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Haro sur la violence ?

MESURES. Promis fin octobre 2018 par le ministre Jean-Michel Blanquer, après l’agression d’une enseignante à Créteil, et maintes fois reporté, le plan violence a été annoncé fin aout 2019.

On se souvient de cette agression filmée, abondamment relayée par la presse et les réseaux sociaux, d’une enseignante par un élève qui la menaçait avec une arme factice. C’était en octobre 2018, et le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’en était ému et avait annoncé un ambitieux « plan violence », annoncé au départ pour décembre 2018. Il a finalement été publié, sous la forme d’une circulaire, le 3 septembre dernier, après une présentation lors de la conférence de presse de rentrée du ministre le 27 aout.

Cette affaire avait suscité une vague de protestations sur les réseaux sociaux contre l’absence de soutien de la hiérarchie aux enseignants victimes de violences, protestations accompagnées du mot clé #pasdevague, et débouché un peu plus tard sur la création du collectif des « stylos rouges ».

Le ministre était allé en janvier 2019 jusqu’à évoquer la sempiternelle mesure de suppression ou suspension des allocations pour les familles dont un enfant présenterait des problèmes de comportement ou serait trop absentéiste. Nous avions publié à ce sujet un article de Johanna Dagorn, sociologue, université de Bordeaux, chercheuse à l’Observatoire européen de la violence à l’école, à ce sujet. Elle rappelait qu’« au moment où l’Angleterre menait une politique fortement répressive envers les parents, le taux d’absentéisme des enfants augmentait de 30 % ». Une mesure inefficace, donc, « tant au niveau pédagogique que pragmatique [et qui] tend à stigmatiser les parents les plus précaires, tout en contribuant à creuser les inégalités et les craintes de celles et ceux pour qui les aides sociales sont vitales », écrivait-elle.
La suppression ou suspension des allocations ne figure finalement pas dans le plan violence, non plus que dans la loi Blanquer adoptée par le Parlement le 4 juillet dernier, d’ailleurs.

Que prévoit donc le plan de lutte contre les violences scolaires paru au Bulletin officiel de l’Éducation nationale le 5 septembre 2019 ? Ce plan est constitué de plusieurs circulaires et décrets : « Prévention et prise en charge des violences en milieu scolaire », « Inscription dans une classe relai d’un élève ayant fait l’objet d’une exclusion définitive d’un établissement scolaire du second degré », et deux autres fixant les modalités de convocation des membres du conseil de discipline et la durée de conservation des sanctions dans le dossier administratif de l’élève.

Placé sous le signe du « respect d’autrui », qui est désormais l’un des « apprentissages fondamentaux » avec « lire, écrire, compter », le plan prévoit que « chaque agression, chaque insulte, chaque incivilité doit être signalée et sanctionnée ».

Commençons par les mesures de responsabilisation des familles. Si la suspension des allocations familiales ne figure pas dans le texte, lorsqu’un élève aura été renvoyé à deux reprises, le plan prévoit que ses parents devront signer un protocole d’accompagnement et de responsabilisation par lequel ils s’engageront à améliorer le comportement de leur enfant, et qui mettra en place un suivi éducatif précis.

Procédures disciplinaires

Les procédures disciplinaires sont légèrement simplifiées et renforcées, par le raccourcissement de huit à cinq jours des délais de convocation du conseil de discipline, l’allongement du délai de conservation des sanctions « de façon proportionnée à la gravité de la sanction », une période probatoire après une exclusion, la révocation automatique du sursis, le maintien plus long des écarts de conduite dans le dossier scolaire d’un élève, le suivi régulier des élèves violents après leur retour, etc. En revanche, la baisse drastique du nombre des membres du conseil de discipline « de 14 à 6 », un temps annoncée par le ministre, mais considérée comme impossible par l’historien de l’éducation Claude Lelièvre sur son blog, est abandonnée.

À cela s’ajoute la suppression de l’accord des familles pour affecter les élèves « hautement perturbateurs et poly-exclus » (dont le nombre est estimé par le ministère à 1 500), exclus à titre définitif de leur établissement dans l’une des 298 classes relais « à titre transitoire et dans la limite d’une année scolaire », prévoit le décret. L’inspecteur académique pourra en décider seul. Ces élèves pourront également être accueillis dans des « internats tremplins », la future appellation des internats relais, où l’encadrement est renforcé « afin d’éviter qu’un établissement sombre dans la violence ».

Le texte prévoit que chaque établissement se dote d’« un document recensant l’ensemble des faits déclarés et mettant en regard la sanction apportée ».

Plan global

Le suivi et l’accompagnement des établissements en difficulté seront assurés par un « référent violence en milieu scolaire », qui doit être nommé dans chaque département auprès de l’IA-Dasen (inspecteur d’académie-directeur académique des services de l’Éducation nationale). Quant aux personnels, ils devaient recevoir avant la rentrée des « guides d’accompagnement » leur indiquant la marche à suivre en cas d’incivilité ou d’agression : deux sont consacrés aux cas d’incivilité ou d’agression dans le cadre des fonctions, en distinguant premier et second degrés, et un autre aux cas où une plainte est déposée contre eux.

Enfin, une convention Éducation nationale-Justice-Intérieur-Agriculture et alimentation sera établie, également dans chaque département, pour « préciser les rôles et responsabilités de chacun, assurer un signalement et un traitement rapides des infractions les plus graves, mieux articuler les sanctions judiciaires et éducatives ». De plus, la présence de policiers sera renforcée aux abords des établissements dans les « quartiers de reconquête républicaine », pour des patrouilles ou des actions de prévention ciblées, par exemple.

Pour Claude Lelièvre, « après le mouvement PasDeVagues et une gestation de neuf mois, il n’y a pas de quoi être fier de l’accouchement de cette toute petite bête, un quatorzième plan qui risque d’être bientôt oublié. Mais c’est sans doute un moindre mal par rapport à ce qu’avait envisagé Blanquer lorsqu’il s’était mis précipitamment en avant. »

Le 27 aout, lors de sa conférence de presse de rentrée, le ministre a déclaré : « Le bonheur et le bienêtre des personnels sont l’un des facteurs principaux de la réussite scolaire […]. Cela passe notamment par l’amélioration de leurs conditions de travail. » Sa réponse est centrée sur les violences des élèves. Or, ce qui frappe, dans les motivations du suicide de Christine Renon, fin septembre dernier, puis dans les réactions, mobilisations ou témoignages apparus ensuite, c’est qu’il n’y est pas tant question des violences des élèves que de celles de l’institution…