il peut modeler comme il veut avec des moments de doute et des moments de réussite. Il ne faut pas sous-estimer les capacités des plus petits.

Des outils pour la classe – Programmations et des progressions avec des albums

Dans un premier temps, il s’agissait d’expliquer le projet à la classe : garder une mémoire de nos lectures autour du thème du loup pour pouvoir les partager avec les élèves de GS-CP-CE1 et avec nos familles. Les activités, préparées et diversifiées, se sont ainsi articulées au fil de la programmation mise en place.
– Les lectures intégrales d’albums sur le thème du loup comme « Papa loup », « un loup » accompagnées de débats permettant une compréhension plus approfondie sur le rôle du loup et des différents personnages. Il faut inciter les élèves à prendre du recul par rapport à l’histoire en répondant aux questions « pourquoi » tout en dépassant le « parce que ». Je leur ai ensuite proposé le tableau (photo 3), référent collectif, que nous allions remplir au fur et à mesure de nos lectures. Il comporte plusieurs colonnes qui aident l’enfant à se construire des normes autour de l’album au travers de différentes compétences telles que : identifier la couverture ou le titre, identifier l’image du loup ou du personnage principal ou ses caractéristiques (moralement : gentil, méchant…), repérer des liens entre les albums. Nous avons donc rempli collectivement ce tableau, ce qui a engagé une certaine confrontation puisque deux albums avaient été lus.
– Il s’agissait ensuite pour moi de faire intégrer progressivement l’univers des contes traditionnels de notre patrimoine littéraire. J’ai donc lu intégralement les contes traditionnels « le petit chaperon rouge » et « les trois petits cochons » puis en ai présenté plusieurs versions. Ces différentes lectures et relectures ont permis aux enfants d’établir des analogies et des divergences avec d’autres versions : « moi, maîtresse dans le livre que j’ai à la maison, le loup est tué par le chasseur et on voit plus la grand-mère… ». Nous sommes dans un partage culturel qui prend alors toute sa dimension. Nous avons donc découvert ensemble l’intertextualité.
Au cours de la lecture de « Sauve qui peut » de Philippe Corentin, un enfant s’est levé et m’a dit : « maîtresse, ton livre c’est comme « Tête à claques » c’est le même Philippe Corentin ». Un autre réseau inattendu était en construction : le réseau d’auteur.
– Nous avons ensuite rempli le tableau référentiel en cherchant comment matérialiser les liens qui venaient d’être établis ? Après débat, le coloriage de la même couleur de la couverture a été retenu et d’autres lectures d’albums sur le thème du loup ont suivi : « histoire du loup », « loup ! » avec la même démarche, puis des albums de Geoffroy de Pennart « le loup est revenu », « le petit chapeau rond rouge ».
Ceci est un fragment de ma démarche qui serait encore longue à relater, le principal a été dit sans oublier que celle-ci s’intègre dans une dynamique de projet qui a donné tout son sens à nos lectures.

Exemple de progression

Vous trouverez ci-après un extrait de progression qui explique succinctement la mise en place des séances d’où la nécessité, pour le maître de préparer ses lectures autour de l’album.
Sans ce travail de préparation, il est difficile d’aider les élèves à « tisser des liens entre les albums » et ainsi de les aider à se construire leur propre culture littéraire.

L’objectif est de permettre à l’enfant de « tisser » des liens entre les albums par la mise en place d’activités hiérarchisées dans leur difficulté et les compétences visées et ou mises en œuvre. L’élève apprendra à écouter un récit lu, à comprendre l’histoire et le manifester en reformulant dans ses propres mots, à participer à un échange collectif en acceptant d’écouter autrui, en attendant son tour de parole, en restant dans le propos de l’histoire et à identifier le conte du Petit Chaperon Rouge dans l’album concerné.

La Séance 1 s’appuie sur la lecture de l’album Mademoiselle Sauve-qui-peut de Philippe Corentin. Après présentation de la couverture et lecture linéaire de l’album sans en montrer les illustrations, je pose un temps de silence pour mieux s’imprégner de l’histoire puis j’organise le débat. Il s’agit de distribuer la parole, reformuler si besoin, favoriser les échanges entre les enfants, faire justifier et argumenter si un élève établit le lien avec le Petit Chaperon Rouge. À quel moment le lien a-t-il été fait ? Je note les différentes réponses et je valide le questionnement par la présentation de certaines illustrations. Les enfants commentent librement. Je conclus en donnant l’enjeu de la séance suivante (Je vous relirai cet album demain et on pourra regarder les illustrations).

La Séance 2 débute par la relecture de Mademoiselle Sauve-qui-peut de Philippe Corentin mais le débat est plus ciblé : – Est-ce qu’après cette relecture vous avez appris quelque chose de nouveau ? Je note les propositions au tableau et organise les échanges par lesquels chacun verbalise le moment dans le texte où le lien avec le conte PCR a été fait ; je procède à des relectures de passages si besoin, et je valide aussi par la présentation des illustrations. Des commentaires se font sur le passage qui fait au mieux le lien avec le Petit Chaperon Rouge.

La Séance 3 est le temps de remplir le tableau du Parcours de lectures avec Mademoiselle Sauve-qui-peut. Il faut réaliser des supports à coller sur le tableau : pour les petits, c’est identifier la couverture et le titre de l’album, les coller au bon endroit. Pour les moyens, c’est identifier l’image du loup, en faire la description physique et morale, et résumer l’histoire (trame narrative) avec dictée à l’adulte. Comment matérialiser le lien avec le conte du Petit Chaperon Rouge ? C’est l’occasion de confronter les propositions et de faire un choix.

Favoriser l’approche culturelle à la maison ?

Le prêt est l’occasion de développer un dialogue qui existe trop peu entre l’école et les familles ; sachant que les livres empruntés ont été lus en classe, ils vont donc permettre à l’enfant de partager l’expérience qu’il a vécue à l’école. Par ailleurs, certains élèves ont rapporté des albums de la maison suite à notre recherche en BCD sur le parcours de lectures sur le personnage du loup, partageant ainsi leur propre culture avec celle de l’école. Cette situation est à encourager même si les albums ne correspondent pas toujours à nos attentes.
Il est important que ces pratiques culturelles se construisent entre l’école et la maison ; elles permettront ainsi à chacun à partir de son vécu d’écolier, puis d’étudiant, et nous en faisons le pari dans sa vie d’adulte, de se sentir à l’aise et autonome dans tous ces lieux qui accueillent le livre.

Agnès Pereira, Adhérente AGEEM de la Meuse, Professeur des Ecoles et Maître Formateur , Ecole maternelle Jean Errard à Bar Le Duc.


Bibliographie

– « Apprentissage de la langue et conduites culturelles » Devanne, Corbenois, Dupuy, Martel (Bordas).
– « Lire la littérature : pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? » Catherine Tauveron (Hatier pédagogie)
– « Apprentissages progressifs de l’écrit à l’école maternelle » Mireille Brigaudiot (INRP Hachette Education)
– « Ecole et Culture : inscrire la culture dans la réussite personnelle et scolaire » Actes du 77° Congrès AGIEM de Martigues du 27 au 30 juin 2004


Intégrer la BCD à mes pratiques de classe, en images…

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Photo 1 : le prêt : faire le choix d’un album en fonction des bacs de la BCD
Ou thème proposé par la maîtresse

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Photo 2 : le carnet d’albums

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Photo 3 : le tableau référentiel : le parcours de lectures