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Et si on se servait de ce qui marche ou a marché?

Avant de débuter la réflexion sur le nouveau baccalauréat et ses modalités, un constat préalable est nécessaire. L’ancien baccalauréat n’en pouvait plus d’agoniser chaque nouvelle année un peu plus : de sujets fuités en copies perdues et, pour son avant dernière année, des refus de corrections, du jamais vu depuis sa création en 1808. De manière concomitante, la massification du nombre de bacheliers (tout bac confondu, 79,7 % d’une classe d’âge en 2019 selon le MEN soit quelques 760 000 candidats avec 398 153 candidats soir 53 % des effectifs pour le bac général) nécessitait une adéquation entre modalités, finalités et évolutions sociétales et technologiques.

Premier diplôme de l’enseignement supérieur, dans les textes en tout cas, il ne servait plus véritablement de sésame puisque c’était le contrôle continu de la classe de première et des deux premiers trimestres de terminale qui, seul, était pris en compte pour le dossier de candidature dans le supérieur. Et ce, depuis la création du logiciel APB (Admission post-bac) en 2002, étendu en 2009, sans que cela ne fasse lever une quelconque opposition. Il fallait donc le réformer et l’alléger.

Mais… les intérêts et les convictions des syndicats passés au crible du ministère auxquels se sont rajoutées les guerres d’influence entre disciplines du secondaire ont fait basculer les conclusions du rapport de Pierre Mathiot de janvier 2018 en un conglomérat d’épreuves voulant ménager les uns et les autres et, in fine, mettant à mal les établissements scolaires.

Ambiguïtés

Le « 40 % de contrôle continu pour 60 % de contrôle final » affiché pour le grand public s’est transformé pour les établissements en la mise en place de contrôles nationaux continus, les fameuses E3C, à la fois épreuves du baccalauréat (le E) et contrôle continu (les deux derniers C) mais aussi communes à l’ensemble de la Nation (le 1er C) pour leur conserver le caractère national. On le voit, rien qu’à l’explicitation du sigle, cela ne va pas sans poser quelque ambiguïté !

Divisé en épreuves durant le deuxième puis troisième trimestres de la classe de première pour trois à cinq matières selon la filière (trois et cinq pour la filière générale, quatre et cinq pour les filières technologiques), à reproduire sur le premier trimestre de terminale, ces E3C font 30 % du « contrôle continu » contre 10 % seulement pour les moyennes mises sur les bulletins.

Les établissements scolaires ont donc à mettre en place plusieurs contrôles dans un temps borné nationalement après avoir choisi des sujets parmi une banque de sujets nationaux puis à les faire corriger toujours dans un temps borné nationalement. Et c’est peut-être là qu’est le plus gros problème : à la fois sur le plan organisationnel et sur le plan idéologique.

Local et national

Comment, en effet, concilier le local dans sa quasi plus petite unité, l’établissement scolaire, et le national? Comment concilier deux logiques qui ont leurs propres diktats? À l’échelle locale, il y a toujours des impondérables : un enseignant absent quelques jours ou semaines et de fait, non remplacé, un voyage scolaire prévu, un travail d’équipe disciplinaire non efficient ou impossible etc. et donc une incapacité réelle pour l’établissement de trouver deux fois pendant l’année scolaire des temps où il est possible d’organiser sur un niveau des épreuves communes. Cela met la collectivité à mal, face à des injonctions contradictoires dont elle ne peut venir à bout : d’un côté, l’injonction ministérielle, nationale et de l’autre la réalité de son terrain qui ne lui permet pas de proposer à ses élèves des évaluations pertinentes correspondant à leur propre progression.

Cela s’est trouvé amplifié cette année par les mouvements sociaux qui ont retardé voire empêché une progression ordinaire pendant ce deuxième trimestre dans un certain nombre d‘établissements. À cela s’est ajouté, pour les enseignants, la découverte et la mise en place des nouveaux programmes, ambitieux qui plus est.

Des modalités pratiques novatrices ont parachevé le tout amenant avec elles des problèmes techniques qui, dans le contexte posé ci-dessus, ont vite paru infaisables et insupportables et ont cristallisé le rejet de ces épreuves.

Listons-les rapidement :
– une banque de sujets nationaux avec quelque retard de mise en ligne et quelques problèmes (ponctuels) de connexion ;
– des sujets aussitôt choisis aussitôt mis en ligne avec, le plus souvent, leur correction ;
– une numérisation des copies et une redistribution virtuelle pour la correction qui connaît ponctuellement des bugs ;
– et qui nécessite, a minima, une découverte de l’ergonomie du logiciel nécessairement chronophage dans un premier temps.

Tout cela a amené à un rejet parfois violent de ces E3C pour un certain nombre d’établissements, selon leur contexte local. Rejet porté par des enseignants, des élèves, auxquels s’ajoutent une vive inquiétude et un fort questionnement de la part des personnels de direction.

Pour les enseignants, il s’agit de tout découvrir en même temps – nouveaux programmes, nouveau calendrier, nouvelles modalités…-, ce qui génère un fort état d’anxiété. La réforme du baccalauréat s’est imposée à marche forcée. Parallèlement, elle incite à un travail en équipe qui s’oppose à une vision « libérale » du métier d’enseignant.

Pour les élèves et leurs parents, cela correspond à une véritable inquiétude pour l’avenir. Dans une société française arc-boutée sur les résultats chiffrés et l’obtention de diplômes, les familles donnent une importante fantasmée à ces épreuves. Même si, in fine, elles ne comptent que pour 1,6 % de la note globale du bac chacune, elles n’en demeurent pas moins des épreuves comptant pour l’examen final auxquelles l’imaginaire confère un pouvoir fort. Leur nouveauté, enfin, rajoute encore à cette inquiétude sur laquelle l’impréparation réelle ou supposée surenchérit.

Pour les personnels de direction enfin, la lourdeur des procédures, l’organisation matérielle trop complexe qui les éloigne de leur mission de pilotage génère une perte de sens et les a mis à mal, pour certains, dans l’obligation qui est la leur, de faire appliquer les directives ministérielles.

Des propositions

Puisqu’il ne saurait être question de revenir au baccalauréat ancien, quelles pourraient être nos propositions d’amélioration?

Afin d’éliminer le bachotage ultérieur et de permettre la sédimentation du savoir, un véritable contrôle continu des deux ans du cycle terminal semble le plus simple à mettre en place. Les « 40% de contrôle continu » deviennent ainsi opérationnels à moindre coût temporel (celui des élèves, des enseignants et des personnels de direction) et émotionnel.

Les enseignants doivent se faire confiance dans leur capacité à évaluer leurs élèves, les compétences et connaissances acquises. Les « 60 % de contrôle terminal » restent néanmoins majoritaires mais liés plus fortement au projet personnel de l’élève : à ses deux spécialités choisies et gardées ainsi qu’au grand oral qui lui permettront d’expliciter ses choix et projets.

Du côté des séries technologiques, il est aussi des éléments qui peuvent facilement être modélisables quant aux projets pédagogiques et technologiques et leur prise en compte dans l’examen final.

Autre possibilité : dans ce contrôle continu à 40 %, on peut à moindre frais que les E3C actuels, envisager de modéliser les CCF (contrôles en cours de formation) du lycée professionnel ou de l’EPS (éducation physique et sportive) qui, après quelques errances, ont fini par se stabiliser et donner satisfaction et aux personnels et aux élèves.

Adaptation et souplesse

En effet, cela permettrait, avec un contrôle annuel des inspecteurs et/ou de commissions, de s‘adapter à la vie de l’établissement et à la vie de l’élève. Les équipes pourraient décider de leurs sujets et de leur période de passation. Ces sujets seraient pris dans la banque nationale de sujets, publiés en amont et donc connus de tous puisqu’il ne s’agit pas de chercher à piéger les élèves mais à vérifier leur degré d’acquisition. Dans certaines disciplines, l’histoire-géographie en particulier, il faudrait que les exercices d’histoire et de géographie soient désolidarisés l’un de l’autre et susceptibles d’être choisis indépendamment.

Ces souplesses permettraient à chaque établissement de trouver son rythme dans un cadre national posé c’est-à-dire que soient prises en compte ses particularités et/ou spécificités.

Une date butoir (fin d’année de première puis printemps de l’année de terminale) officialiserait la remontée des évaluations et leur permettraient d’être prises en compte valablement pour l’entrée dans le supérieur.

Il semble en effet que ce qui est le plus bloquant ne se situe pas tant au niveau des modalités pratiques (la numérisation de la correction ou autre) mais bien au niveau d’un calendrier rigide qui ne prend pas en compte la vie des établissements. En donnant une vraie latitude à l’intérieur d’un cadre national, chacun pourra y retrouver non plus un carcan vide de sens mais la possibilité de valider les acquis de ses élèves au fil des deux ans du cycle terminal.

Françoise Sturbaut
Présidente d’Éducation & Devenir


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