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Le livre du mois du n°514 – Enseigner : un métier sous contrôle ? Entre autonomie professionnelle et normalisation du travail

Faut-il contrôler le travail des enseignants et comment ? C’est la question qui traverse ce livre : le problème est un peu tabou dans le monde éducatif où on préfère souvent se désintéresser d’un contrôle ressenti au pire comme un sale boulot, au mieux comme un dur travail. Des chercheurs de plusieurs pays francophones se penchent ici sur les conditions du contrôle et de son efficacité. Un plan bien construit propose d’abord, avec l’appui de notions issues de l’analyse du travail, de nous demander si le travail enseignant est contrôlable, s’il est de ce point de vue une exception par rapport à d’autres professions. Des études suisses et québécoises mettent judicieusement à distance des seules pratiques et usages français. Claude Lessard analyse les nouveaux rôles des administrateurs d’établissement dans le cadre des pratiques actuelles, nettement « managériales et productivistes », et les enjeux de cette évolution où « l’autonomie est désormais conditionnelle à l’insertion réussie des enseignants dans des systèmes de gestion axée sur les résultats » : question préoccupante, conclut-il.

Dans la deuxième partie, le point de vue impliqué de Dominique Sénore apporte les questions et des réponses éthiques sur ce que devrait être le rôle de l’inspection. Anne Barrère pose les termes des interrogations complexes qui concernent les évolutions du rôle des chefs d’établissement, « acteurs investis, mais empêchés » du contrôle des enseignants.

La poursuite de l’analyse mène à présenter les résultats de recherches sur les effets du contrôle, qu’il soit inspection ou évaluation par les résultats et à en expliciter les effets collatéraux. L’aboutissement de la réflexion conduit à questionner le lien entre la façon de définir et de contrôler le contrôle et la perspective du développement professionnel des enseignants. La dernière partie élargit le propos à la façon dont les systèmes éducatifs dans leur ensemble construisent leur système de contrôle.

Le chapitre final de Philippe Perrenoud pointe de façon pertinente et quelque peu impertinente la limite de l’ouvrage : livre de chercheurs, il montre « la complexité du problème, les ambivalences des acteurs, les difficultés conceptuelles et pratiques », il ne répond pas, à la fin, à la question du titre ! Il permet « seulement » de mieux comprendre les risques d’une inflation de contrôle (paralysie, recherche de conformité, renforcement d’une position d’exécutant et du souci d’être en règle, voire développement du faire semblant, etc.) et les bénéfices d’un contrôle intelligemment conduit (traquer les points aveugles de la pratique, développer des communautés professionnelles apprenantes en régulant les pratiques et en favorisant le développement professionnel des acteurs). C’est déjà beaucoup, et la conclusion de Philippe Perrenoud, de façon limpide et convaincante, encourage à ce que « le contrôle du travail des enseignants, plutôt que d’être bête, méchant et inefficace, [puisse] devenir une source de régulation des pratiques, voire de développement professionnel » : une bonne raison de lire cet ouvrage.

Françoise Colsaet