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Handicaps : le temps des engagements

Charles Gardou[[Nos vifs remerciements à Charles Gardou, ami des Cahiers de longue date, pour les textes qu’il nous a aimablement communiqués.]] et Julia Kristeva ont créé ensemble début 2003 le Conseil national « Handicap : sensibiliser, informer, former », qui s’est donné pour objectif, en dépassant la dénonciation des insuffisances et dysfonctionnements, de travailler à la construction d’un autre présent et d’un autre avenir pour les moins privilégiés de notre société.
Et comme il ne s’agit pas d’en rester aux mots, le Conseil agit dans plusieurs directions pour mobiliser l’ensemble de la société civile, en s’appuyant sur le soutien, l’engagement de personnalités connues du monde des arts, du sport, du spectacle, des médias, du domaine de l’entreprise, et contribuer, à partir de la loi adoptée le 11 février 2005, à accélérer la parution des 80 décrets annoncés et à les infléchir afin qu’ils répondent au mieux aux besoins et attentes des personnes en situation de handicap et rejoignent ainsi les perspectives ouvertes au niveau européen.
Les « États généraux nationaux Handicap : le temps des engagements », qui se sont tenus le 20 mai dernier au siège de l’Unesco ont été un moment fort marqué par de nombreux témoignages dont on imagine la force de conviction et l’envie qu’ils donnent de faire évoluer les mentalités et les pratiques dans un pays comme le nôtre qui a bien du retard. Certains racontent le combat sans cesse recommencé face à l’indifférence ou à l’exclusion, dans l’isolement et le découragement ; d’autres exposent que l’alliance, fortuite ou quotidienne, entre « ceux qui sont en situation de handicap et ceux qui ne le sont pas » permet d’ouvrir des possibles, d’abolir des obstacles, ou simplement de provoquer des rencontres. La plupart disent aussi que, pour rendre la vie moins dure pour tous, les solutions sont simples à mettre en œuvre, si… si seulement chacun voulait y mettre du sien.

Un manque de cohérence
Le domaine de l’éducation faisait l’objet d’un des forums du matin, le plus nombreux, et la question de la scolarisation des enfants et adolescents en situation de handicap y est apparue comme à la fois exigeante et décisive, car elle engage à de profondes transformations de nos modes de penser et d’agir.
On part en effet d’un constat de difficultés liées à des défauts de continuité et de cohérence. Citons sans exhaustivité : les dysfonctionnements des CDES[[La C.D.E.S(commission départementale pour l’éducation spécialisée) est une instance départementale d’aide aux enfants et adolescents handicapés, de la naissance jusqu’à l’âge de 20 ans (sauf cas particuliers). Au delà de 20 ans, le relais est pris par la COTOREP.]] ; le manque de lisibilité des critères d’inscription en CLIS[[La CLIS (classe d’intégration scolaire) a pour mission d’accueillir de façon différenciée dans certaines écoles élémentaires ou exceptionnellement maternelles, des élèves en situation de handicaps]] ; l’articulation flottante entre CLIS et UPI[[UPI : Unités pédagogiques d’intégration, qui dans le second degré proposent des modalités de scolarisation plus souples et plus diversifiées. Elles s’adressent à un type de handicap précis.]] ; les défauts de coopération entre le secteur Éducation nationale et le secteur médico-social ; des parcours scolaires sans cohérence ni continuité (exemple des enfants atteints de déficience intellectuelle) ; des normes d’encadrement inappropriées – c’est notamment le cas des enfants présentant des lourdes déficiences, pour lesquels un effectif de quinze élèves est beaucoup trop élevé ; l’inertie des institutions et l’archaïsme de représentations dévalorisantes et discriminatoires.
« Un élève en situation de handicap, c’est chaque année, depuis la maternelle qu’il doit passer des examens, dit Rachel, rien n’est jamais assuré au-delà de quelques jours, quelques semaines, jamais plus d’un an. »
« Si on doit déménager, il faut tout réapprendre ; les critères d’orientation des CDES ou des COTOREP changent dans chaque département », disent des parents.
Des réussites sont possibles pourtant. On entend des témoignages d’intégration individuelle, en CLIS, UPI (véritablement intégrées) en enseignement à distance. Des expériences innovantes dans la petite enfance, au sein de haltes-garderies (comme à Dijon, décisif pour la réussite ultérieure) côtoient celles de classes ordinaires, préparées à l’accueil d’élèves « différents », avec l’implication des autres élèves jouant le rôle de moniteurs (classe d’accueil à Nîmes). Dans une université, au sein de chaque discipline et à chaque niveau, des étudiants rémunérés accompagnent l’intégration d’autres étudiants en situation de handicap : apprendre ensemble, c’est donc possible !

Parier sur la formation
Pour commencer ou continuer, pour rompre la solitude, des étayages sont nécessaires. On manque d’outils pour la classe (versions numérisées des manuels scolaires…), de diffusion des expériences et des réussites, de recensement des établissements scolaires accessibles. Il y a à faire tout un travail de sensibilisation pour rompre les peurs, et d’information pour donner à chacun les moyens d’agir selon sa compétence, en partant de l’expérience des personnes en situation de handicap elles-mêmes, en recensant et en diffusant les bonnes pratiques, en s’appuyant sur les nouvelles technologies de l’information.
Les besoins sont grands également en formation des enseignants. Des formations communes aux enseignants, psychologues, médecins, etc., pour changer en profondeur, et pour les générations à venir, la culture de notre pays, sont encore à inventer. Les cursus et diplômes universitaires pour faire émerger de nouveaux métiers ou de nouvelles qualifications n’existent qu’à Nancy et à Montpellier, avec un diplôme « Environnement juridique et social de l’enfant en situation de handicap ».
Mais au-delà des seuls enseignants spécialisés, quelle formation initiale et continue des professeurs des écoles, de collège et lycée, des inspecteurs, des personnels de direction, des auxiliaires de vie scolaire, des médecins, infirmiers, psychologues scolaires, etc. ? En effet, chez certains enseignants qui accueillent des enfants en situation de handicap dans leur classe, la carence actuelle de formation suscite de forts sentiments de solitude et d’incompétence qui explique, dans une large mesure, leur attitude contradictoire : ils soutiennent le principe de la scolarisation des enfants en situation de handicap, tout en manifestant des réticences face à une situation concrète. C’est le cas dans l’école de Léo, un enfant handicapé moteur aux capacités intellectuelles étonnantes : à la fin de son CE1, il apprend que l’enseignante de CE2 ne souhaite pas le prendre dans sa classe ; rien à faire, il devra intégrer une classe spécialisée alors qu’il aurait pu suivre le cursus normal.
Toute cette réflexion trop vite résumée ici s’est traduite par un engagement solennel :
Sachant que la nouvelle loi veut que « tout enfant ou adolescent présentant un handicap soit inscrit dans l’école la plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence » ;

Craignant que ce principe ne suscite qu’une simple mise en conformité administrative ;
Constatant que la formation, encore très embryonnaire et segmentée, ne prépare pas à répondre à ce défi et ne favorise pas une culture du lien ;
Considérant que le handicap n’est qu’une des formes de la diversité…
… Nous nous engageons à faire de la formation à la prise en compte des situations de handicap une priorité pour tous les acteurs du monde scolaire. Cet engagement se traduit concrètement dans les démarches et revendications associatives ou syndicales, dans les orientations et décisions politiques, dans les cursus initiaux, dans les programmes de formation continue, etc. Ce, dans la perspective d’une formation commune pour une culture commune.
Le Crap – Cahiers s’associe à cette volonté forte de rendre l’école accessible à tous. On pourra se reporter au dossier 428 des Cahiers, « De l’enseignement spécialisé à l’école intégrante », novembre 2004.

Florence Castincaud, Pierre Madiot