Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

« L’heure a passé, j’ai demandé pourquoi écrire sa vie ? Ils ont dit c’est pour frimer, j’avais mal dormi, j’ai dit les vies des types qui les racontent sont pas forcément reluisantes, ils ont dit ils peuvent mentir et arranger, j’ai dit c’est sûr, ils ont dit t’façon on s’en fout qu’ils nous racontent leur vie, j’ai dit c’est intéressant parce que peut-être elle ressemble un peu à la nôtre, et même si elle ressemble pas à la nôtre justement c’est encore plus intéressant » (p. 191).
Voici un roman pour nous. Ce n’est pas un livre de pédagogie, mais un roman sans doute en grande partie autobiographique. Le narrateur est professeur de lettres dans un collège ZEP du 19e arrondissement de Paris. Il raconte sa vie et « elle ressemble un peu à la nôtre ». On y retrouve un peu de notre quotidien : le café pris dans la brasserie proche du collège pour ne pas arriver en avance le jour de la prérentrée ; les moments de rêverie, regard par la fenêtre de la classe tout en surveillant des élèves ; le malaise de voir une mère d’élève désemparée au cours d’un conseil de discipline qui vote l’exclusion définitive de son fils, etc.
François Bégaudeau – connu des lecteurs de la revue Cosmopolitiques pour ses articles sur le collège – s’inspire de son expérience de professeur de français et reconstruit la totalité d’une année scolaire : cent trente-six séquences – soit le nombre de journées de présence au collège -, organisées en cinq chapitres, ponctuées par les vacances.
Entre les murs du collège, on passe de la classe à la salle des profs ; du conseil d’administration au conseil de discipline ; du bureau du principal au conseil de classe ; etc.
Ce roman, subtilement engagé, nous fait entendre la vacuité du sens que peut avoir l’école, à la fois pour les élèves – et ce n’est pas nouveau -, mais aussi pour les adultes. Les professeurs apparaissent déboussolés, désemparés face aux 5e qui sont le « gros problème » du collège. Le conseil de classe n’est pas un lieu de travail : un professeur propose d’écrire sur le bulletin d’une élève : « travail aussi minuscule que sa taille » ! Un nouvel élève qui arrive dans la classe : le professeur n’a « pas été prévenu de l’arrivée du transfuge »… Le silence et la détresse d’un enseignant face à la mère de Mezut, qui pense que son fils est déprimé, ou à une autre qui s’inquiète du surpoids de Kevin. On voit alors deux mondes qui se frôlent et ne peuvent apparemment pas se rencontrer.
Pourtant, on est très loin des pamphlets habituels – comme le Collège de France de Mara Goyet, par exemple. Ici, c’est bien d’un roman qu’il s’agit, et on sort de cette lecture plein d’optimisme. Outre l’insignifiance de l’école, François Bégaudeau nous fait entendre, par petites touches, que la rencontre est possible. C’est Sandra qui, à la fin du cours, vient briser l’image que son professeur avait d’elle : elle lit La République et un échange s’engage entre eux sur Socrate. Pour que la rencontre soit possible avec Frida, c’est au tour du prof de se déplacer un peu et d’apparaître dans toute son humanité : « je m’excuse d’avoir utilisé […] des mots bêtes qui ne correspondaient à rien ». Ce pas de côté en engage un autre : « elle avait souri de son beau sourire de bonté fine et, ayant mal dormi, mes propres paroles me nouaient d’émotion ».
Un roman réussi. Ce n’est pas un livre d’analyse de pratique, mais, dans la mesure où il est ponctué de récits de situations de classe, cette lecture a aussi le mérite de nous renvoyer à notre propre pratique. Ce n’est sans doute pas le projet de l’auteur, mais ça aussi, ça lui échappe, comme les actes posés Entre les murs du collège.

Arnaud Dubois