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«Faire un projet en histoire, ce n’est jamais banal.»

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Qu’est-ce qu’enseigner l’histoire aujourd’hui ? Quels sont les enjeux de cet enseignement et comment doit-on s’y prendre pour que les élèves construisent un rapport apaisé, critique et intégrateur au passé de la société humaine et à l’Histoire ? Le dossier de notre dernier numéro regorge de pratiques et de projets très divers.
Il y a eu des débats enflammés il y a deux ans autour du renouveau des programmes d’histoire, du «roman national» et du «retour de la chronologie» dans l’enseignement de l’histoire. Est-ce que ces remous trouvent un écho dans le dossier ?

Alexandra Rayzal : Nous nous attendions à en trouver des échos dans les articles reçus, mais il y en a eu finalement assez peu. C’était l’une de nos questions importantes : quel est le retentissement réel de ces débats médiatiques dans le monde enseignant et dans les pratiques de classe ? La photographie des pratiques qui ressort de ce dossier est en fin de compte plutôt apaisée. Les enseignants sont avant tout tournés vers la réalité des classes, des élèves, vers les programmes à boucler. Les marronniers médiatiques sont un bruit de fond détaché des multiples contraintes qu’ont à concilier les enseignants.

Benoit Falaize : Effectivement, on voit assez bien le décalage entre les débats publics et les préoccupations quotidiennes des enseignants confrontés à des choix concernant leur enseignement. Nous nous attendions à sans doute plus de prise de positions théoriques, épistémologiques, idéologiques même, sur la question des programmes. Après tout, dans leur histoire, les Cahiers pédagogiques ont bien connu ce phénomène de prise de parole dans leurs colonnes… Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’aujourd’hui les enseignants se tiennent loin de ces débats. Mais dans les retours très nombreux que nous avons eus, les collègues ont préféré dire leur quotidien, leurs initiatives et leurs projets plutôt que d’investir explicitement les débats et les controverses.

Le précédent dossier sur l’histoire dans les Cahiers pédagogiques datait d’il y a dix ans. Est-ce que les enjeux de l’enseignement de l’histoire sont différents aujourd’hui ou bien restent-ils peu ou prou les mêmes ?

AR : Il y a évidemment des enjeux communs, et ils le sont sur la longue durée. Qu’il s’agisse de la constitution d’une identité et d’une mémoire nationale, de la construction de la citoyenneté, de la transposition des acquis de la recherche, les enjeux de contenus sont récurrents. Ceux de méthodes sont moins affirmés maintenant, après une période plus polémique dans les années 1970. L’histoire est (par excellence ?) une discipline fondée sur les contenus à transmettre, dont il semble impossible de retrancher quoi que ce soit et qui transforme l’achèvement des programmes en rocher de Sisyphe. S’il y a un enjeu qui a pris de l’importance récemment, ce serait celui de la laïcité, porté par une hystérisation du discours public sur l’Islam. Mais il ne concerne pas que l’enseignement de l’histoire.

BF : Dix années séparent les deux dossiers. Entre temps il y a eu les attentats de 2015. Ce n’est pas tant qu’ils apparaissent en tant que tels dans les propositions que nous avons reçues et les articles publiés. Mais ils ont, je le crois, donné une autre densité au travail d’histoire en classe. Les enjeux civiques sont posés. La volonté de rendre compte du passé dans toutes ses complexités également. Le dossier en rend compte largement.

Qu’est-ce qui vous a frappé plus particulièrement dans les contributions que vous avez reçues ?

AR : Hormis cette sérénité par rapport aux débats publics dont nous parlions plus haut, c’est la diversité des pratiques et la créativité des enseignants qui m’ont frappée. Mais aussi les similitudes d’un pays à l’autre : les enjeux mémoriels, identitaires, le rôle assigné à l’enseignement de l’histoire, sont des thèmes qu’on retrouve au Québec, en Israël, en Allemagne, par exemple. Sortir de considérations franco-centrées a été, selon moi, un apport très important de ce dossier.

BF : Ce qui me frappe toujours, c’est l’inventivité des pratiques, le temps consacré pour tenir les projets, et la volonté de rendre explicite l’histoire, du cycle 3 à la terminale, en passant par le lycée professionnel. On voit combien cette discipline est investie avec sérieux et volonté. Faire un projet en histoire, ce n’est jamais banal, et cela engage beaucoup de choses liées à la vie sociale et citoyenne. Et, comme le dit Alexandra, pas seulement en France. Dans certains pays, c’est flagrant.

Les contributions témoignent-elles d’une grande variété des pratiques des enseignants ?

AR : Je dirais plutôt d’une généralisation des pratiques centrées sur l’activité, sur la production des élèves. Que ce soit grâce à la facilité d’accès aux outils numériques ou à la multiplication des partenariats avec les institutions culturelles, on voit éclore des projets montés par les élèves eux-mêmes : expositions, mini-sites, etc. Bien sûr, ce n’est pas un reflet des pratiques réelles dans toutes les classes, que nous ne pouvons pas retranscrire dans l’espace d’un dossier.

BF : Celles et ceux qui répondent à l’appel à contribution sont souvent parmi les plus engagés dans leur pratique. Il restera toujours l’angle mort de la pratique quotidienne, routinière (sans que cela soit péjoratif) de la majorité des enseignants et sur laquelle on sait finalement peu de choses. Mais pour cela, il faut multiplier les travaux de recherche…

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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