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Et si on les appelait EPP plutôt qu’EPI ?

La proposition d’introduction d’activités interdisciplinaires (EPI) dans les enseignements du collège a provoqué et continue de provoquer des débats où se mêlent des interrogations de diverses natures sur le principe des croisements disciplinaires, le travail coopératif des enseignants, la répartition entre les enseignements mono et interdisciplinaires, les thématiques proposées pour les EPI.
La façon dont on nomme les choses est importante. Après les IDD (itinéraires de découverte) et les TPE (travaux personnels encadrés), il a été décidé, pour les EPI, de mettre l’accent sur la dimension interdisciplinaire des pratiques envisagées.

Pour dire comment les disciplines se rencontrent, on dispose de trois préfixes

  • Pluri est celui des trois le plus souvent utilisé mais qui a la plus mauvaise presse. La plupart des sources consultables sur le Web présentent l’activité pluridisciplinaire comme une simple juxtaposition de disciplines, sans ajout, sans apport. Wikipédia la définit en commençant par en pointer les limites puis aussitôt après les effets pervers… Pluri ne fait pas rêver…
  • Inter est le plus apprécié des trois. L’interdisciplinarité est à la mode. Edgar Morin y est pour beaucoup. Elle est ce qui se passe « entre » les disciplines lorsqu’elles se rencontrent, qu’elles se fertilisent mutuellement et font naitre des connaissances nouvelles hors des disciplines mais également au sein de chacune d’elles, des connaissances qui n’auraient pas émergé sans cette confrontation. L’interdisciplinarité porte la promesse de savoirs affranchis des limites disciplinaires.
  • Trans est l’aboutissement de ce processus. Il est le plus ambitieux des trois : il vise le dépassement des cadres qui enferment les connaissances et les brident. Le transdisciplinaire ouvre sur le développement autonome de savoirs nouveaux, libérés des frontières disciplinaires.
    Cette vision présentée ici de façon schématique mériterait d’être approfondie, mise en question, notamment dans ses dimensions épistémologiques. Je vais me contenter d’en proposer une analyse simple, pertinente en contexte scolaire.


Revaloriser la pluridisciplinarité

Il me semble d’abord important de souligner que la présentation habituelle de la pluridisciplinarité comme juxtaposition stérile de disciplines n’est pas correcte. La pluridisciplinarité est certes une activité banale. Elle se pratique tous les jours et en tous lieux chaque fois que des personnes sont réunies pour accomplir ensemble une tâche complexe qui réclame des connaissances et des compétences variées. Pour autant, c’est une activité utile, indispensable même et pas si facile à mettre en œuvre. Il est bien évident que la coopération pluridisciplinaire exige, de la part des personnes qui y sont engagées, une organisation, un dialogue, une attention mutuelle et même de la solidarité dans l’exécution sans lesquelles l’échec est certain. Et puisqu’il s’agit de mobiliser des savoirs disciplinaires, chaque détenteur de l’un d’entre eux, avant d’apporter sa contribution au projet commun, devra convaincre ses compagnons pour obtenir leur confiance. Les arguments du type « ne vous inquiétez pas, je m’y connais… » n’y suffiront généralement pas.


Le pluridisciplinaire au collège

La démarche pluridisciplinaire est donc par nature complexe, exigeante, enrichissante et gratifiante pour ceux qui s’y engagent. Il est assez facile de se convaincre qu’elle a toute sa place dans l’éducation. Elle est couramment pratiquée dans l’enseignement primaire mais pas au collège où les enseignements disciplinaires occupent les élèves sur des tranches horaires distinctes. C’est donc incontestablement une bonne idée de l’introduire à ce niveau.
Pourtant, ce n’est pas la pluridisciplinarité que la réforme du collège semble promouvoir, mais l’interdisciplinarité. Où donc est la différence ?

L’interdisciplinarité inadéquate ?

Les activités interdisciplinaires visent à faire émerger des connaissances nouvelles entre les champs disciplinaires, mais également à faire en sorte que chaque discipline soit fertilisée par les apports conceptuels ou méthodologiques d’une autre. Des activités poursuivant de tels objectifs ont-elles leur place au collège ? Je ne le crois pas. Il n’est même pas nécessaire d’en expliciter les raisons, car il semble que les concepteurs de la réforme se soient simplement trompés de mot. Ils auraient dû parler d’enseignement pratiques pluridisciplinaires ou peut-être d’activités pratiques pluridisciplinaires plutôt que d’EPI.

Les mots ont leur importance, en éducation en particulier et a fortiori dans des textes programmatiques. Mais au moins peut-on les changer facilement. Alors pourquoi ne pas oublier les EPI et les remplacer par des EPP ou des APP ou n’importe quoi d’autre qui permettrait de sortir de ce malentendu ?


Serge Pouts-Lajus, Éducation & Territoires : Conseil en politique éducative