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Feedback et gommettes (2/4)

Faut-il noter les élèves ?

Episode 1 : Complimentez, il en restera toujours quelque chose

L’évaluation informative donne à l’évalué des informations sur le niveau de sa performance, comme en sport ou dans les jeux vidéo. Une expérience de Bandura et de son équipe en 1983 montre de façon spectaculaire l’impact de la connaissance de son niveau à un moment T, dans un parcours.

L’évaluation informative : but et feedback

Des étudiants doivent s’entraîner à soulever des haltères, sous le prétexte de mettre au point des exercices d’aérobic. Trois conditions sont planifiées : dans une première condition « but seul », les étudiants doivent soulever à chaque séance 40% de plus qu’à leur essai précédent. Par exemple, à un étudiant qui soulevait à son premier essai 100 kg, il est dit devoir se donner pour but d’atteindre 140Kg. Dans la deuxième condition « feedback seul », on informe chaque étudiant qu’il a fait tel ou tel score en kg ; en fait ce chiffre est inventé mais correspond pour tous les participants à une progression fictive de 24% ; cela correspondrait à 124Kg dans mon exemple. Enfin, dans le troisième groupe, « but + feedback », on donne le but (+40%) et le feedback.
Les résultats montrent que par rapport à un groupe contrôle (qui s’entraine sans consigne) seul le groupe ayant un but spécifique et le feedback (l’évaluation) progresse. Et il progresse de façon fulgurante, puisque les étudiants de ce groupe augmentent leur performance initiale de 60% (initialement ce sont des étudiants non spécialistes de ce sport). Il faut donc connaitre le score de sa performance pour progresser. Comment en effet sauter à la perche ou courir un 100 mètres si on ne connait pas son score ? Comment s’améliorer en orthographe ou en maths, sans connaitre le nombre et la nature de ses erreurs ? Cela dit, il ne faut pas confondre évaluation et notes. En dictée par exemple, le nombre et la nature des fautes doivent être signalées mais on n’est pas obligé de retrancher de 20/20, les points correspondant aux fautes ; dans ce dernier cas, l’évaluation est contrôlante puisque l’élève peut atteindre la note zéro. Une manière de dire : « tu es nul » !

Photo : Philippe Ibars

Photo : Philippe Ibars

Notes, lettres, ou gommettes ?

Une autre dissociation est à faire entre le principe et le mode de l’évaluation. Certains pensent que d’utiliser autre chose que les notes (de 0 à 10, de 0 à 20) enlèverait l’effet négatif des notes. Ainsi, après Mai 68, avaient été proposées, les lettres, souvent de A à E, soit cinq échelons (six dans certains pays). Mais beaucoup d’enseignants se rendant compte qu’il était difficile d’évaluer avec subtilité, ajoutèrent des + et des -, ce qui fait dix échelons entre A+ et E-, totalement équivalente à une notation sur 10. Même chose pour les gommettes, si on utilise quatre couleurs de gommettes, on a quatre échelons. J’ai vu dans un reportage télévisé qu’une enseignante mettait des + et des – aux gommettes, soit huit échelons, donc tout près de la notation sur dix. Pour les statisticiens par exemple, beaucoup de questionnaires proposent des réponses selon cinq échelons qui sont ensuite, pour les calculs statistiques, convertis en chiffres de un à cinq ; ce sont donc les échelons de l’évaluation qui comptent et non les notes chiffrées en soi.
Lorqu’on utilise des notes, il faut utiliser tous les échelons d’une gamme de notes pour un niveau donné. Je me souviens d’un prof de lettres au lycée qui ne mettait pas au-dessus de 12/20 : ce n’est pas un usage normal de la notation puisqu’il ne conduit qu’à déprécier les élèves. C’est comme si en sport, on alignait les notes en fonction des niveaux olympiques. A l’inverse, dans un QCM (Questionnaire à choix multiples), un élève peut avoir 20/20 s’il a acquis les connaissances ou compétences d’un niveau scolaire donné.

(à suivre)

Alain Lieury, professeur de psychologie cognitive
Université européenne de Bretagne (Rennes 2)