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Intégration d’enfants et d’adolescents autistes en école primaire et au collège

En 1881 et 1882, Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, remanie profondément l’enseignement primaire. L’instruction primaire devient gratuite et obligatoire pour les garçons et les filles âgés de 6 à 13 ans. Chaque ville et la plupart des villages français vont accueillir les instituteurs et les enfants du pays. Les instituteurs s’aperçoivent rapidement que les écoliers n’ont pas tous les mêmes aptitudes et que certains d’entre eux ont beaucoup de mal à suivre l’enseignement. Ce constat amène l’Etat à réfléchir à une solution pour résoudre ce problème d’inégalité scolaire. L’Etat fait appel à un psychologue, physiologiste et pédagogue français, Alfred Binet. Il lui est demandé d’étudier les moyens de sélectionner les écoliers retardés dans le but de mieux les éduquer. C’est ainsi que sont nés les célèbres tests qui ont abouti au fameux et QI et surtout qu’ont été créées les « classes de perfectionnement » dont la première s’ouvrira en 1907 avec le soutien de la Commission ministérielle pour les anormaux (voir l’historique de Jacques George) .

Les classes de perfectionnement

La classe de perfectionnement est conçue comme une structure d’accueil préparant à la réintégration dans les classes normales. Binet se chargera lui-même de recruter, au moyen de son test, une cinquantaine d’enfants déficients, d’organiser la conduite de leur enseignement, de leur éducation et aussi de rechercher des aptitudes jusqu’alors méconnues (Zazzo, 1993).
« L’enseignement collectif ne doit pas être rejeté complètement, il a des avantages dont on ne peut se passer car sans lui il n’y a ni imitation, ni émulation, […] ces excitants si puissants du progrès. »
Grâce à la loi du 9 avril 1909 pour la scolarisation d’enfants arriérés, les classes de perfectionnement (futures classes d’intégration scolaire, CLIS) donnent un premier cadre institutionnel à cette éducation spéciale. Ces structures rencontrèrent un vif succès car on cherchait déjà à éviter l’enfermement des enfants et adolescents dans les hôpitaux. Des enseignants commencèrent à être formés en éducation spéciale. Les classes de perfectionnement étaient déjà des classes de l’institution scolaire dans l’institution scolaire.
En 1978, le décret n°78-441 met « à la disposition des Etablissements spécialisés pour enfants handicapés des maîtres de l’enseignement public ».
Dès lors, pour des questions pratiques, un certain nombre d’établissements décident de délocaliser les classes pour les implanter dans des écoles ordinaires. Elles deviennent alors des « classes intégrées ».
Chaque classe a sa particularité au niveau du handicap. Certaines vont accueillir des enfants atteints d’un handicap mental, d’autres accueilleront des enfants souffrant d’un handicap auditif, certaines concernent le handicap visuel ou encore, moteur.
Les classes intégrant des enfants atteints d’autisme ou de troubles autistiques apparaissent plus tardivement. Elles vont se développer en même temps que les associations de parents d’enfants autistes. Le mouvement de ces associations sera d’ailleurs à l’initiative du projet d’intégrer des enfants autistes dans des écoles ordinaires.
La première classe intégrée pour enfants autistes ou atteints de troubles autistiques, en France, a été créée en 1984 dans le département de l’Essonne. L’administration la décrira comme une « classe de perfectionnement adaptée à un maximum de trois enfants autistiques ».
Dès lors, de nombreuses classes ont vu le jour. Fin 2003, l’« Association de professionnels autisme et intégration » (APAI) comptabilisait 68 classes et UPI (unités pédagogiques d’intégration) en France.

Une structure d’intégration pour les autistes

Les deux classes d’intégration avec lesquelles nous travaillons ont été créées en 1992 dans le département de la Loire pour une durée expérimentale de 4 ans. En 1996, les services départementaux de l’Education nationale du département, la mairie de la ville et l’Institut médico-pédagogique (IMP) du secteur établissent une convention fixant les conditions et les modalités d’admission et de scolarisation des enfants dans les deux classes, ainsi que les modalités de collaboration entre les différents partenaires. Ces partenaires sont essentiellement les personnels du « Service d’éducation, de soin et d’aide à domicile » (SESSAD) qui est rattaché à l’IMP, les enseignants et les services externes.
Ce personnel se compose donc de deux enseignants spécialisés répartis dans les deux classes aménagées au sein de l’établissement scolaire, de deux éducatrices qui travaillent avec les enseignants spécialisés dans ces mêmes lieux, et d’une équipe de soin composée d’un pédopsychiatre, d’une psychologue, d’une orthophoniste et d’une psychomotricienne.
Cette première expérience en école primaire s’est ensuite prolongée par l’entrée au collège de ces jeunes enfants en Unité pédagogique d’intégration (UPI). Cette UPI est installée au sein même du collège. Ces préadolescents et adolescents autistes ou à troubles autistiques alternent leurs journées entre les cours de l’UPI et les cours du collège ordinaire. Une éducatrice du service de soin les suit dans leur intégration à la fois scolaire mais également autour de toute l’autonomie et l’intégration sociale que nécessite cette nouvelle structure (bus, changement de classe, Centre de Documentation et d’Informations…). Les activités sportives sont pratiquées en cours d’EPS avec les autres jeunes du collège.
Nous avons donc actuellement sept enfants en classe d’intégration en école primaire et six adolescents en UPI.
Les enfants accueillis en classes d’intégrations appartiennent à la catégorie, définie par les classifications, de l’autisme infantile. Ces enfants sont fortement encadrés tout au long de leur scolarité du primaire. Notre petite structure nous permet d’avoir quasiment un adulte pour un enfant. Cette particularité institutionnelle met de leur côté de nombreux avantages pour leur bon développement. Chaque enfant débute sa scolarité selon un programme personnalisé réétudié régulièrement en fonction de son évolution. En amont du fonctionnement défini par la classe, ces enfants sont intégrés au sein d’une structure scolaire ordinaire ce qui signifie que toutes les activités pratiquées au sein de l’école, mais en dehors de la classes, sont communes : cantine scolaire, récréations, sorties scolaires. Un de nos enfants a d’ailleurs des activités en classe ordinaire.

Un apprentissage de la vie

Ce fonctionnement offre non seulement aux enfants autistes d’être en contact avec d’autres enfants du même âge qui viennent de temps en temps les solliciter en récréation mais aussi à ces enfants « normaux » d’apprendre la différence et le handicap. Grâce à cette structure, nos enfants autistes accèdent d’une part à l’acquisition de compétences scolaires et d’autre part, à l’acquisition de compétences sociales qui leurs seront d’une grande vertu pour leur développement futur vers leur vie d’adulte.
Six enfants de notre centre de soin ont d’ailleurs vécu ce parcours scolaire du primaire et ils sont maintenant répartis dans les classes du collège dont nous dépendons. Leur regroupement se fait en UPI dont un en Segpa. A l’entrée au collège, ils mettent en place de manière plus intensive leurs acquis quant à l’autonomie (changement de salle, trajet en bus et non plus en taxi…) et la socialisation (intégration en classe ordinaire).
Au cours de leur développement nous avons pu constater chez ces adolescents une évolution fortement positive de leur pathologie. A présent, ces collégiens, avec le diagnostic infantile d’autisme, sont dans l’interaction. Ils sont capables de nous raconter leurs journées sur un mode qui ne se limite pas à une description mais avec un vécu. Des amitiés entre élèves de l’UPI se forment. Les activités organisées par l’éducatrice jouent un grand rôle dans ce développement relationnel. Certains sont même capables de se projeter dans un avenir à cours terme (par ex, le choix du stage de classe de 3e). Bien entendu, de nombreux troubles persistent (troubles du regard, difficultés relationnelles avec les adolescents « normaux »…) mais leur intégration est grandement porteuse d’espoirs pour leur avenir et pour les parents. Ces jeunes ont à présent une relation avec leurs parents et leur famille.

Dans ce type de structure la part scolaire et éducative est la plus importante. Notre rôle de psychologue est de superviser le bien être de l’enfant dans cette évolution, de l’aider à affronter cette rencontre avec le monde extérieur et avec les exigences de la société, donc de les aider dans leur intégration psychosociale et d’aider la famille et l’équipe du service à accompagner l’enfant dans son développement. Même si notre expérience a encore peu de recul, nos constats sont plus qu’encourageants, tous ces adolescents et également leurs parents semblent satisfaits de cette situation. Nous avons une enfant qui a évoluée vers une classe de 6e ordinaire et un adolescent qui est entrée en formation professionnelle après ses années de collège. Ce dernier est une référence pour les suivants. Quand ils le croisent, ils s’identifient et se projettent à sa place.

Cette expérience nous a permis de définir l’ensemble des avantages de ce type de fonctionnement. Cependant, il est important de noter que notre structure n’est pas l’unique influence au bon développement de ces enfants. L’éventail du spectre autistique ne permet pas les mêmes perspectives d’avenir pour chacun de ces enfants. Une atteinte trop profonde de la pathologie sera plus difficilement porteuse d’espoir (Samyn, 2004). Enfin, le lien entre les parents et notre service joue un rôle primordial. Dans cette structure, lorsque nous parlons de travail d’équipe, les parents sont la base.

Isabelle Samyn, psychologue, Enseignant-chercheur.


Bibliographie
Binet A., « Les nouvelles classes de perfectionnement », Bulletin de la société libre pour l’étude psychologique de l’enfant, 1907, n° 41.
Binet A., Simon T., « Application de méthodes nouvelles au diagnostic du niveau intellectuel chez les enfants anormaux d’hospices et d’écoles primaires », L’année psychologique, 1905, 11, p. 1991-244.
Samyn I., « Des Autismes : Premières distinctions entre Autisme Précoce et Autisme à Début Tardif », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2004, Vol. 52, n° 5, p. 337-342.
Zazzo R., « Alfred Binet (1857-1911) », Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), 1993, vol. XXIII, n° 1-2, p. 101-112.


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