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Et si on aimait enfin l’école !

Ils se sont mis à deux, en cette période où l’on voudrait que l’école ne soit pas absente des débats nationaux, pour nous proposer d’ « aimer enfin l’école » : une ancienne dirigeante syndicale, très engagée dans la réflexion et l’action autour de la petite enfance et l’un des responsables de la revue Alternatives Économiques, que nous sommes nombreux à apprécier. Pour aimer l’école, sans doute faut-il la rendre plus aimable, mais d’ores et déjà, n’a-t-on pas des motifs de l’aimer telle qu’elle est, semblent nous dire les auteurs. Et s’il y a à changer, transformer, c’est en gardant ce qui, aujourd’hui, reste ses atouts et non en les liquidant ou en se tournant vers le passé. Voilà un des messages forts de ce petit livre, très facile d’accès et qui vise un public large, pour faire contrepoids aux innombrables pamphlets haineux ou accusateurs.

Les auteurs préfèrent manier la nuance et la modération. Ils ne se crispent pas dans une défense de « notre école agressée », mais essaient de peser ses mérites et ses défauts. Le dénigrement systématique envers l’école primaire, après un long moment d’indifférence, ne fait pas avancer les choses. D’autant que les solutions que certains prônent sont bien souvent le contraire de ce qu’il faudrait faire. Par exemple, fermer encore plus l’école au monde extérieur, aux parents, quand il faudrait abandonner l’impasse de l’ « école sanctuaire ». Et au lieu de vrais débats publics, on a droit aux polémiques stériles, aux coups de menton de ministres voulant flatter une opinion mal informée (exemple de la lecture).

On appréciera la tonalité positive du livre. Car sans partir de l’existant, comment « réformer » ? Il est bien noté que « la capacité à se réformer apparait dans la capacité de l’école à se réapproprier les nouveaux dispositifs, quand bien même ceux-ci ne suscitent pas l’enthousiasme ». Et les auteurs de citer les deux heures d’aide personnalisée par exemple.

Que faire ? Certainement pas nier la complexité des problèmes à résoudre, notamment celui de la mixité sociale ou celui des « habitus » de l’école qui, de fait, renforcent les inégalités et défavorisent les enfants de milieux populaires. Certainement pas non plus ignorer le potentiel innovateur de nombre de professeurs d’école. Mais partir de cela, favoriser le travail d’équipe et faire évoluer la conception même du métier. En commençant au moins par les endroits les plus défavorisés et en admettant qu’il faudra du temps pour que l’école évolue vraiment, sachant que de « bonnes circulaires » ne suffiront certainement pas (il est vrai qu’à l’heure actuelle, il s’agit bien souvent de « mauvaises » circulaires !)

Les auteurs proposent alors quelques pistes, pas si évidentes que cela si on les prend au sérieux. On lira avec satisfaction, concernant le socle commun par exemple, que « l’enjeu est : comment faire pour que tous les élèves maitrisent ce socle, même imparfait ». De même que ce qui est dit sur les syndicats d’enseignants, dont les pratiques « doivent évoluer » et qui doivent travailler avec des experts qui ne soient pas seulement « les proches qui valident leurs propres thèses ».

Jean-Michel Zakhartchouk


Questions à Nicole Geneix et Philippe Frémeaux

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Pourquoi avoir mis un titre qui placerait les choses sur un plan plus affectif que rationnel ?

Nicole Geneix : Tant mieux si le titre questionne ! On ne peut changer l’école si on ne l’aime pas, si on n’éprouve pas de l’empathie pour ses acteurs. Il ne s’agit pas de placer la réflexion sur un terrain affectif, mais d’affirmer que l’école est une aventure humaine pour les enfants qui deviennent des élèves, pour les enseignants qui participent à l’éducation, transmettent des savoirs et le gout d’apprendre, pour les parents qui confient leurs enfants à l’école avec espoirs et craintes. Ce livre est un appel à la bienveillance, ce qui n’empêche pas la lucidité, les critiques, les impatiences, car les difficultés de notre école sont bien réelles. La période de dénigrement que nous venons de vivre est contreproductive, elle décourage, sème le doute, le titre de ce livre est donc un appel à un renversement de tendance.

Vous évoquez la nécessité de « faire avec » un certain nombre de réformes, fussent-elles funestes ou dévoyées. Comment donc ne pas se réfugier dans le maximalisme ou la fuite en avant des (lointains) lendemains qui chantent ?

Nicole Geneix : Il est des réformes qu’il faut combattre vigoureusement ! Cela dit, la vie des enseignants est faite d’adaptations constantes, de détournements de dispositifs, etc. Un des problèmes majeurs vient de l’empilement des réformes et dispositifs en tout genre, c’est particulièrement vrai pour l’éducation prioritaire et la prise en charge des élèves en difficultés. Le problème n’est donc pas de se situer entre maximalisme et fuite en avant, mais d’avoir des objectifs ambitieux pour tous, tout en se préoccupant de proposer des étapes réalistes. S’il n’est pas question d’attendre le grand soir de l’école parce que les élèves ne peuvent pas attendre, il faut trouver le juste équilibre entre contestation et propositions. Pas toujours facile par les temps qui courent !

Pourquoi l’essayiste et journaliste que vous êtes a-t-il co-signé un livre sur l’école qui évoque assez peu les aspects économiques ?

Philippe Frémeaux : Nicole et moi nous connaissons depuis longtemps et partageons les mêmes valeurs. C’est pourquoi j’ai répondu oui sans hésiter quand elle m’a proposé de travailler avec elle sur ce livre. Il faut dire que j’ai moi-même été enseignant et qu’en tant que professeur, j’ai toujours pensé que mon travail était de faire progresser tous les élèves qui m’étaient confiés, en les prenant tels qu’ils étaient et non tels que j’aurais rêvé qu’ils soient. En outre, j’ai toujours aspiré à travailler différemment, plus collectivement, en étant plus à l’écoute des parents. Autant dire que je me retrouve à cent pour cent dans les propositions de Nicole. Sinon, je ne suis pas d’accord avec vous sur le côté « secondaire » de l’économie : ce livre parle constamment d’économie. Il s’efforce de définir les conditions à réunir pour réduire fortement le nombre d’élèves en échec. Or, c’est là un enjeu économique et social majeur dans la France d’aujourd’hui. Pour des raisons d’efficacité économique comme de cohésion sociale.

Dans les propositions évoquées, il y aurait un cout important. Est-ce que cout prioritaire n’implique pas un effort au niveau du secondaire, moins prioritaire ? À quoi faudrait-il renoncer ?

Philippe Frémeaux : La dépense par élève dans l’enseignement primaire est plus faible en France que dans bien d’autres pays de l’OCDE. Même si tout n’est pas une question de moyens, imaginer qu’on va pouvoir changer l’école à moyens égaux n’est pas sérieux. Cela passe par la création de nouveaux postes d’enseignants et aussi d’autres catégories de personnels comme nous l’expliquons. Sinon, il est clair, par les temps qui courent, qu’on ne va pas pouvoir tout faire à la fois. D’où l’idée qu’il faut commencer par donner enfin plus de moyens aux écoles où se cumulent le plus de difficultés. Au-delà, les changements qui sont préconisés dans ce livre profiteraient à tous les élèves, et pas seulement aux plus faibles.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk