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Être enseignant en Andalousie

Être accueilli à l’Instituto d’Educación Secundaria Pablo-Picasso, dans un quartier populaire de la périphérie de Séville, par un concierge qui maitrise parfaitement la langue de Molière, c’est une belle surprise. C’est extrêmement facilitateur lorsqu’on se présente, bafouillant un peu, après seize heures de voyage. Lorsque mon hôte me conduit dans le bureau de la directora, m’invitant à l’attendre pendant qu’elle est en cours, mon étonnement s’accroit. Dès lors, sans perdre de vue mon projet de comparer les systèmes éducatifs français et espagnol, je décide de faire parler chacun des responsables de l’IES sur sa vie professionnelle.

J’apprends ainsi que l’enseignant du service public espagnol est un fonctionnaire d’État, employé et payé par la région. Excepté quelques agents non liés à la pédagogie (cuisine, entretien, lingerie, etc.), tous les personnels sont des pairs ; il n’y a dans le système espagnol pas de différence de statut entre enseignants et personnels de direction et d’administration, ni agrégés, ni certifiés depuis que l’agrégation (catedrático) a disparu ; le temps de service est organisé en vingt heures de cours, cinq heures de tâches internes indispensables au bon fonctionnement de l’établissement et cinq heures pour des réunions ou des formations hors les murs.

L’IES Pablo-Picasso ouvre ses portes à 8 h 15 et les ferme à 14 h 45, pour une sorte de journée continue de six heures, avec une pause de trente minutes à 11 h 15.

Lorenzo, qui m’a accueilli le premier matin, donnait au lycée à cette heure-là une heure de guardia et s’il maitrisait si bien notre langue, c’est parce qu’il est professeur de français. Les cinq heures données à l’IES occupent les enseignants à des tâches qui, en France, relèvent le plus souvent d’une spécialité ou d’une formation particulières.

Anabel, professeure de langue et de littérature espagnole, est ainsi coordonnatrice de la bibliothèque. Trois enseignantes sont chefs des études, qui ont le rôle de conseillère principale d’éducation, sans doute allégé du fait que les professeurs principaux (tutores) ont en charge la relation avec les familles qui sont accueillies, beaucoup plus que dans les lycées français, pour évoquer les difficultés de leur(s) enfant(s).

Certains enseignants, parce qu’ils ont une charge importante hors enseignement, bénéficient d’une décharge horaire dans le face-à-face pédagogique : Alicia, la proviseure, ne donne que six heures de cours de français ; Saúl, proviseur adjoint, dix heures de mathématiques et Maite, gestionnaire, huit heures d’anglais. La seule personne qui n’a pas de charge de classe est la professeure de psychopédagogie qui assure l’éducation spéciale de petits groupes d’élèves en situation de handicap cognitif.

J’ai ressenti une ambiance de collégialité, de camaraderie professionnelle qui émane de chaque activité, de chaque occasion de faire équipe proposée par la directora et le vice director, choisis par leurs pairs. Le vouvoiement n’existe pas (il a quasiment disparu de la langue orale espagnole), le serrement de mains non plus, ce ne sont qu’accolades, embrassades, occasions de se retrouver et d’échafauder de nouveaux projets pendant ces heures contraintes où l’on ne sort pas de l’IES. J’ai participé à une réunion de direction, à un conseil pédagogique et j’ai savouré le plaisir de voir que lors des discussions (sur la structure pédagogique de l’année suivante), tous les arguments étaient pesés, discutés et qu’aucun argument d’autorité ne venait couper le débat.

Pourrait-on voir notre système éducatif évoluer ainsi ? Il faudrait déjà venir à bout d’un tropisme qui nous paralyse : s’accrocher à ce que l’on a et redouter le changement.

Daniel Comte
Proviseur adjoint du lycée polyvalent de Bras-Fusil, Saint-Benoit (La Réunion)