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Faire progresser les élèves en dictée? C’est possible !

Comment s’est déroulée la recherche dont il est question ?

Après un état des lieux des recherches actuelles et des pratiques dans le territoire de la circonscription d’Argentan (département de l’Orne), un corpus de dictées adapté à chaque niveau de classe a été réalisé en s’appuyant sur les programmes de l’école primaire et les progressions en étude de la langue de chaque enseignant. Le nombre de mots des dictées a été étalonné. Pour exemple, les programmes de l’école primaire indiquent que les élèves de fin de CE2 devront « écrire sous la dictée un texte d’au moins cinq lignes » ce qui correspond, d’après notre étude, à un texte composé de cinquante mots.

Ensuite, la passation des dictées a été réalisée selon l’emploi du temps de chaque classe, avec un minimum d’une dictée par semaine. À chaque dictée, l’un des expérimentateurs était présent afin de filmer et d’observer les postures, stratégies ou commentaires des élèves ainsi que l’appropriation de la situation d’apprentissage par l’enseignant. Chaque professeur des écoles dictait le texte lui-même.

Enfin, nous avons recueilli de nombreuses données (scores de réussite, nombre de recours à l’aide, profil des élèves, etc.) que nous avons ensuite exploitées.

Éléments importants, les élèves pouvaient recourir à une aide (soit le texte de la dictée au verso de leur feuille, soit un certain nombre de mots de la dictée laissés visibles par les élèves après leur caviardage, comme on le voit sur la photo) et suivaient leurs résultats à l’aide d’un graphique numérique ou réalisé sur feuille. La consultation de ce dernier se réalise de manière individuelle, mais les élèves ont souvent échangé de manière informelle sur leurs progrès et résultats obtenus. Le graphique est intéressant, car son aspect visuel permet de prendre connaissance très rapidement des évolutions de chaque élève. Sa numérisation présente un avantage : elle permet de dresser un profil de classe généré automatiquement à partir des résultats des élèves et ainsi permettre une meilleure régulation des apprentissages.

Et quels sont les effets sur les résultats ?

Ils sont probants ! Le regard d’un grand nombre d’élèves a changé sur les attendus d’une dictée. La focalisation sur son propre progrès (en prenant pour repère ses scores antérieurs aux dictées) a permis d’enrôler la quasi-totalité des élèves dans la tâche.

Aucun élève n’a régressé. Sur l’échantillon observé, nous constatons quelques élèves qui stagnent, ne mettant aucune stratégie durable en œuvre. Les résultats obtenus et l’utilisation de l’aide sont aléatoires. Les enseignants testent un accompagnement plus individualisé pour les élèves concernés, afin de déterminer avec eux un objectif à leur portée et les stratégies pour y parvenir.
Les enseignants nous ont exprimé leur satisfaction d’observer un grand nombre d’élèves progresser. Tous continuent les dictées présentées et les proposent de manière ritualisée.

Dans la dictée caviardée, le texte est donné aux élèves. Chaque élève masque au feutre noir les mots et groupes de mots qu’il est sûr de savoir orthographier. Puis le maître dicte et l’élève écrit au propre sur son cahier, à partir de ce qu’il entend et de son texte «caviardé».

Dans la dictée caviardée, le texte est donné aux élèves. Chaque élève masque au feutre noir les mots et groupes de mots qu’il est sûr de savoir orthographier. Puis le maître dicte et l’élève écrit au propre sur son cahier, à partir de ce qu’il entend et de son texte «caviardé».

Qu’est-ce qui influe particulièrement ? Le niveau de connaissances en français ?

Oui bien sûr, mais pas seulement. Ce qui fait aussi la différence, c’est la détermination avec laquelle un élève s’engage. Cette détermination sera d’autant plus grande que l’élève pourra constater ses progrès (les résultats positifs renforçant l’estime de soi). L’estime de soi est un élément fondamental de la réussite d’un élève à réduire son nombre d’erreurs commises. Une précaution cependant, ne pas leurrer l’élève sur son niveau scolaire effectif. Il est indispensable de situer le niveau scolaire d’un élève au regard des programmes et du socle commun de connaissances et de compétences.

Note-t-on une évolution des stratégies des élèves dans l’utilisation de l’aide ?

Absolument. Les résultats montrent une diminution constante du nombre des erreurs sur les quatre premières dictées (de 22,3 % à 13,8 %), en corrélation avec une augmentation du nombre de recours à l’aide (mots laissés visibles ou regardés par les élèves : de 12,9 % à 15,2 %). L’utilisation plus importante de l’aide disponible s’explique par l’objectif fixé et rappelé à chaque dictée par les enseignants : « faire le moins d’erreurs possible ». Il est intéressant de noter que les élèves ont su s’approprier les aides disponibles et que leurs résultats ont progressé. Les différentes variables que l’enseignant peut utiliser (nombre d’erreurs, nombre de recours à l’aide, etc.) sont autant de relances possibles auprès des élèves qui adaptent très vite leurs stratégies.

Je me souviens d’un élève de CP qui jugeait très facile l’exercice de la dictée. Il exprimait ne pas avoir besoin de l’aide et caviardait intégralement la phrase de la dictée. Les résultats qu’il obtenait étaient corrects, mais des erreurs persistaient. Cependant et jusqu’à la troisième dictée, il n’a pas pris en considération l’aide disponible pour progresser. Avant la quatrième dictée, pendant un temps d’analyse des résultats, cet élève a pris connaissance, de manière informelle, des scores obtenus par certains de ses camarades. Il a pu constater que plusieurs d’entre eux, qu’il jugeait moins bons que lui, obtenaient des résultats similaires, voire supérieurs. À partir de ce moment, il a commencé à adapter sa manière de travailler en ne caviardant plus l’intégralité des mots de la phrase, ce qui l’a amené à progresser davantage.

Qu’est-ce qui intervient encore ? L’estime de soi ? Être réfléchi ?

Comme je le disais précédemment, les résultats mettent en évidence que les élèves ayant une bonne estime d’eux-mêmes obtiennent de meilleurs résultats (écart de plus de cinq points en moyenne), tout en utilisant moins l’aide (4,5 points de moins en moyenne) que le groupe des élèves ayant une faible estime d’eux-mêmes. Cependant, nous notons que les deux groupes d’élèves ont diminué leur nombre d’erreurs, alors que l’on aurait pu supposer que les élèves ayant une faible estime de soi n’arrivent pas à progresser.

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Les résultats montrent également que les élèves instinctifs recourent davantage à l’aide tout en obtenant de moins bons résultats (7,3 points d’écart). J’ai noté que ces élèves consultaient de manière impulsive l’aide fournie, sans prendre de recul sur les éléments qu’ils devaient vérifier. À contrario, les élèves réfléchis adaptent leurs recours à l’aide en fonction des doutes orthographiques qu’ils identifient. Il serait judicieux de poursuivre l’apprentissage, afin de permettre aux élèves impulsifs de mieux utiliser l’aide.

Et être une fille, ou avoir un bon niveau de français, cela joue ?

Les filles obtiennent de meilleurs résultats sur toutes les dictées (écart de 3,9 points en moyenne avec ceux des garçons). Leurs progrès sont constants (diminution du nombre d’erreurs et de recours à l’aide), alors que ceux des garçons restent corrélés à l’utilisation de l’aide (une plus grande consultation de l’aide entraine une baisse des erreurs).

Les résultats révèlent que les élèves possédant un bon niveau initial en français obtiennent des résultats supérieurs (écart de 7,5 points en moyenne), tout en consultant l’aide de manière moins importante (6,3 points de moins en moyenne) par rapport aux élèves ayant un niveau initial faible en français. Par contre, des progrès sensibles sont mis en évidence pour les deux groupes : le nombre d’erreurs des élèves ayant un bon niveau diminue de 6,8 points et celui des élèves ayant un niveau faible en français baisse de 8,4 points.

Et si je vous demande quelle est votre bonne surprise de cette recherche-action ?

Je me souviens de deux élèves (l’une en CE2, l’autre en CM2) présentant chacune un trouble du langage. Dans le questionnaire préparatoire à ma recherche, les deux élèves indiquent n’aimer que « moyennement » la dictée et portent un regard lucide sur leurs fragilités. Ainsi, l’une d’entre elles explique : « J’ai des difficultés car je suis dyslexique et je confonds des sons ». Dans le second questionnaire (après l’expérimentation), toutes les deux déclarent aimer beaucoup les nouvelles dictées, « j’ai hâte de savoir si j’ai avancé ou si je n’ai pas avancé » et souhaitent les poursuivre, « parce que c’est trop bien d’écrire et d’apprendre des mots ». Ces deux élèves n’expriment plus aucune réticence à l’approche d’une dictée. Elles attendent cet exercice avec impatience et arborent un sourire de satisfaction devant leurs résultats. Rien que pour cela.

François Richard
Conseiller pédagogique dans la circonscription d’Argentan (Orne)

Références:
Daniel Brissaud, Danièle COGIS, Enseigner à l’école l’orthographe aujourd’hui, éditions Hatier, 2011.
Jean-Paul Fischer, « La dictée sans erreur », Psychologie et Éducation, p. 43-59, 2006.
Béatrice et Philippe Pothier, Échelle d’acquisition en orthographe lexicale, éditions Retz, 2004.