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Eveline Charmeux : « Pour être gêné par une erreur d’orthographe, il faut n’en avoir pas vu beaucoup. »

Est-ce une erreur (au CM2 et au collège) de laisser les élèves écrire « pour les idées » dans un premier temps puis passer aux questions d’orthographe et ponctuation ensuite ? Mais si on ne fait pas ça, on charge trop la barque dès le début…

charmeux_1.jpgPour moi, c’est une énorme erreur de reléguer l’orthographe à un « second » temps, car on sait que, pour les enfants, le « second » temps est toujours « secondaire », et donc sans importance !!
En plus, dans une activité de production d’écrits, la recherche des idées est toujours un moment à part, AVANT l’écriture : une activité collective de recherche et de collectes sous diverses formes, que l’on met en commun, afin que les enfants aient TROP d’idées et qu’ils aient besoin de choisir, comme disait Ricardou. J’ai toujours refusé de voir des gamins se battre les flancs pour trouver des « idées », ce qui n’a, en plus, rien à voir avec l’écriture… Dans une situation de production d’écrits, c’est l’écriture qu’on doit travailler, la mise en texte : les idées, c’est autre chose.
Or, l’orthographe fait partie de la mise en texte.
Et comme je suis profondément convaincue que la maîtrise de l’orthographe passe par la PRÉVENTION DES ERREURS, et non par leur correction, je propose comme solution (qui marche !) la documentation orthographique accompagnant toute activité d’écriture (dictionnaire d’orthographe et dictionnaire de verbes). Et pour que la barque ne soit effectivement pas trop chargée, j’ai depuis longtemps abandonné l’écriture individuelle au profit de l’écriture au moins à deux, pour que l’un des deux fasse les recherches orthographiques, pendant la production (quelle que soit la discipline )… Cela prend plus de temps, c’est vrai, mais le profit est visible : l’attitude face à l’orthographe change.

Finalement, quelle est la part de la mémorisation volontaire (euh…forcée ? ) dans l’acquisition de l’orthographe ? Listes de conjugaisons, classées par fréquence tout de même : les vingt verbes les plus fréquents, puis les cinquante…? Inutile d’apprendre par coeur, à la fin d’un travail d’explication de ces graphies, des suites invariables comme il a été /ils ont été ?

couv-9.jpgLa véritable mémorisation n’a rien à voir avec l’apprentissage par cœur : pour savoir par cœur, il ne faut surtout pas avoir appris par cœur, mais avoir LU ET RELU 5000 fois. C’est par la fréquentation quotidienne de la documentation orthographique que la mémorisation se fera, sous la forme où elle doit se faire pour l’orthographe, c’est-à-dire sous la forme visuelle. L’objectif à atteindre, chez les élèves, c’est qu’ils finissent par être gênés visuellement par une erreur d’orthographe, tout comme un musicien est gêné auditivement par une fausse note. Or, pour être gêné par une erreur d’orthographe, il faut n’en avoir pas vu beaucoup.
Quiconque a corrigé des montagnes de copies sait combien le fait de voir, par exemple, le mot « méditerranéenne » écrit sous diverses orthographes, provoque un étourdissement qui rend le plus costaud des profs incapable de savoir comment ça s’écrit ; et je mets quiconque au défi de savoir répondre au test de Binet après l’avoir lu plus d’une fois… Essayez, vous verrez !
C’est pourquoi, les élèves ne doivent pas voir d’erreurs d’orthographe : tant que les enfants ne sont pas capables de chercher et de trouver eux-mêmes les réponses sur ce point, l’orthographe est prise en charge par l’enseignant, qui la donne d’emblée et/ou la corrige SANS COMMENTAIRES pendant la production.

Au niveau collège, comment pensez-vous, en termes didactiques, le passage des exercices calibrés tels ceux que vous proposez à l’automatisation par chacun de l’orthographe de ses propres productions ? Que faire quand les élèves ne « voient » pas qu’il y a un problème ? Et non seulement un, mais dix dans la phrase ? Faut-il dire brutalement : au collège, c’est trop tard ?

Ce n’est bien sûr jamais trop tard ! Mais si, la situation apparaît catastrophique chez certains, cela veut dire qu’il faut à nouveau que l’orthographe soit pris en charge de l’extérieur : notamment, c’est le travail d’écriture en groupes solidaires qui permet cette prise en charge.
charmeux_2.jpgVous avez parfaitement raison : la plupart des élèves ne voient pas où il peut y avoir un problème ! C’est pourquoi, il faut éviter que les erreurs ne s’accumulent dans une production. On doit reconnaître du reste qu’on a tout fait depuis le CP (et les méthodes B.A.BA) pour qu’ils deviennent aveugles en orthographe.
Au collège, c’est d’abord par les jeux de mots orthographiques, qui inondent la presse et la publicité, que l’on peut désamorcer les effets désastreux des méthodes de lecture et des pratiques d’écriture sans orthographe, et installer le DOUTE ORTHOGRAPHIQUE sans lequel aucune maîtrise n’est possible dans ce domaine… L’avantage en plus de ces jeux d’orthographe, c’est qu’au moins on s’y amuse, et que sans rigolade et sans amusement, pas d’apprentissage solide, surtout pour l’orthographe…

L’itinéraire que vous schématisez page 62 ne peut que satisfaire une option constructiviste de l’apprentissage ; il me semble qu’on bute cependant sur le niveau de complexité de la formulation de règles… Est-elle vraiment utile ? N’est-ce pas le serpent qui se mord la queue : pour la comprendre, il faut savoir ce qu’est un participe passé, un GN complément du verbe, etc.

Cela va de soi : les notions que vous évoquez ont évidemment été construites. La notion de complément de verbe (avec ou sans préposition — et surtout pas « COD ou COI » qui sont des absurdités totales !) est construite depuis le CE2, et la fréquentation des dictionnaires de conjugaison commencée dès le CE2, et devenue familière au CM, a installé depuis longtemps le vocabulaire de la conjugaison.
Qu’elle soit utile, pour moi, c’est une évidence, elle me paraît même indispensable. Des constats ne peuvent aboutir à des savoirs que par un travail de métacognition et le travail qui consiste à transformer soi-même ce qu’on a observé en règle écrite, en est un. A cet âge, c’est le seul moyen d’en faire un outil utilisable.
Vous savez, seuls les collègues sont perplexes devant ce type de travail : les élèves n’y trouvent aucune difficulté, s’il est le résultat de leur propre recherche, et si le travail de formulation a été mené avec l’enseignant, comme une activité d’écriture à part entière. Apprendre à formuler en termes de règles les constats effectués est une des meilleures activités de production d’écrit, largement supérieure à la rédaction avec sujet, qui ne sert à aucun apprentissage. Or, c’est un travail d’écriture trop peu travaillé dans les classes…
Mais ceci est une autre histoire… Quoique…

Propos recueillis par Florence Castincaud