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Essaimer par l’ouverture

Sa première expérience dans le monde de l’éducation est celle du bénévolat auprès de jeunes femmes qui avaient perdu l’usage de la lecture. Favoriser la réappropriation des codes qui permettent de faire des courses, de passer le permis, de vivre le quotidien sans les obstacles du sens des mots écrits, la conduit à une interrogation essentielle « comment en arrive-t-on là en ayant fait partie du système scolaire, comment perd-on l’usage des apprentissages de base » ?

Elle passe le concours de professeur des écoles en candidate libre, se préparant en explorant les ressources et les fiches conseils sur Internet. Elle l’obtient et enseigne pendant dix ans. Dès la septième année, elle a envie de partager son expérience et ses valeurs avec les collègues débutants, pour mieux comprendre les difficultés, pour proposer des solutions imaginées pour aborder la première année de classe, pour mettre en application ce qui avait été appris à l’IUFM. Elle passe un CAPIPEMF option arts, complète ainsi ses connaissances des problématiques éducatives, ses méthodes avec les apports d’autres professions, cinéastes, écrivains, journalistes.

Nommée dans une école d’application au sein d’une zone d’éducation prioritaire, elle expérimente de nouvelles manières d’enseigner, pour permettre à ceux qu’elle accueille dans sa classe, primo-arrivants, enfants du voyage, issus de cultures éloignées du système scolaire français, d’apprivoiser les savoirs de base. Elle s’appuie sur les passions de chacun, l’astronomie ou encore les dinosaures et, à l’aide d’un I-Pod, propose des séquences filmées où les textes sont retranscrits. Elle emprunte les jouets de ses filles pour monter les scénettes. Le multilinguisme l’intéresse, alors elle passe un second CAPIFEMF, en langues vivantes étrangères cette fois.

Elle apprécie beaucoup son rôle de formatrice qui, de l’IUFM, la mène à l’Espé et lui permet de contribuer à l’élaboration des maquettes des futures formations dans le cadre de la mastérisation souhaitée par le législateur. On lui parle du métier d’inspectrice, elle va voir ce qu’il revêt concrètement pour s’éloigner un peu de ses propres représentations. « Je me suis dit que je pouvais agir auprès des élèves en ayant une autre fonction ». Son interrogation de départ sur la dimension inclusive de l’école est toujours présente, comme une constante dans son parcours.

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Son expérience de l’inspection du premier degré investit des territoires de l’académie de Besançon fort différents : une circonscription montagnarde, « où les enfants chaussent les skis de fond à la récréation », puis Montbéliard, une ville où « les tensions de la société peuvent se ressentir au niveau de l’école » et, enfin, le secteur de Vesoul composé, en dehors de la capitale départementale, de petites communes rurales. Elle poursuit son chemin en tant que déléguée académique numérique adjointe premier degré. La question de l’équipement s’envisage dans un partenariat entre l’école et les collectivités locales : communes, syndicats à vocation scolaire, communautés de communes. Elle observe les évolutions, les arbitrages de plus en plus favorables lorsque dans les conseils municipaux il faut choisir entre l’acquisition d’équipements numériques ou l’amélioration de la voirie. Elle affectionne cette mise en relation entre les acteurs, sans oublier les parents d’élèves dans ce qu’elle nomme « une véritable mutation pédagogique ».

« Est ce que l’on pourrait imaginer une nouvelle théorie des apprentissages scolaires ou l’émergence d’une didactique du numérique ? ». Elle ne tranche pas mais souligne la nécessaire « acculturation à la littératie numérique » et définit sa mission autour de la question « comment permettre aux enseignants et aux parents d’être accompagnateurs dans cette appropriation qui est désormais incontournable et dont la maîtrise progressive est inexorable ? ».

Côté parents, l’enjeu n’est pas négligeable : « Il faut aussi accompagner les parents dans leur “parentalité numérique”. » La demande surgit lorsque le climat scolaire se détériore, lorsque les craintes au sujet des réseaux sociaux enflent. L’attente des enseignants porte sur la formation et sur l’acculturation pour accompagner au mieux les usages de leurs élèves. La réponse est bien souvent dans l’apprentissage par et pour le numérique pour tous. Nathalie Bécoulet se souvient des débats autour de la Journée de retrait de l’école, des fausses informations diffusées sur Internet et perçues comme scientifiquement fondées puisque publiées en ligne. La meilleure contre-attaque face à des parents convaincus fut celle d’explicitations de proximité en convoquant la raison par référence à ce qui se passait dans l’école de leurs enfants, loin des craintes véhiculées.

Côté enseignants, le défi est majeur en vue d’une généralisation des pratiques et des usages jusque là réservées en grande partie à des pionniers. Ces « aventuriers » développent de façon exponentielle leurs compétences et la question de l’essaimage se pose pour ne pas, une fois encore, creuser les écarts.

Plusieurs obstacles freinent cet essaimage : les disparités d’équipements, la transposition d’une expérimentation souvent intuitive et la difficulté d’être « formateur » auprès des collègues de son école, un décryptage complexe des enjeux éducatifs et sociétaux. A partir d’une cartographie de projets, l’initiative « viens voir ma classe » met en contact des enseignants qui souhaitent découvrir des projets avec des collègues volontaires pour accueillir, et parler de leurs expériences. Depuis cette année, des référents numériques dans les établissements identifient les questions, les besoins locaux de formation pour élaborer un plan de formation différenciée. Des « pauses numériques » sont organisées. D’une durée de 30 minutes elles sont conçues pour apporter une réponse concrète et mettre en lien des personnes ressources. « L’idée est de ne pas mettre la pression mais de donner différentes possibilités d’accompagnement sans caractère obligatoire dans une année où il y a beaucoup de changements pour les équipes ». Elle voit dans la réforme pédagogique du collège et la priorité accordée à l’école primaire des leviers essentiels pour relever les défis d’une École plus juste et plus équitable. « Il faut construire la progressivité des apprentissages sur le cycle 3, du CM1 à la 6e ». Le plan de formation intègre des journées communes où enseignants du premier degré, professeurs de second degré et professeurs documentalistes travaillent ensemble, acquièrent une culture et un langage communs, découvrent d’autres façons de travailler. « Sept à huit écoles composent le collège de secteur ; il faut une base partagée pour que les élèves puissent poursuivre leur parcours scolaire sans lacunes ». Elle constate chez les enseignants une volonté partagée, celle d’être utiles à tous, celle de réduire les inégalités scolaires. Là, ils peuvent regarder ce que font les autres, la différenciation en primaire par exemple, et construire ensemble les solutions concrètes pour une meilleure liaison entre les cycles.

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Autre constante dans son approche, la rencontre qu’elle voit comme un moyen sûr de faire évoluer les pratiques en classe. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle investisse le projet REFER (Rendez-vous des écoles francophones en réseau) qui associe des participants de toute la Francophonie. L’année dernière, les élèves des différents pays ont fait écho à la « petite poucette » de Michel Serres en implémentant l’ouvrage de leurs réalisations sous forme, notamment, de capsules vidéo. Ils ont présenté leur travail au philosophe. Ils ont échangé aussi entre eux. Les équipes de l’académie de Besançon doivent cette année, par exemple, préparer un voyage virtuel pour leurs homologues québecois et réciproquement en argumentant l’itinéraire, les visites.

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Le projet est un foisonnant prétexte pour apprivoiser les outils, en développer les usages pédagogiques et investir l’éducation au numérique. Il est aussi un support de formation et d’échanges pour les enseignants que le Rectorat, le CLEMI et Canopé animent ensemble. Cette année, le thème sera « quelles compétences à l’école pour un monde en mutation ? » avec une déclinaison en conférences et en ateliers, du marathon presse au concours de twittératture, en passant par un atelier de vulgarisation scientifique.

Dans l’essaimage des pratiques numériques comme dans l’accompagnement des orientations de la refondation de l’école, Nathalie Bécoulet s’attache à ce qui peut les rendre opérationnels, concrets pour ceux qui, au quotidien, les mettent en œuvre. Elle ne connaît rien de mieux que le partage et le décloisonnement pour une préoccupation devenue urgence : éviter la bombe à retardement pour la démocratie, celle grandissant avec le flux des élèves laissés au bord de la route scolaire sans avenir.

Monique Royer

Présentation de REFER