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Enseigner la géographie dans la France d’aujourd’hui

La géographie a été principalement instituée comme discipline scolaire pour établir, aux côtés de l’histoire, une identité nationale et un lien civique fondés sur un passé et un territoire communs. Or, ce modèle de citoyenneté républicain est aujourd’hui interpellé, voire contesté. Les enseignants de géographie se réfèrent tous à des finalités intellectuelles, culturelles et civiques mais ne s’accordent pas sur leur contenu. Généralisé de l’école primaire au lycée, l’enseignement de la géographie occupe une place plutôt discrète, à l’écart des grands débats mémoriels et identitaires qui secouent sa « co-discipline », l’histoire. Il est censé proposer aux élèves les clefs d’une compréhension du monde. La géographie n’est pas pourtant pas la seule à s’interroger sur le rapport au monde des individus et des sociétés : les sciences de la vie et de la terre, les sciences économiques et sociales, la littérature… ont leur mot à dire. Pourquoi faudrait-il alors enseigner la géographie aujourd’hui ? Quel regard spécifique peut-elle apporter ?
Ce dossier propose de multiples points de vue, mais on ne peut pas prétendre brosser un panorama fidèle de ce qui se passe dans les classes. En effet, l’enseignement français de la géographie (comme celui de l’histoire) est traversé d’une succession de réaménagements, rénovations, expérimentations, relectures… Et les acteurs locaux les adaptent en de multiples formes…
De plus, notre appel à contribution conviait les auteurs à analyser prioritairement la manière dont les enseignants d’aujourd’hui pensent et mettent en œuvre l’articulation entre la finalité intellectuelle d’un enseignement de la géographie (donner des clefs pour une compréhension pertinente du monde) et sa finalité civique (aider chaque élève à se construire comme futur adulte, à la fois libre et responsable).
Les contributions sont divergentes quant à la géographie à enseigner (analyse spatiale, géographie culturelle ?), quant à la lecture du socle commun, à l’éducation au développement durable… à la place de la géographie dans l’architecture des curriculums. Mais, toutes analysent des innovations didactiques faites ou à faire, dans une fenêtre entrouverte entre le curriculum prescrit (celui des programmes, documents d’accompagnement, manuels…) et le curriculum réellement suivi dans les classes. Enfin, tous les contributeurs partagent un postulat, celui d’une éducabilité cognitive des élèves en géographie. Il s’agit, non seulement, de transmettre des nomenclatures, des informations factuelles mais aussi, et surtout, de construire des notions en initiant à des démarches spécifiques à la géographie et, ceci, de la maternelle à la terminale.
Six thèmes sont proposés de façon parfois un peu arbitraire, car beaucoup d’auteurs pensent l’articulation de plusieurs de ces thèmes. Quelle géographie peut contribuer à une éducation à la citoyenneté ? C’est une géographie science sociale qui ne considère pas ses objets (la ville, la région, l’Europe, le monde…) comme des êtres déjà là, mais comme la production évolutive, réelle (et idéelle) d’acteurs individuels ou sociaux. Ces acteurs sont dotés de mobiles et de stratégies mais aussi porteurs d’une responsabilité personnelle et collective. Si finalités culturelles, intellectuelles et finalités civiques ne se confondent pas, compétences géographiques et valeurs s’articulent étroitement.
Éducation au développement durable et Europe/mondialisation apparaissent comme des questions vives qui interpellent professeurs et élèves. L’éducation au développement durable interpelle la géographie scolaire car elle suppose une approche systémique des phénomènes géographiques et pose la question cruciale de l’échelle spatiale d’une analyse pertinente. L’intégration européenne et la mondialisation bouleversent l’intelligibilité des mobilités comme la conception de l’ici et de l’ailleurs. Elles posent la question des métriques : la façon dont sont pensées les distances et, par conséquent, la position des lieux, les uns par rapport aux autres.
La construction de l‘espace géographique reste incontournable, elle est le regard particulier que la géographie permet de porter sur un monde conçu comme une étendue terrestre aménagée, produite par les sociétés. C’est un long processus psychologique et social qui passe d’un monde directement perçu, vécu, représenté à la conceptualisation d’un espace organisé de l’échelle locale à l’échelle mondiale.
Les technologies de l’information et de la communication révolutionnent la recherche et la sélection de l’information, mais aussi sa formalisation et sa communication. Quelles compétences les citoyens doivent-ils maîtriser pour demeurer des individus libres et responsables ? Quels dispositifs didactiques innovants ces technologies peuvent-elles favoriser ? Cette partie est à lire sur le site www.cahiers-pedagogiques.com/ car les liens avec l’Internet permettront une lecture plus riche et plus aisée.
Enfin, toutes ces mutations conduisent à s’interroger sur les curriculums : qu’en est-il de nos voisins européens ? (l’absence de références éducatives extra-européennes est d’ailleurs à regretter)… Et aussi sur la validation des compétences des élèves et les principes d’une formation des enseignants entre professionnalité disciplinaire et compétences transdisciplinaires.
Une dernière question se pose : à quelles conditions les innovations et les dispositifs analysés sont-ils transférables ? Considérons, avec Antoine Prost, que le système scolaire tout entier tente de faire face aux changements : « Non en généralisant les innovations ou en appliquant des réformes, mais en puisant selon ses besoins, dans un réservoir de pratiques alternatives possibles, élaborées par les innovateurs. »

Jacky Fontanabona, lycée Gérard de Nerval, Soissons, INRP.