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« Houille ! » (Où enseigner est une situation-problème)

À quoi l’on tient ? Pour quoi l’on roule ? Par quoi l’on coule ?
Il y a les profs dont le carburant, le combustible est le sens ou l’histoire. Ceux pour qui la quantité est primordiale… ou bien la connaissance de la langue, la culture littéraire, l’écriture, l’expression orale ou corporelle… Chacun son suc, son essence.
Mais les questions suscitées, un matin, nous touchent bien plus profondément. Ce n’est plus alors notre simple interprétation de la « matière » qui fait question… mais bien ce qui fait que nous sommes là, à gesticuler et baragouiner devant une moyenne de vingt ados qui n’ont pas grande envie d’être là ou se demandent ce qui les attend encore aujourd’hui.
D’ailleurs, il en faut peu pour que, nous-mêmes…
La douleur d’apprendre… Détour personnel : depuis longtemps, nager et l’eau sont deux obstacles à mes escales balnéaires. Il y a deux ans, je me suis décidé à prendre des cours à la piscine. J’ai découvert que j’aimais l’eau, mais ne savais pas nager. Puis, j’ai commencé à nager, et j’ai découvert que je craignais les profondeurs, de quitter le bord ou la berge.
Il suffit de cela. D’un lieu où l’on sent que son savoir tient à peu de chose, qu’il peut être rapidement submergé par l’imprévu et, surtout, surtout, par l’angoisse de ce que l’on s’imagine. Et nous voilà, élèves tétanisés terrorisés. Immobiles. À chercher à toute force à éviter la difficulté.
Alors, pourquoi avons-nous tant de mal à en tenir compte pour les élèves dans nos classes ?
Une ancienne collègue, partie du collège bien bruyant, remuant et fatiguant où j’enseigne, me disait : « Je fais enfin ce pourquoi j’ai été formée. » Même si je peux la comprendre, et être content pour elle, je n’ai pu m’empêcher de me demander : est-ce qu’enseigner c’est faire ce qu’on attend soi-même, de la manière que l’on attend de vous à ceux qui l’attendent ? S’agit-il de répéter des attendus ?
Apprendre, n’est-ce pas justement franchir un obstacle, dépasser une gêne, découvrir évident ce que l’on pensait illogique, réaliser l’impossible, transformer une contradiction en paradoxe, déjouer un piège ? Bref, rien que de l’inattendu !
Et puis aussi, en fait, dans tout cela, retrouver une définition de ce que des pédagogues – pas si « gogos » et démagogues, pas si naïfs ou crédules – avaient nommé « situation-problème ».
Donc par quoi l’on coule ? Parce que l’on ne veut pas affronter : une situation-problème. Là où repose notre inexpérience.
Pour quoi l’on roule ? C’est sans doute la question que l’on touche quand on en vient à atteindre la suivante : à quoi l’on tient ?
Quel est le combustible, la houille qui nous fait avoir des vapeurs ou turbiner ? Et si c’était cette peur, cette douleur – sans dolorisme complaisant ? Un espace où ça ne nous fait pas plaisir de se découvrir « pas à la hauteur », ignorant… et justement capable d’apprendre !
Hélas, ce n’est ni ce qui se dit, ni ce qui se trame aujourd’hui de et au collège. Méfiance et discrédit sur les temps de paroles et d’échanges. Les possibilités de se former ailleurs et de se cultiver se raréfient. Les directions se désintéressent de la pédagogie au profit d’une gestion des flux. La critique même donne le mauvais œil, ou plutôt l’on garde un œil sur les velléitaires dans ce domaine.
Pris dans tout ceci, comment voir au-delà du grand H de notre houille… son pouvoir créateur ?

Laurent Carceles, professeur de français à Aubervilliers.