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Être autonome, c’est : chercher à comprendre
Un objectif réaliste

L’A.P.L.V.[[A. P.L.V. = Association des Professeurs de Langues Vivantes,]] a non seulement dit, mais aussi démontré – notamment lors de la discussion des projets Pelletier et lors des débats conduisant à la rédaction de la Charte des Langues – que le procès intenté à l’enseignement des langues, dont la pièce maîtresse se voulait un constat d’échec pratiquement sans appel, était un procès truqué. Cela ne veut point dire que l’A. P.L.V. soit satisfaite de la situation présente, il s’en faut de beaucoup, mais elle entend, avant que l’on propose telle ou telle solution, telle orientation, que les problèmes soient correctement posés : c’est là le sens de sa démarche critique – aussi bien vis-à-vis d’elle-même que visà-vis des autres – qui constitue l’une de ses raisons d’être.
Il est rapidement apparu que le débat sur l’enseignement des langues ne pouvait se réduire à la validité de postulats linguistiques en tant que fondements d’une didactique, et qu’il fallait nécessairement tenir compte des conditions dans lesquelles sont placés professeurs et élèves – horaires, effectifs, niveau de formation des maîtres, par exemple – et non moins nécessairement des finalités assignées à cet enseignement – ; de la réponse qu’il convient de donner à la question : â quoi sert l’enseignement des langues dans le système scolaire? – autrement dit d’un choix explicite qu’il faut bien appeler politique. L’A.P.L.V. fut ainsi conduite à cette idée que finalité et conditions déterminent les objectifs, et qu’il convenait d’abord de dire s’il y avait, dans les faits, cohérence entre ces trois termes: finalité, moyens, objectifs. L’A.P.L.V. soutient qu’il y a incohérence: si l’on admet la triple finalité de l’enseignement des langues (enseignement d’un outil de communication, d’une culture, et rôle formateur de cet enseignement), si l’on ne peut espérer une transformation radicale des conditions, il est indispensable de chercher à définir des objectifs réalistes, car il n’est pas réaliste d’espérer atteindre pour l’ensemble des élèves qui arrivent en Terminale ce que l’opinion – mal informée du reste – attend et ce à quoi s’est confusément ralliée une partie de la communauté éducative : une vague apparence de bilinguisme.

Ainsi s’explique l’importance accordée au développement des « quatre aptitudes » – lire, entendre, parler, écrire – et cela paraît, somme toute, légitime. Ce qui l’est moins, c’est l’obsession de la performance immédiate qui affleure sans cesse dans la pratique sous l’influence de théories linguistiques qui ne sont pas nécessairement adaptées aux réalités de notre système éducatif – confusion de l’apprentissage in situ d’une langue seconde et apprentissage « extensif » d’une langue étrangère par exemple – et qui conduit, pensons-nous, à ne pas accorder au processus même de l’apprentissage la réflexion qu’il mérite, lorsqu’il n’est pas, dans certaines pratiques, purement et simplement négligé. Nous en sommes donc venus à considérer qu’il existe une cinquième aptitude, essentielle, chez l’apprenant, sur laquelle il convient de faire porter notre effort, et que nous appelons aptitude de l’apprenant à prendre en charge son apprentissage. Nous ne nous cachons pas que nous avons beaucoup à faire pour définir précisément cette aptitude, mais nous sommes suffisamment certains, au vu des recherches actuelles en didactique, que nous pouvons, dès aujourd’hui, centrer sur cette aptitude la définition de nos objectifs. Bref, nous tenons que, dans notre système, il est nécessaire d’amener nos élèves à leur degré maximal d’autonomie dans l’apprentissage, conçue comme condition de leur autonomie dans la pratique de la langue étrangère. Cela veut dire, concrètement, que l’élève doit, un jour, lorsqu’il a quitté le lycée, l’I.U.T., etc., être en mesure de poursuivre l’apprentissage de la langue dont il a besoin, et qu’il nous incombe impérativement de lui fournir les outils qui lui seront indispensables à cette fin.

Il semble que cette conquête des capacités à l’apprentissage de la langue sera conduite selon des modes qui dépendront de l’élève lui-même, que les niveaux d’autonomie seront atteints à plus ou moins brève échéance, et que ce noyau de pédagogie différenciée est d’abord appelé à revitaliser l’enseignement des langues dans le second cycle – comme y contribueront les nouvelles épreuves écrites proposées pour le bac, dans un esprit qui n’est pas fondamentalement différent.
Les axes de recherche ainsi définis, comme l’ont montré les récentes thèses de Danielle Bailly[[ Cf. D. BAILLY, Eléments de didactique des Langues, l’activité conceptuelle en classe d’anglais, A.P.L.V., 19 rue de la Glacière, 75013 PARIS, 1983.]] et d’André Gauthier[[Cf. A. GAUTHIER, Opérations énonciatives et appropriation d’une langue étrangère en milieu scolaire, A.P.L.V.]], publiées par l’A.P.L.V., mettent en évidence l’activité conceptuelle de l’apprenant, la reconstruction du système de la langue étrangère qu’il doit s’approprier de façon durable, comme garantie et support de son efficacité opératoire. Cela suppose une éducation de la réflexion linguistique, guidée et contrôlée, donc l’acquisition des outils et méthodes d’analyse, de la confrontation de la langue étrangère avec elle-même et avec la langue maternelle, dont il n’est plus possible de feindre qu’elle ne joue aucun rôle positif dans la compétence linguistique qui permet l’appropriation du système étranger.
Un tel entraînement de l’élève à la réflexion linguistique, à une démarche cognitive qui ne saurait cependant être tenue pour une fin en soi, ne peut être que progressif et doit se fonder sur la maîtrise opératoire d’un programme de base : c’est dire l’importance que revêtent dans cette perspective les acquis du premier cycle, et, parmi ceux-ci, ce que l’on pourrait appeler le développement de la conscience linguistique, et l’habitude d’un travail rigoureux.
L’autonomie, au sens large, nous paraît être possible dans ces conditions, mais il n’appartient pas au seul linguiste d’en définir les formes et les modalités en tant que pratique pédagogique. Les linguistes et l’A. P.L.V., au seuil de cette recherche, ne peuvent que s’associer aux travaux interdisciplinaires qui les préciseront; par contre, il leur semble urgent, dès aujourd’hui, non seulement pour reconstruire le système d’enseignement des langues, mais pour participer à la rénovation de l’ensemble, d’affirmer que tel doit être leur objectif prioritaire : définir ce que seront les savoir et savoir-faire qui constituent l’aptitude à l’apprentissage autonome, et proposer les pratiques pédagogiques adéquates.

Gérard Hardin