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«Entraide, solidarité, coopération ont pris le dessus»

24 avril 2020

Quelles démarches avez-vous entreprises dans votre établissement après la décision du gouvernement danois ?
Nous avions deux semaines pour préparer cette réouverture. Notre premier scénario était l’alternance : couper les classes en deux et accueillir chaque moitié de classe un jour sur deux, mais ce scénario a été refusé par l’État danois qui souhaitait que tous les élèves soient accueillis tous les jours. Cela représentait des contraintes logistiques importantes. Nous avons donc travaillé sur l’hypothèse d’un accueil quotidien de tous les élèves de la petite section au CM2, plus les élèves de terminale, aux horaires habituels, les élèves de la sixième à la première poursuivant leur scolarité en télé-enseignement. Je précise qu’en Scandinavie, les jeunes élèves ont cours jusqu’en début d’après-midi.

Comment faites-vous pour accueillir tous les élèves, en respectant les consignes sanitaires ?
Les effectifs étant limités à douze élèves par division, les classes ont été partagées en deux : une moitié prise en charge par un enseignant, l’autre par un animateur, et inversement le lendemain. Les animateurs sont ceux qui interviennent habituellement sur les temps périscolaires, et nous en avons recruté d’autres pour la circonstance. Nous respectons ainsi le cahier des charges fixé par le gouvernement danois.
Et pour les enseignants ? Avez-vous rencontré des hésitations face à la reprise ?
Beaucoup de protocoles ont été conçus, beaucoup de documents ont été produits avant la réouverture, et surtout, nous avons beaucoup expliqué comment cela allait se passer afin de rassurer. Nous avons échangé avec le poste diplomatique, l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), le conseil d’administration (composé en majorité de parents d’élèves et présidé par l’un d’entre eux), les enseignants et les autres personnels impliqués. Cela a exigé un gros travail de préparation. Nous avons dû fournir des réponses à toutes les questions qui étaient posées par les personnels afin de les rassurer. Mais, une fois rassurés, tous les collègues ont répondu présent.

Le jour de la reprise, les élèves étaient-ils au rendez-vous ?
C’était comme une deuxième journée de rentrée scolaire. Il y a d’abord eu une journée de pré-rentrée, comme au mois d’août, puis la rentrée des élèves le lendemain. Ceux qui, habituellement, venaient seuls étaient accompagnés par leurs parents, et habillés « sur leur 31 ». Tout le monde était un peu fébrile le matin, aux portails. C’est normal.

Pratiquement, quelles mesures particulières avez-vous mises en œuvre ?
Les contraintes d’hygiène sont très importantes : nous effectuons une désinfection totale de l’ensemble des locaux tous les jours vers midi puis au départ des élèves après 14 heures. La cour de récréation est divisée en zones et les élèves sont répartis par groupe de dix ou douze, un groupe par zone. Les groupes ne se rencontrent pas, ça marche assez bien. Tous les emplois du temps du primaire ont été revus : on a remplacé les petites récréations par d’autres, plus longues et moins nombreuses : il n’était pas possible, pour tout respecter (circulations, lavage de mains), de maintenir des récréations de 10 min. Et les élèves avaient besoin de temps plus longs à l’extérieur. L’État danois recommandait d’ailleurs de rester autant que possible à l’extérieur ; dans la cour mais aussi dans les espaces verts proches du lycée.

Quelles premières conclusions tirez-vous, au terme de cette première semaine ?
La charge de travail a été et reste très importante. Je pense que cette nouvelle organisation a créé de la solidarité et de nouveaux liens entre les adultes, notamment entre les enseignants et les animateurs (appelés « pédagogues » au Danemark !). Alors que les cycles sont d’habitude plutôt cloisonnés, les professeurs d’EPS ont proposé leur aide, lorsqu’ils n’avaient pas cours, et pris des groupes d’élèves du primaire en charge à la journée ; idem pour les personnels de vie scolaire du secondaire. Ce qui en ressort, c’est quelque chose de positif : dans une cité scolaire allant de la petite section à la terminale, entraide, solidarité, coopération ont pris le dessus.

Ce que je peux dire, c’est qu’avec beaucoup de dialogue avec les familles et les enseignants, le déconfinement, c’est possible !

15 mai 2020

Trois semaines après cette reprise, avez-vous conservé le même optimisme ? Y a-t-il eu des imprévus ? D’heureuses surprises ?
Il y a eu quelques petits ajustements, ce qui est normal. Mais le fonctionnement reste globalement le même et donne satisfaction. Nous avons commencé par accueillir 85% des élèves des classes concernées par cette réouverture. Nous sommes aujourd’hui bien au-delà. Les familles réticentes ont vu que la reprise se passait bien, que les enfants étaient vraiment heureux de retourner à l’école, et ont rescolarisé leurs enfants.

Les élèves se sont-ils bien adaptés à cette « nouvelle école » ?
Les jeunes élèves aiment beaucoup ce nouveau rythme et les enseignants apprécient la qualité de ces temps de travail en petits groupes. Nous constatons aussi moins de disputes, moins de chutes dans la cour. Nos élèves de terminale sont moins enthousiastes ; ils sont déçus de ne pas passer le Baccalauréat, de ne pas avoir la traditionnelle « cérémonie des casquettes » qui sanctionne la fin des études secondaires.

Comment les professeurs ont-ils adapté leurs enseignements, en n’ayant les élèves que la moitié du temps règlementaire ?
Les enseignants se concentrent sur les fondamentaux. Ils ont plus de temps à consacrer à chaque élève. Ils constatent aussi que les élèves sont plus à l’écoute et que la mise au travail est plus rapide dans ces conditions.

Les parents sont très présents, y compris institutionnellement, dans les lycées français de l’étranger. Ont-ils été plutôt un frein ou un accompagnement, dans ce processus ?
Nous avons été en contact régulier avec les parents membres du conseil d’administration durant les deux semaines de préparation de la réouverture ; nous leur avons présenté l’organisation en détails, nous avons répondu à leurs questions et ils ont validé notre projet de réouverture.

Dans l’enseignement public danois, comment a fait l’État pour la prise en charge de tous les élèves, tous les jours ?
La commune de Copenhague comme celle de Frederiksberg (où se trouve le lycée français Prins Henrik) possède des klubs que les enfants fréquentent après l’école, durant l’après-midi, pour se distraire. Ces klubs n’ont pas été ouverts mais leur personnel a été mis à disposition des écoles publiques, de même que d’autres personnels comme les travailleurs sociaux. Le zoo de Frederiksberg, le célèbre parc d’attractions Tivoli ont même été ouverts pour accueillir des groupes d’enfants.

Quelques mots pour conclure ?
Forts de cette première expérience, nous préparons la phase 2 de la réouverture, le 25 mai. Les élèves des classes de 6ème à 2nde vont rejoindre l’établissement, toujours en demi-classes mais les modalités seront un peu différentes : ces groupes de dix ou douze collégiens et lycéens auront cours en présentiel trois demi-journées par semaine. Les jours où ils ne viendront pas au lycée, ils poursuivront de chez eux les cours de certaines disciplines en télé-enseignement. C’est la solution que nous avons trouvée pour reprendre progressivement les cours dans l’établissement tout en respectant la distanciation et les consignes sanitaires qui sont pour le moment toujours aussi strictes.

Propos recueillis par Philippe Pradel