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« Entrer en mathématiques »

L’enseignement des mathématiques est-il à nouveau, trente ans après les « maths modernes », en train de vivre une crise ? Il pourrait sembler, à l’observateur extérieur, que sa place dans le système scolaire est inchangée. En 2006, le Monde de l’éducation titrait à nouveau sur « la dictature des maths », et la grande majorité des Français y voit encore une discipline purement formelle, envahissante, sans lien avec la vie « vraie », et qui fait souffrir inutilement beaucoup d’élèves. Les enseignants de mathématiques, eux, ont l’impression d’avoir perdu l’autorité reconnue et le rôle important qu’ils avaient dans les années 80.
Pendant les dernières décennies, pourtant, les recherches à tous les niveaux ont développé de multiples idées passionnantes, ouvrant la voie à des pratiques riches et variées ; les technologies nouvelles, de la calculatrice à l’ordinateur, ont révolutionné l’approche des maths à l’école comme dans la recherche et leurs utilisations dans la société. Internet fourmille d’exemples de travaux menés en classe à partir de l’histoire des maths, ou de recherches de problèmes (voir la sitographie p. 54).. De multiples concours, « fêtes de la science », des jeux, permettent d’entrer en mathématiques comme on n’aurait jamais envisagé de le faire il y a quelques années. Pour tenter d’éclairer ce décalage entre des représentations sclérosées (mais qui s’enracinent dans le quotidien des cours) des mathématiques et la richesse potentielle de leur enseignement, nous avons voulu, après le dossier de septembre 2004, consacrer un nouveau numéro aux mathématiques, en prenant comme fil directeur la question du sens.
Si les mathématiques conservent l’image d’une discipline ardue, c’est… qu’elles le sont. Car c’est bien de « faire » des mathématiques qu’il s’agit, pas seulement « d’apprendre ». Et pour cela, il faut entrer dans le domaine de l’abstraction : il faut franchir une porte, on n’est pas d’emblée à l’intérieur, on y pénètre progressivement, à partir d’ailleurs. On part de ce qui est là, réel, concret, parlant, et on construit cet abstrait qui ne doit pas tomber du ciel, sinon on n’est plus en mathématiques, (comme l’explique Isabelle Andriot en début de dossier). Respecter cette obligation, c’est la condition nécessaire pour que les notions abordées prennent sens pour les élèves.
L’ensemble des propositions des auteurs de ce dossier explorent les moyens d’amener les élèves à pénétrer ainsi dans la démarche de questionnement, à se saisir des problèmes. Dans la deuxième partie du dossier, nous avons rassemblé des textes qui proposent pour cela de changer de cadre : sortir de la classe pour une fête de la science, pour un rallye mathématique, sortir des notions programmées, pour y revenir mieux ensuite.
Dans la troisième partie, des exemples de séquences de classe, ancrées dans la question du langage, mettent en évidence que le sens se construit par un lent et patient travail sur les signes, les mots, les symboles, leurs liens et leurs articulations. Pour mieux comprendre le lien intime qui existe entre l’appréhension de notions mathématiques et les mots, la langue de tous les jours, il faut lire les textes de cette partie où les élèves eux-mêmes définissent le travail mathématique qu’ils font (Lahanier, Reuter), débattent ou racontent leurs raisonnements (Legrand, Van Lancker). Pour tous ceux qui s’interrogent sur les moyens de faire comprendre ce qu’est ce « x » qui caractérise l’algèbre, il faut lire le texte d’Olivier Arrouch et (sur le site), la séquence où il introduit la notation algébrique.
Tous ces exemples témoignent des grandes richesses dans lesquelles peut puiser un enseignement des mathématiques renouvelé. Mais ils ne répondent pas à la question qui sous-tendait le lancement de ce nouveau dossier : comment faire pour que les enseignants d’aujourd’hui se saisissent pleinement de toutes ces possibilités ? La dernière partie du dossier essaie de poser, modestement, quelques-unes des questions qui restent à résoudre : comment utiliser la révolution provoquée par les ordinateurs et calculatrices pour revoir en profondeur notre façon d’enseigner, comment former les enseignants de mathématiques, ceux des écoles comme ceux des collèges et lycées, pour qu’ils ne reproduisent pas les erreurs du passé, comment repenser les programmes de façon à promouvoir le sens. Ce n’est hélas pas du tout la voie choisie ces derniers temps pour les programmes de l’école primaire. Il n’en est que plus important de continuer à diffuser nos propositions.
Nous espérons que ce dossier suscitera, chez vous, lecteurs de toutes catégories, matheux ou pas, de l’intérêt et des réactions que nous serons heureux de lire.

Françoise Colsaët