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Être et avoir

Avoir été et avoir eu

Le dernier film de Nicolas Philibert « Être et Avoir » est sans conteste un film remarquable, tant par la poésie et la générosité qui s’en dégagent que par une maîtrise rare d’un enchaînement narratif que l’on n’attend pas dans une œuvre documentaire (preuve d’un travail de montage intelligent).

Nicolas Philibert filme « au réel » une classe unique dans un petit village en plein cœur de l’Auvergne. Là, pendant près de deux heures, nous entrons dans une sorte de huis clos ; la classe unique de Monsieur Lopez. Et, c’est toute la magie du film, nous y entrons comme des voleurs, grâce à cette discrétion, inattendue au cinéma, dont sait faire preuve l’auteur.

Au fil de l’histoire, on comprend bien les intentions de celui-ci ; filmer une histoire véritable entre des êtres uniques et dans un lieu tout aussi unique. C’est la singularité que vise Philibert. Histoires singulières que celles de Nathalie, Olivier, Julien, Jojo. Histoires singulières que ce lien tissé par le maître avec chacun des élèves. Histoires d’amour certainement. Humanité en marche, dans ce qu’elle peut recéler de plus magnifique, émouvant et mystérieux.

On rit, on s’émeut, on pleure même. Tous les ingrédients sont là pour que le film soit une totale réussite. Pourtant, malgré cela, pour certains collègues, se dégage une sorte de malaise à la sortie du film.

C’est que Monsieur Lopez, à un an et demi de la retraite, pratique un enseignement assez traditionnel. On comprend bien que la pédagogie n’était pas le projet ni le propos du film. Celui-ci ne s’adresse pas aux « professionnels de l’éducation » mais à un public large, preuve que l’école est bien le problème de chacun. Toutefois, on ne peut pas ne pas voir ce qui se pose là en surbrillance, en contrepoint. Figure puissante et insistante d’une « certaine » école.

Silence impressionnant des élèves qui ne parlent que pour finir les phrases commencées par l’enseignant, ou pour acquiescer à ses interprétations hasardeuses de situations interpersonnelles en jeu. Pédagogie de la réponse plus que du questionnement. Fonction paternelle forte que notre collègue assure dans la classe et qui confine à la toute-puissance. Le maître personnifiant la loi plus qu’il ne la symbolise. Sans médiation aucune que pourraient être un règlement écrit, un conseil de classe hebdomadaire. Tout ce qui a trait à la loi passe par l’enseignant, sans négociations ou instances mises en place…

Qu’en est-il de la pédagogie active où les élèves construisent leurs savoirs par interactions avec leurs pairs et avec l’adulte, d’une école lieu démocratique d’expression et de débats (pour réguler la vie en groupe ou pour apprendre), d’une école où il est possible de se tromper, de recommencer, d’expérimenter, de reformuler, d’exercer un esprit créatif et critique dans tous les domaines de la connaissance, d’une école résolument différente de l’image d’Épinal chère à Marcel Pagnol dans La gloire de mon père…

On en est loin, hélas !

Il n’est pas question ici de mettre en cause et stigmatiser ni Nicolas Philibert, ni Georges Lopez. L’auteur justifie le choix de cette classe et de son enseignant plus pour ses vertus narratives (une vraie histoire humaine s’y déploie) que pour son caractère didactique.

Indépendamment des remarques faites plus haut, Georges Lopez montre un dévouement sans faille, un amour véritable de son métier, une attention différenciée à chacun de ses élèves. Et c’est là ce qui constitue la réussite de ce film.

Christophe Roiné, conseiller pédagogique, Bordeaux.


Regard sur le film

Oui, Georges Lopez aime son métier : dès les premiers instants du film, je le devine heureux d’être en classe à aider ses élèves jour après jour dans leurs difficultés d’apprentissages. Ce qui frappe, c’est le climat d’exigence et de respect dans lequel ce maître d’école a choisi de faire travailler sa classe. Les activités d’écriture, de calcul, la participation des élèves se font dans le calme et dans l’idée que chacun doit terminer le travail demandé.

Georges Lopez a la vocation, comme il le confie à la caméra. Et c’est émouvant de l’écouter évoquer la fierté de ses parents, émigrés espagnols, devant son rêve abouti.

Classique dans sa façon d’enseigner, Georges Lopez n’en possède pas moins de grandes qualités d’écoute et de disponibilité : il sait réconforter un enfant dans la peine, entourer une élève en difficulté relationnelle, bref, il sait être là pour ses élèves.

Il ne s’impatiente jamais, en témoigne cette séance pratique de cuisine où avec humour il récupère discrètement sur la table un jaune d’œuf échappé des doigts malhabiles d’Alizé.

Son austérité naturelle s’efface devant les bons mots de Marie et devient tendresse quand il ôte à l’éponge les tâches de peinture sur la bouille de Jojo.

Il n’a pas de complexe ni avec le vouvoiement ni avec l’autorité : il réprimande fermement l’enfant fautif lors d’une bousculade dans la cour et assume ainsi son rôle de maître sévère.

J’ai été institutrice dans des écoles de campagne bretonne et je retrouve ici avec bonheur les émotions de ma vie en classe. Je suis heureuse de voir que mes convictions sont toujours partagées.

Marie-Noëlle Delamotte, professeur de lettres, collège Saint-Joseph, Questembert (Morbihan)


Un film en débat

« Georges Lopez est un maître du type troisième République… une espèce en voie de disparition quoi ! ». Telle est l’exclamation de l’un des participants à la projection, en avant première, du film « Être et avoir », dans la petite salle du cinéma des Contamines-Montjoie, en août à la Rencontre CRAP 2002. En fin de séance, nous avons eu un débat avec Nicolas Philibert, le réalisateur.

« Je n’ai pas choisi de montrer un maître modèle ; mais j’ai pensé que ce maître-là donnait une belle image de son métier » dit-il. C’est vrai que Georges Lopez, instituteur en milieu rural, dans une classe unique du Puy-de-Dôme, est beau. Il est attentif à la particularité de chacun de ses treize élèves, répartis de la moyenne section de maternelle au CM2. Il entretient dans sa classe une atmosphère chaleureuse facilitant les contacts et la parole. Malgré son air rigide, il écoute, se fait aussi discret que la caméra qui effleure avec pudeur les enfants.

Pourtant, sa présence irradie, fascine presque, mais dans la bienveillance et le respect. Chaque élève est une personne de la classe au même titre qu’un personnage du film. Seriez-vous aussi un humaniste Nicolas Philibert ? Vous nous faites rêver à une école où tout le monde aurait sa place et où la parole circulerait. Ça n’existerait donc pas partout, dans toutes les écoles de France et de Navarre ?

Votre choix est de nous présenter un homme dans sa fonction d’enseignant en passant sous silence sa vie privée et sociale. Certains regrettent l’absence d’un point de vue sociologique. Vous leur répondez avoir préféré « raconter une histoire, une histoire qui dit comment on apprend à lire, à compter et à grandir ». La multiplication résiste à Julien comme les tâches de peinture sur les mains de Jojo. Un réel bonheur, les petits de maternelle accompagnant les CM2 dans la visite de leur futur collège. Olivier pleure en racontant la maladie de son père. Une bagarre dans la cour. Une sortie scolaire dans les champs de blé… et tous ces petits riens du quotidien qui font la vie.

À ceux qui insistent sur la personnalité vieillotte du maître de la classe, sur ses méthodes souvent dépassées, comme à ceux qui le trouvent actuel, vous rappelez que vous n’êtes pas un spécialiste de l’enseignement et que vous ne portez pas de jugement sur sa pédagogie.

Quant à moi, ces avis divergents au cours du débat n’ont en rien gâché mon plaisir. Je n’aime pas les idéaux mais les êtres de chair, ceux qui ont des qualités mais aussi des défauts, ceux qui sont experts et maladroits, bref les gens comme vous et moi, et comme lui le maître, et comme eux tous, les élèves.

J’avoue avoir fondu devant les images de paysages rudes, j’ai grelotté dans le vent froid d’Auvergne, les yeux cinglés par les flocons de neige, j’ai aimé les champs de blés verts, les fermes familiales, les troupeaux de Salers, la traite des vaches… jusqu’à la marche arrière de Julien sur son tracteur. Je me suis reconnue chez moi.

Lecteurs des Cahiers, vous n’êtes pas Auvergnats ? Rassurez-vous, personne n’est parfait… Que vous soyez issus de la cuisse d’un tel ou de la côte d’un autre, ce film vous charmera. C’est du bonheur avec des sourires, des rires et des larmes. C’est aussi, pourquoi pas, une mine à idées pour vos futurs débats entre collègues : charisme, modernité, méthodes traditionnelles, droit à la parole, respect, hétérogénéité, solitude de l’enseignant… Ça vous dit quelque chose ?

Françoise Hugon, professeur des écoles, école maternelle Dammarie-les-Lys (77).