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Freinet aujourd’hui

Sylvain Connac a rappelé les piliers de la pédagogie Freinet.

L’expression libre: il s’agit de laisser des vannes ouvertes pour laisser entrer des événements extérieurs dans la classe. Un exemple: « Le Quoi de neuf? », où le matériau amené va devenir une base d’apprentissages scolaires, et qui doit être un véritable sas créant l’unité entre l’être enfant et l’être élève.

La coopération: il s’agit de pouvoir apprendre avec l’enseignant mais aussi avec les copains et copines. C’est aussi l’occasion de mettre en œuvre la participation démocratique, de faire de la citoyenneté à l’échelle de la classe, et même, pour Sylvain Connac, « d’inscrire la gentillesse au socle commun ». Faire de l’altruisme sera travaillé formellement à l’école pour que chaque élève soit sûr que personne ne va se moquer de lui eu qu’il puisse se risquer à l’erreur.

Le tâtonnement expérimental:
l’école apporte des réponses à des questions qu’on ne se posait pas. Comment faire en sorte que je réponde à des questions que les élèves se posent vraiment ? Comment susciter le questionnement ? Permettre de tester, de manipuler, d’expérimenter puis de formaliser, une fois que cela a fait sens.
Les savoirs savants, on va les chercher parce qu’on en a besoin. Les règles on les respecte parce qu’on en a besoin, pas parce que ce sont les règles.

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Quelles limites identifiées ?

Le Groupe ESCOL à Paris a mis en évidence quelques limites de pédagogies issues de l’Education Nouvelle. Notamment :

La primarisation: Une bonne partie des élèves pense que ce qui est attendu à l’école, c’est respecter ce que demande l’enseignant : « Tu vas bien écouter, tu vas être bien sage et faire ce qu’on te dit ». Ce qui est attendu, c’est faire le fichier, c’est bien lever la main au conseil.
Il y a là un malentendu terrible : le but de l’école n’est pas de faire ce qu’on dit, pas la tâche demandée, mais ce que je vais apprendre à travers l’activité.
Selon certains chercheurs, la tendance est à la pédagogie explicite, pas à la pédagogie Freinet.

Le désordre: la pagaille peut régner. C’est une limite. Quand le prof n’est pas là, on s’éclate. Travailler le désordre c’est lutter contre le niveau sonore. Des recherche-actions ont porté sur : comment faire pour entretenir le calme dans la classe? (On se rend compte que certains enseignants ne chuchotent pas pour demander de chuchoter.)

Complexité contre difficulté: Un savoir authentique est forcément complexe. Si c’est trop complexe, ça devient difficile. L’exercice de la liberté peut faire peur, demande de l’accompagnement.

Différencier les enseignements : on nous dit qu’iI faut différencier. Pour cela il y a deux modèles pratiques. Tout d’abord le modèle successif dans lequel on présente une compétence de trois manières différentes. Son problème majeur, c’est d’être chronophage. Ensuite, le modèle simultané, en ateliers qui correspondent à différents modèle cognitif. Mais c’est épuisant et très difficile à mettre en place.
La pédagogie différenciée est irréprochable sur un point de vue théorique. Mais c’est irréalisable en 2014. Que dit un inspecteur qui est allé dans une classe où tout allait bien, pour quand même donner un conseil ? « Il faudrait différencier un peu plus… »

Individu et personne

Quelle différence entre individualiser et personnaliser? Un individu est un être insécable, avec un corps indivisible, ce qui fait un, qui permet de dire je. La personne ajoute le regard d’un autre sur moi et donne une dimension sociale qu’on ne trouve pas chez l’individu. Apparait alors la personnalisation dont Emmanuel Mounier est à l’origine, par essence communautaire : on est ce qu’on est par la relation aux autres (c’est ce qui a manqué à Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage).
Individualiser la pédagogie ne fonctionne qu’avec les meilleurs élèves : travailler complètement tout seul est inquiétant, malgré tous les logiciels excellents que vous voudrez. (Le numérique exclusif est tentant (on pourrait imaginer chaque élève sur le site de la Khan Academy avec un casque…).) Personnaliser associe donc deux processus, l’individuation et la socialisation, pour apprendre à partir de la confrontation des représentations.
Reste ensuite à faire progresser en autonomie. Il est important de ne pas laisser seul un élève face à un plan de travail qui peut être angoissant et installer des degrés d’autonomie : le degré 1 lorsqu’on est accompagné par l’adulte, le degré 2 où l’on donne un petit coup de pouce et le degré 3 où l’on sait se débrouiller seul face à son plan de travail. L’autonomie est donc bien quelque chose qui se travaille.

Par quoi commencer ?, est-il demandé à Sylvain Connac : « Il faut penser à soi d’abord. Si on veut innover, il faut être sûr d’avoir les pieds qui touchent le sol. Et ne surtout pas tout changer en pleine crise. Par exemple, si on met en place un Conseil en cas de mauvaise ambiance, on risque de mettre de l’huile sur le feu. Il est préférable d’innover quand on va bien. »
Pour lui il faut aussi ne pas tout créer, ne pas rester seul : des gens ont déjà produit des choses. Reste à s’en inspirer pour adapter et progressivement faire de la pédagogie Michel, de la pédagogie Christine, de la pédagogie personnelle…

Gwenael Le Guével