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Formation des maitres : le rôle des établissements scolaires

En décembre prochain un texte ministériel de cadrage des maquettes des masters des métiers de l’enseignement devrait être proposé. La synthèse des États généraux intervient dans ce contexte marqué par de nombreuses incertitudes. Le texte ministériel est attendu, voire redouté après l’année de crise 2008-2009.
Des préoccupations traversent de façon récurrente les contributions, notamment :
– le risque de réduction de la mixité sociale des enseignants généré par l’allongement de la formation et la suppression d’une année de stage en responsabilité rétribuée,
– l’hésitation sur les choix à faire, tant dans la nature des concours que dans les parcours de formation, selon qu’on prend plutôt en compte l’unité du métier ou sa diversité.

Préciser le cahier des charges des établissements scolaires

Le décret du 19 décembre 2006 présentait le cahier des charges du métier d’enseignant aujourd’hui au travers des dix compétences, évoquées d’ailleurs dans le document de synthèse des États généraux. L’article 4.1 abordait le nouveau rôle des établissements scolaires : « Les écoles et les établissements d’accueil de professeurs stagiaires ou nouveaux titulaires ont une mission de formation. » Or, l’établissement scolaire est le grand absent de la synthèse de ces États généraux de la formation. Difficile pourtant de penser une alternance intégrative sans mettre au travail les établissements scolaires dans une définition – ou redéfinition – des rôles de chacun des acteurs. L’expérience engrangée depuis la naissance des IUFM en 1991 a bien montré l’impact du lieu de stage et de la qualité de l’accueil et de l’accompagnement sur la construction de l’identité professionnelle du stagiaire et le développement de ses compétences. Ce qui conduit à poser quelques questions et alerter sur quelques points de vigilance.
– Quelle formation pour les « formateurs de terrain » (conseillers pédagogiques, tuteurs ou maitres de stage) ? Si enseigner est un métier, accompagner un novice est aussi un métier pour lequel l’expertise enseignante n’est pas suffisante. S’y ajoutent des compétences d’observation, d’écoute, de diagnostic, de communication.
– Quelle organisation collective de l’établissement, quel pilotage éducatif qui puisse « faire la différence », donner à voir des pratiques orientées et animées par une culture de ­coopération, le souci de l’équité, la vigilance aux apprentissages effectifs des élèves, surtout les plus en difficulté ?
– Quelle tolérance à l’erreur et aux faux pas du débutant ? Comment en réduire les effets tant du côté des élèves, des parents que du débutant ? Quel encouragement à la prise de risque et à l’initiative, passages obligés vers le développement de compétences ? S’il est vrai qu’on apprend et qu’on se forme en réussissant à faire quelque chose qu’on ne savait pas faire avant, il devrait aller de soi que tout établissement accueillant des débutants a pour rôle d’accompagner les approximations, les hésitations, les faux pas d’une professionnalité en construction. Le collectif devrait donc s’engager dans des solidarités nécessaires pour aider le débutant à vivre cette étape.

Pour un compagnonnage qui ne soit pas réducteur

L’accompagnement d’un collègue expérimenté est précieux. Encore faudrait-il garder à l’esprit ce qui rend fécond l’apprentissage par compagnonnage : le travail avec plusieurs compagnons, dans des contextes différents, avec la perspective de réaliser son « chef-d’œuvre », donc de s’affranchir des modèles pour développer son style propre. Si on l’oublie, la formation sur le terrain risque de devenir l’adaptation au poste de travail dans un contexte donné et non la préparation à un métier. On gagnerait probablement à diversifier et élargir les figures du compagnonnage : tuteur référent, autres collègues expérimentés de l’établissement, enseignants dans la discipline ou dans d’autres disciplines, observations mutuelles entre novices.

Des temps et des lieux d’apprentissage entre pairs

Rappeler le rôle important du terrain n’exclut pas pour autant le rôle fondamental de la formation en institut ou à l’université. Nous ne développerons pas ici ce que ces lieux offrent en termes de contenus et d’initiation à la recherche : le rapport y consacre deux chapitres[[Pages 14 à 22.]]. Aucune allusion n’est faite, par contre, à l’« effet promotion », et à ce qui se joue du côté des apprentissages dans la fréquentation des pairs et les nombreux échanges qui se tissent au long d’une année de formation : une transmission « horizontale » du métier, complémentaire de la transmission plus verticale liée aux apports de contenus et aux conseils du tuteur. Cette dimension, assez peu mise en relief lorsqu’on évoque la formation initiale, est pourtant essentielle aux dires de nombreux stagiaires[[Bilans de formation PLC2, ISP 1994/2008, documents internes.]]. Or, le terrain n’offre pas cette opportunité : les stagiaires sont dispersés dans des lieux divers et, même s’ils se retrouvent à trois ou quatre dans un même établissement, le lieu d’exercice ne prédispose pas à la même liberté de parole qu’un lieu extérieur, où l’on est à distance des problèmes quotidiens, disponible pour en partager les enjeux, les difficultés, les interrogations, les tentatives réussies ou malheureuses. Ces questions sont travaillées dans les groupes d’analyse de pratiques, les études de cas, etc., mais elles font souvent aussi l’objet des échanges informels lors des pause-cafés, des repas pris sur place, du travail en centre documentaire, etc.
S’il semble y avoir accord sur la nécessité d’une formation bâtie sur le modèle d’une alternance intégrative, qui conduise à abandonner le modèle consécutif pour passer au modèle simultané, on pourrait rêver de contenus de master qui puissent équiper progressivement les futurs enseignants d’outils théoriques les préparant à observer le terrain, à nommer ce qu’ils y découvrent, à mieux en percevoir les enjeux et à se constituer un répertoire de ressources didactiques, pédagogiques mobilisables en situation dans la logique du cahier des charges du 19 décembre 2006.

Nicole Priou, formatrice.

Sur ce même sujet, on pourra se reporter :
– à un texte de Michel Fabre publiés sur ce site, La mastérisation
de la formation des maitres : Vers une nouvelle « Annus horribilis ? »

– à deux articles parus dans la rubrique Actualités éducatives de notre n° 465 (septembre 2008) publiés sur ce site : Formation des maitres : le retour au Moyen Âge ?,
de Richard Étienne, et Changer l’université pour changer la formation
des profs ?
, de Jean-Paul Julliand.