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« Il faut arrêter de tout changer tous les quatre matins »

L’étude Timss publiée en décembre 2020 mesure les performances en mathématiques et sciences des élèves de CM1 et de 4ème. La France s’y classe avant-dernière sur quarante-neuf pays. L’analyse de Sébastien Planchenault, président de l’Apmep (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public).
Comment analysez-vous les résultats de Timss ?

Il n’y a pas de surprise par rapport à ce0 que l’on a observé dans les dernières enquêtes publiées (PISA 2018 ou Cèdre cette année) qui montraient déjà une fragilité en maths chez les élèves français. Et vu la continuité de la politique actuelle avec ce qui prévaut depuis des années, il n’y a pas de possibilité d’inflexion. Il y a eu une multiplicité de réformes et contreréformes, mais pas de modification majeure dans l’enseignement qui aurait permis un rebond. Le plan Villani-Torossian, comme celui de Jean-Pierre Kahane en 1999, était intéressant, mais si on en a tenu compte, c’est à moyens constants. On reconnait qu’il y a un problème, sans donner les moyens de le pallier.

Il y a un manque de formation des enseignants de mathématiques à l’accompagnement des élèves. On aborde des notions complexes, notamment le calcul, mais qui paraissent évidentes aux enseignants. Et ce n’est pas facile d’enseigner un élément sur lequel on ne perçoit pas les difficultés, parce qu’on ne les a pas rencontrées soi-même. C’est aussi une matière pyramidale où les notions s’empilent sur les autres. Quand on rate une marche, comme l’année d’après on ne reprend pas la notion, la marche s’agrandit. Un travail par cycles serait bien plus positif, mais on fait marche arrière aujourd’hui par rapport à la période précédente.

Enfin, toutes les études menées en psychologie de l’adolescent et les neurosciences affectives montrent très bien la part des représentations dans les apprentissages, les effets pervers de la perception de l’élève sur un enseignement, qui peut provoquer un blocage. Le fait que l’on dise que les maths ne sont pas accessibles à tout le monde, qu’elles soient une matière élitiste permettant de sélectionner, tout ce discours sur leur difficulté, cela crée une pression sociale sur la discipline. C’est un frein énorme quand un élève est convaincu qu’il ne va pas y arriver.

On a dit que ces résultats tiendraient à la faible connaissance des mathématiques chez les professeurs des écoles…

Le problème des professeurs des écoles, c’est leur manque de confiance en leur capacité à faire. On entend beaucoup qu’ils ont un bagage littéraire et qu’ils seraient donc incapables d’enseigner les maths. Mais on peut aussi avoir fait des études scientifiques et être mauvais enseignant en maths ! La véritable question, c’est le plaisir à enseigner une discipline. Être réconcilié avec une discipline est indispensable pour faire travailler les élèves. Or, on a mis une telle pression sur les professeurs des écoles littéraires qu’on les a convaincus qu’ils ne sont pas capables, et cela les a inhibés. Ils recherchent donc des méthodes clés en mains, à appliquer mécaniquement, parce que « ça marche ». C’est rassurant, mais si ça n’est pas réfléchi, ça peut provoquer des effets pervers.

On vante ainsi la méthode de Singapour, en oubliant que ce n’est pas la même population, pas les mêmes coutumes, que les deux pays n’ont pas la même taille. On oublie aussi de dire que la plupart des théories derrière cette méthode viennent de didacticiens français des maths. Car, si les élèves français ont des difficultés en maths, on a de très bons mathématiciens en France et de très bons didacticiens des maths. Mais la diffusion de la recherche se fait peu, comme pour les autres disciplines. Ça doit passer par la formation.

Peut-on rejeter la faute sur les programmes de 2015, comme on l’a lu également ?

Au contraire, les programmes du cycle 3 de 2015 ont été écrits avec des didacticiens des maths, ça ne se faisait pas auparavant. Et les progressions sont cohérentes, avec un travail par cycle, qui est nécessaire pour les maths en particulier.

Le problème réside plutôt dans l’enchainement des modifications de programmes et des recommandations quant aux méthodes, avec un sentiment de valse incessante. On en est à un point où les enseignants ne savent plus quels sont les éléments primordiaux. L’acquisition des nouveaux programmes, les changements de pied fréquents, les obligations administratives, tout cela fait que les enseignants n’ont plus de temps pour réfléchir à leur enseignement. Il faut arrêter de tout changer tous les quatre matins pour satisfaire un calendrier politique. On n’est plus sur le temps de l’éducation et des apprentissages, c’est pesant pour le système éducatif. Il manque une véritable réflexion de fond sur ce qu’on attend de l’école pour aboutir à quelque chose de durable.

Concernant les programmes en eux-mêmes, il y a des choses intéressantes à faire. Depuis les maths modernes, on n’a pratiquement pas changé les programmes : est-ce qu’ils ont une cohérence, du sens pour les élèves ? Quels sont vraiment les fondamentaux en maths ? Cette réflexion n’est pas menée. Quant aux programmes du lycée, ils ont été faits en un an, alors qu’il faut du temps, des échanges avec différents partenaires, avec les enseignants de terrain et les chercheurs.

Quelles sont les propositions de l’Apmep ?

Il faut commencer par encourager la formation et reconnaitre les compétences professionnelles acquises, même en autoformation. Il faut donner des moyens aux enseignants pour acheter des livres, de la documentation, pas seulement pour acheter du matériel informatique.

Et puis, je ne vais pas dire qu’on ne voudrait pas avoir plus d’heures pour les mathématiques, mais en fait, le plus important, c’est d’avoir moins d’élèves et plus de temps pour mieux traiter les notions. Moins d’élèves parce que la massification de l’enseignement a abouti à ce qu’on ait un public très varié dans les classes. Ce qu’on demande aux enseignants de faire avec des élèves aux profils si différents, c’est mission impossible s’ils sont trente en classe. Et il faudrait avoir moins de notions au programme mais les travailler en profondeur.

Il faut une véritable démocratisation. Mais aujourd’hui, la spécialité « mathématiques » en lycée est choisie statistiquement par des garçons, de familles aisées, scolarisés en centre-ville.

Qu’est-ce qu’on veut pour les élèves ? Qu’ils soient des encyclopédies ou des élèves performants, qui prennent plaisir à faire des maths, qui ont acquis durablement les notions ? Est-ce que la forme scolaire telle qu’on la pratique aujourd’hui en France permet de faire des maths et d’y réussir ?

Pour sa part, l’Apmep a lancé avec l’ensemble des IREM (Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques) et la CFEM (Commission française pour l’enseignement des mathématiques) un travail sur l’enseignement des mathématiques au XXIe siècle.

Propos recueillis pas Cécile Blanchard

Un article de notre n°566 :

Co-intervention : à deux dans la classe
L’image d’Épinal veut que l’enseignant soit seul dans sa classe face aux élèves. Or, de nombreuses pratiques de co-intervention, régulières ou ponctuelles, existent au sein des classes. Ce dossier s’intéressera donc à la co-intervention et au coenseignement, à ces espaces-temps où on est deux en classe avec les élèves.

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