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IUFM, pourquoi tant de haine ?

La place de l’université dans la formation des enseignants : querelle de préséance ou querelle d’intérêts ?

Ce fut toujours la mission principale des universités que de former les enseignants, ou plutôt (la nuance est forte, même si elle est subtile) de leur enseigner le savoir. La licentia docendi (licence d’enseignement) est pensée comme une licentia dicendi (permis de professer). Tout le monde aura compris qu’il y a une violence plus que symbolique à retirer à l’université ce qui fait son essence et ce, d’autant plus qu’un candidat au CAPES ou à l’agrégation rapporte bien plus qu’un malheureux étudiant de DEUG… Car il faut bien parler gros sous. Les crédits sont attribués aux IUFM qui les reversent aux universités dans le cadre de la préparation disciplinaire des concours du second degré : cela place symboliquement les universitaires sous la coupe des instituts universitaires, considérés comme les rejetons disqualifiés des écoles normales… Provocation insupportable !

Bien sûr, officiellement, on n’entendra jamais évoquer cette revendication financière et tout le monde garde un silence poli quand vous faites remarquer que les futurs professeurs des écoles sont aussi concernés puisqu’il leur faut détenir une licence pour concourir et que plus de la moitié de ceux qui réussissent le concours ont une maîtrise et plus. Le cordon ombilical ne lie que le supérieur et le secondaire !

Violence et démesure

Les IUFM font l’objet d’attaques violentes et sans nuances (« Une entreprise, heureusement peu réussie, de décervelage systématique des futurs professeurs » selon l’Association Reconstruire l’école). Les dérives les plus caricaturales et les plus marginales sont présentées comme le cœur même de la formation dispensée qui ne semble avoir pour but que de « massacrer » les jeunes et brillants esprits que l’université s’est vue contrainte d’abandonner dans les mains de barbares, jaloux et incultes.

Ce discours prend sa source aux rumeurs les plus diverses et s’alimente d’une complicité avec quelques obligés, généralement une minorité d’agrégés, qui n’ont guère mis les pieds dans les IUFM que pour signer leur procès-verbal d’installation et « subir » la trentaine de jours de formation imposés dans les murs de l’IUFM, temps somme toute relativement court, ce qu’oublient de noter la plupart des auteurs de scénarios catastrophe qui agrémentent nos lectures de rentrée… Ce sont les mêmes qui se dispensent du mémoire professionnel et vont vivre les quelques années d’enseignement secondaire comme un purgatoire avant de retrouver les chaires de l’université pour y être chargés de cours. Plus tard, quand leur tour sera venu, ils enseigneront sans se remettre en question dans cette université dont les deux premières années se soldent par l’échec ou le décrochage de cinquante pour cent des étudiants ! Entendront-ils alors les plaintes de leurs victimes comme ils souhaitent aujourd’hui qu’on écoute les leurs ?

Tous ne se comportent pas ainsi, heureusement. Dans certaines disciplines, cent pour cent de mémoires professionnels sont rédigés et soutenus.

La formation au quotidien

Chaque année, trente à quarante mille stagiaires sont formés dans les IUFM et les établissements où ils sont en stage. Ils deviennent professeurs des écoles, des collèges, des lycées, y compris professionnels et technologiques. Si l’entreprise était aussi violente ou pernicieuse que quelques-uns le disent ou l’écrivent dans les médias, une vaste révolte aboutirait à la fermeture de ces antichambres de l’enfer concentrationnaire. De fait, les offensives à répétition que mènent les partisans de la suppression des IUFM risquent de se transformer en guerre de tranchées. Or, cela empêcherait de voir les défauts réels de cette construction à la française, défauts dont certains n’ont rien à voir avec la formation des enseignants.

Le premier débat porte sur le métier d’enseignant, sur la place des savoirs dans la formation. Dire que savoir ne suffit pas pour savoir enseigner n’a jamais signifié que le savoir n’était pas nécessaire. Dans les IUFM, nous sommes loin de l’art d’apprendre à ignorer (reprise du titre d’un ouvrage de Xavier Darcos qui a disparu de toutes les bases bibliographiques, y compris Electre) quoiqu’en disent leurs détracteurs. Ayant passé sept ans dans un IUFM et au cœur d’un réseau qui couvrait un quart de la France (le pôle sud-est), j’ai pu constater que le souci premier des formateurs est bien de se poser la question d’une réelle transmission des savoirs. Je n’aurai pas la place de développer le triptyque sur lequel Alain Lerouge et moi-même avons essayé d’articuler la formation :
– une acquisition sans faille des connaissances (fini le joyeux temps des impasses où il suffit d’obtenir la moyenne pour avoir son diplôme) ;
– une compétence didactique (ou, si vous préférez, comment faire passer nos connaissances) ;
– un art de la conduite de la classe dans l’établissement d’affectation (ce que l’on appelle, depuis la plus Haute Antiquité, la pédagogie). Je renverrai le lecteur désireux d’en savoir plus à notre ouvrage [[Étienne R., Lerouge A. (1997). Enseigner en collège ou en lycée : repères pour un nouveau métier. Paris : Armand Colin.]].

IUFM, Université : une alliance possible

Ne pourrions-nous, à l’instar de ce qui se fait dans la majeure partie des pays développés, envisager de confier à l’université la formation des enseignants ? Bien sûr, au Québec et à Genève, pour ne donner que ces deux exemples, cette mission est confiée aux facultés de sciences de l’éducation et ce n’est pas la catastrophe pour autant. En France, la seule explication plausible d’une formation dans une institution spécifique tient à l’héritage des écoles normales qui ont fourni bâtiments, bibliothèques et personnels rompus à la formation des enseignants. Mon expérience actuelle de l’université me conduit à approuver le schéma proposé en 1989 : la collation des grades et des diplômes devrait rester l’apanage de la fac alors que la préparation au métier d’enseignement, l’accompagnement des débuts dans le métier méritent une institution qui leur soit consacrée. Je ne verrais même que des avantages à ce que l’on inclue davantage de recherche dans la formation des enseignants. C’est le chantier, entre autres, du mémoire professionnel que l’on peut rapprocher davantage de la maîtrise et la présence obligatoire d’universitaires dans les jurys permettrait d’aller vers un diplôme qui reconnaîtrait, enfin, aux enseignants leur véritable niveau : bac + 5 (3 pour la licence et 2 pour la préparation puis la formation liées au concours). Voilà un projet bien concret de valorisation de la formation des enseignants.

La question de l’affectation des nouveaux enseignants : véritable obstacle à la formation

Enfin, il est un sujet qui dérange mais qui hypothèque gravement la lecture des premières années d’enseignement. C’est l’affectation des professeurs qui se fait systématiquement dans une logique folle de barème fondé sur l’ancienneté : en France, vous pouvez préparer le concours à Créteil, être formé à Montpellier et affecté à Amiens ! Le bizutage des nouveaux enseignants aboutit à leur donner ce qui reste, parfois provisoirement pour quelques mois, une année au maximum. Or, si l’on se forme sur le terrain et en centre de formation (c’est l’alternance), il faut reconnaître qu’entre ce que découvre le stagiaire au lycée Joffre de Montpellier et les classes de lycée professionnel de Gagny (cas authentique comme tous ceux qui sont cités dans cet article) dont il aura la responsabilité sur une durée d’au moins trois ans, les transpositions ne sont guère aisées.

Pendant des années, l’équipe de Montpellier a essayé de construire des groupes de stagiaires du second degré cohérents et complémentaires en coopérant avec une base stable de conseillers pédagogiques, véritables formateurs de terrain [[Bouvier A., Obin J.-P. (1998, dir.). La formation des enseignants sur le terrain. Paris : Hachette.]] dont la formation devrait être une des missions essentielles des IUFM. Cette belle logique partant du terrain, qui a la faveur des stagiaires et de leurs tuteurs, a toujours été contredite par les rentrées manteau d’Arlequin : on affecte des stagiaires sur les trous à boucher et non en fonction des besoins et ressources en formation. Il faut dire et souligner que les stagiaires, du premier et du second degré, sont devenus des pièces rapportées qui cachent la grande misère de notre système éducatif incapable de se réformer en fonction des besoins d’éducation des élèves et de formation des professeurs, article premier de la si décriée et méconnue loi d’orientation du 10 juillet 1989 : « L’éducation est la première priorité nationale. Le service public d’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances. » Pour moi, la formation n’est pas prioritaire au cours de cette première année d’exercice du métier puisqu’on lui demande de faire de la bonne soupe avec peu d’argent.

Donnez-nous, sur une académie moyenne comme celle de Montpellier, six cents emplois de stagiaires pour le premier degré et autant pour le second, des emplois pas trop difficiles (j’ai vu une stagiaire exercer dans une classe de cinquième préorientée en quatrième technologique !), qu’ils occuperont pendant les cinq premières années de leur carrière puisque nous savons que c’est le temps nécessaire pour une formation efficace. Cela ne mobiliserait qu’un dixième des postes. Permettez-nous de bâtir un réseau de conseillers pédagogiques formés et rémunérés avec un contrat en bonne et due forme, donc ne bénéficiant pas d’indemnités et de bonification indiciaire. Développons des logiques de formation d’adultes fondées sur les critères et exigences de la recherche appliquée à l’expérience professionnelle [[Ce que nous essayons de faire dans un DESS intitulé Conseil et formation en éducation cohabilité par le ministère entre l’IUFM et l’Université Paul Valéry de Montpellier. N’est-ce pas remplacer la haine par la coopération ?]]. Nous verrons alors que les procès faits aux IUFM sont plus liés au renoncement de formateurs découragés par la priorité donnée aux moyens d’enseignement ou aux compromis issus de l’histoire qu’à une analyse pertinente du dispositif imaginé, qui reprend ce qui se fait ailleurs et suit les évolutions générales de la profession enseignante. Il est possible de revoir la formation avec les stagiaires, de l’inscrire dans le début et le déroulement de leur carrière. Ce n’est pas vouloir faire disparaître les avantages liés à un haut niveau académique qu’il y aura à maintenir, voire à élever tout au long de la vie. Ce n’est pas non plus chercher à faire disparaître les IUFM mais mettre en place autre chose que des parlottes plus ou moins magistrales pour traiter les attentes authentiques de jeunes collègues. Ils ne refusent pas l’entrée dans le métier mais expriment un malaise persistant quant à leur insertion dans des écoles et des établissements qui, plutôt que de les voir défiler année après année, ont tout intérêt à les intégrer dans leur projet de développement [[Tozzi M., Étienne R. (2001). Quelle identité professionnelle pour notre métier ? Montpellier : CNDP-CRDP, collection Documents, Actes et Rapports pour l’Éducation.]].