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Dans un sketch sur l’allumage d’un barbecue, l’humoriste Roland Magdane déclare : « Je me demande toujours comment des hectares de forêt peuvent s’enflammer en cinq minutes avec un petit mégot, alors qu’avec quatre litres d’alcool à brûler et deux boîtes d’allumettes familiales il me faut au minimum deux heures pour allumer quatre brindilles ! » De la même façon, en éducation, on pourrait bien dire : « Je me demande toujours comment des jeunes peuvent se passionner pendant des heures pour un sujet quelconque alors que moi, avec mon savoir, mes programmations, mes leçons et mes menaces il me faut au minimum deux heures de travail pour intéresser quatre élèves ! »

Car trop souvent, les organisations scolaires – en conformité avec une conception encore fort répandue – sont davantage pensées pour l’enseignement des adultes que pour l’apprentissage des jeunes. Le déversement de flots vagues de connaissances noie plus qu’il n’embrase nos petites brindilles parties jouer les bateaux ivres au grand dam de leurs haleurs ! Non seulement bien des « cours » renvoient à des questions ignorées des élèves mais pire, il n’est même pas perçu qu’il s’agit de réponses et de conquêtes. On peut toujours se voiler la face pour ne pas la perdre, mais perpétuer ce fonctionnement revient à vouloir faire remonter l’eau d’une cascade. Il n’y a pourtant que dans les dessins d’Escher qu’on peut se donner pareille illusion.

Pensons que nous avons affaire à une « rencontre du troisième type », impensable autrefois mais rendue possible par la massification et la prolongation de la scolarité : celle de toute une jeunesse avec un savoir dont l’accès était jusque-là plus filtré que l’entrée d’une boîte de nuit sur les Champs-Élysées ! Dans la fine tuyauterie du secondaire, longtemps réservée à des éléments dont l’excellence et la pureté étaient obtenues par écrémage et raffinage, on a vu arriver des élèves, « bruts de décoffrage », à l’étroit dans ce circuit de distribution. Malgré les efforts, ce décalage reste immense dans un contexte social où se comptent par millions mal logés et chômeurs, enfants aux ventres creux mais à la tête saturée. Si l’on ne prend pas en compte cette inadéquation entre le fonctionnement de l’institution scolaire et son public, autant lancer des chenilles dans le vide pour leur apprendre à voler.

Dans notre société marchande, la recherche de l’immédiateté de l’assouvissement des désirs semble désormais la règle. Or, l’école doit rester cet espace structurant où l’on apprend à se retenir, se corriger, s’améliorer, autant d’impératifs qui diffèrent le plaisir d’une réussite que les élèves voudraient instantanée. Devant ce défi, il n’y a ni hasard ni fatalité. Nous savons pourquoi échecs et réussites adviennent, mais sous-estimons souvent les marges de manœuvre dont nous disposons, dans et hors du système éducatif. Tenons bon dans les choix de société à venir mais aussi dans nos pratiques, loin des renoncements de ce RMI intellectuel « lire-écrire-compter » qui séduit tant le ministre. Coluche prévenait, grinçant : « Le président, il est bien gentil, même qu’il nous laisse des libertés, que s’il nous les retirait personne dirait rien. » Troublant avertissement à l’heure où quelques snipers ont l’innovation pédagogique dans le collimateur.

S’il est vrai que les voyages forment la jeunesse, alors continuons à en organiser de toutes sortes vers les contrées variées de la connaissance, avec la ferme volonté de n’abandonner personne en route.