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Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire

Comme l’écrit Patrick Rayou dès l’ouverture du livre, le travail à la maison a ceci de particulier qu’il se trouve « à un carrefour de nombreux phénomènes constitutifs du monde scolaire et de ses rapports avec le reste de la société qu’il échappe à chaque série de critiques qui lui est adressée, qu’il se maintient et prospère en étendant son empire de plus en plus loin ». Longtemps consignés aux évidences ou de l’invisibilité du travail des élèves comme des enseignants, les devoirs à la maison prennent une place de plus en plus grande dans la réflexion et la recherche pédagogiques. À ce titre, ce livre permet, comme le dossier que Les Cahiers pédagogiques proposait sur le sujet en décembre 2008, de revenir sur cet « analyseur du fonctionnement de l’école comme de ses dysfonctionnements ».
Car la force de cet ouvrage est de proposer à la fois le résultat de recherches de terrain accomplies par une équipe depuis 2005 auprès des élèves, des parents et des enseignants, et une série de synthèses ponctuant l’ensemble. Et comme le sous-titre l’indique, deux axes de travail ont été privilégiés : didactique (pour les connaissances et compétences mobilisées) et sociologique (enjeu social avec des stratégies différentes des personnes concernées, parents et associations au premier chef).
D’où l’hypothèse travaillée comme un leitmotiv tout le long du livre : « la prescription de travail hors de la classe se fait aujourd’hui sur le mode d’une externalisation » du travail scolaire, dont on peut faire remonter les prémisses aux années 1960, comme le souligne quelques pages plus loin Martine Kherroubi. Jusque-là les devoirs, leçons se faisaient dans l’école, durant les nombreux moments d’études, totalement intégrés dans l’emploi du temps des élèves. À partir des années 1960, tous ces temps d’études sont en quelque sorte sortis du temps et des lieux de l’école « rencontrant, se superposant et se confondant avec les moments de repos et de loisirs ». D’où l’apparition et la multiplication des acteurs (parents et associations) dans le suivi du temps des devoirs et des leçons. D’où aussi la difficulté pour nombre d’élèves et surtout de parents de s’approprier cette nouvelle fonction d’encadrement, de suivi et d’évaluation du travail accompli et à accomplir. Depuis quelques années, l’école tente une réappropriation, une « ré-intégration » du travail personnel des élèves, notamment via les dispositifs comme l’accompagnement éducatif. Reste que la fonction d’accompagnateur et les temps d’accompagnement dans l’école doivent encore être pensés et légitimés…
Il est donc question du va-et-vient entre le dedans et le dehors, de la professionnalité des accompagnants, mais aussi des inégalités des élèves face aux enjeux et des tâches à accomplir. Et comme l’indique Patrick Rayou à la mi-temps du livre, si on devait résumer les choses, en prenant le risque de les caricaturer un peu, on pourrait dire qu’autant les « bons » élèves perçoivent la continuité entre ce qui a été fait en classe et ce qui est demandé à la maison, la possibilité offerte de « stabiliser des acquisitions faites en amont », autant les « mauvais » élèves ne percevant pas ce lien, décrivent les devoirs comme étant totalement inédits par rapport à ce qui a été commencé en classe et s’évertuent à réinventer des « gestes d’étude pour lesquels ils ont le sentiment d’avoir été ni préparés ni entrainés ». (p. 90) C’est bien dans ce contexte que se posent deux questions : celle d’une aide aux élèves qui doit être en liaison avec la classe, sans avoir pour ambition de refaire la classe et celle des malentendus entre l’école et ses partenaires.
À ce titre les études de terrain, notamment celles proposées par Sylvie Cadolle et Janine Reichstadt et par Séverine Kakpo, sont particulièrement éclairantes. Les premières suivent ainsi une leçon (les temps du passé) dans les différents lieux et dans les étapes successives, pendant que la seconde, dans la même veine, s’intéresse aux travaux de lecture dans les foyers des familles populaires. Dans les deux cas, sont mis en évidence cette continuité/discontinuité et ces malentendus surgissant à chaque lieu et chaque moment, mettant les contradictions mises au jour par les devoirs à la maison : la nécessité, mais aussi l’impossibilité des devoirs à la maison : « désiré et rejeté, nécessaire et inutile, efficace et inefficace, sécurisant et source de tension ».

Régis Guyon