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Évaluer tous les jours pour adapter ses pratiques

Comment appréhender le lien entre l’évaluation et les apprentissages du point de vue de l’élève, dans une perspective de rapprochement entre pédagogie et didactique ? Comment envisager des pratiques d’évaluation qui donnent du sens aux apprentissages des élèves en contribuant à nourrir les réflexions des enseignants sur leurs pratiques ? Comment orienter les pratiques évaluatives vers des dimensions plus formatives et intégrées aux situations d’enseignement-apprentissage ?

Nos travaux de recherche ont souligné certaines difficultés des enseignants en matière de pratiques évaluatives, que ce soit pour articuler bienveillance et exigence ou pour évaluer sans les notes dans une approche par compétences. Nous avons identifié quelques questionnements pédagogiques assez emblématiques en matière de pratiques évaluatives : à quels moments évalue-t-on ? Pourquoi évaluer uniquement en fin de période ? Dans quel but ? Que fait-on de ces évaluations ? Comment identifier les compétences des élèves sans évaluation formelle ? Peut-on évaluer quotidiennement les élèves sans leur mettre la pression ? S’intéresser à l’évaluation du point de vue des élèves, dans une perspective formative et bienveillante, conduit finalement à questionner la posture enseignante.

Comme deux danseurs

Dans nos travaux, nous appréhendons la posture enseignante, notamment en matière d’évaluation formative, à l’aide de la notion d’ajustement, dans la continuité des travaux de Dominique Bucheton qui proposent un modèle de l’agir enseignant centré sur des gestes professionnels ajustés.

La notion d’ajustement est inhérente à toutes les interactions entre des personnes qui tentent de communiquer, et s’ajustent, souvent de façon tacite, comme deux danseurs qui essaient d’évoluer sans se marcher sur les pieds, pour reprendre la métaphore de Gérard Sensevy à propos des ajustements didactiques. Nous définissons l’ajustement comme une posture basée sur des registres de gestes professionnels qui visent à répondre à l’imprévisibilité de la situation et aux besoins d’apprentissage des élèves, dans une combinaison de flexibilité et de vigilance à la fois réflexives et pragmatiques, pédagogiques et didactiques.

Notre approche de la posture d’ajustement s’appuie sur les compétences d’observation et d’écoute, fondamentales dans la professionnalité enseignante, mais souvent oubliées. C’est pourquoi nous avons élaboré une modélisation de la posture d’ajustement basée sur un losange systémique qui articule quatre dimensions indissociables : « penser dire faire observer-écouter ».

Modélisation systémique de la posture d’ajustement

Modélisation systémique de la posture d’ajustement

Cette posture réactualise la figure du praticien réflexif, dans une forme d’enquête qui appréhende l’observation et l’écoute comme de véritables gestes professionnels, au service d’une évaluation formative ajustée, dans le feu de l’action, au cœur des situations d’apprentissage des élèves. Philippe Perrenoud avait déjà souligné l’intérêt de l’expression « observation formative » pour se distinguer de l’expression « évaluation formative », trop connotée à des pratiques formelles de contrôle de conformité, à partir de supports dédiés.

L’observation, une évaluation non formelle

Savoir observer et écouter les élèves en activité permet à l’enseignant d’ajuster de façon réflexive (penser), personnalisée et située, son faire (ses interventions sur le milieu didactique, la situation d’apprentissage) ou son dire (ses remarques, ses conseils ou ses questions), dans une direction ou une autre : faire dire, faire expliciter, faire refaire, faire comprendre, ou faire silence, pour laisser l’élève réfléchir, s’exprimer, éventuellement se tromper. Oui, se tromper, car la posture d’ajustement s’inscrit dans une démarche chère à Jean-Pierre Astolfi qui fait de l’erreur un outil pour enseigner, et donc un outil qui permet à l’élève d’apprendre.

Les observations des enseignants qui cherchent à s’ajuster à leurs élèves au cœur de leur activité d’apprentissage sont des gestes professionnels souvent passés sous silence d’une forme d’évaluation formative non formelle mais bien réelle. Que peut observer un enseignant qui cherche à s’ajuster à l’activité de ses élèves ? Cet élève s’engage-t-il dans la tâche ou fuit-il ? Semble-t-il comprendre ce qui est demandé ? Fait-il de son mieux ? Montre-t-il des signes de stress ? Quelles stratégies emprunte-t-il ? Quels obstacles rencontre-t-il ? Ces dernières questions ne pourraient pas se contenter d’une simple observation.

Offrir de meilleures perspectives d’apprentissage

Que peut donc écouter l’enseignant et comment ? Il peut se concentrer sur les échanges entre élèves, sur leurs remarques ou leurs questions. Il peut également questionner un élève s’il veut mieux comprendre où il en est dans la tâche proposée. Il passe alors par un questionnement d’explicitation qui nécessite un véritable savoir-faire, car il s’agit d’une technique contrintuitive, comme Pierre Vermersch l’a montré.

L’enseignant qui questionne un élève se concentre alors sur les formulations de ses questions afin de lui laisser le temps de réfléchir, ne pas induire les réponses, et lui faire décrire ce qu’il fait ou ce qu’il pense. L’enseignant écoute attentivement ce que lui dit l’élève, afin d’essayer de comprendre ce qu’il a fait, comment il s’y est pris, ou ce qu’il ne comprend pas. Il s’agit de construire des hypothèses interprétatives de ses possibles stratégies ou difficultés d’apprentissage (lien écouter-penser) pour ensuite proposer une éventuelle aide (faire ou dire). Cette posture d’ajustement se centre sur l’activité de l’élève, son point de vue sur ses apprentissages.

Ainsi, l’enseignant qui écoute et observe attentivement ses élèves en train d’agir, de s’exprimer, peut identifier des informations relatives à leurs besoins d’apprentissage, qui lui permettront ainsi de proposer une aide plus efficace, ou de modifier la tâche proposée en jouant sur les variables didactiques. Ces ajustements permettent des feedbacks, c’est-à-dire des régulations, que ce soit pour l’activité de l’élève afin de dépasser un obstacle, par exemple, et ainsi consolider une connaissance ou une compétence, ou celle de l’enseignant, qui peut ainsi jouer sur les registres pédagogiques et didactiques, pour offrir à l’élève de meilleures perspectives d’apprentissage. C’est pourquoi nous parlons d’une évaluation formative ajustée.

Éric Saillot
Maitre de conférences en sciences de l’éducation, université de Caen Normandie