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Enseigner avec le numérique

Pourquoi ce colloque ? En quoi les usages des outils numériques par les personnels de l’Éducation nationale sont-ils une question syndicale ?

L’idée de ce colloque est venue du constat d’un impact croissant du numérique sur l’école, et donc sur les conditions de travail des personnels. Le numérique concerne tous les personnels et toutes les dimensions du système éducatif, comme il concerne toute la société. Or, de par sa structure hiérarchisée et administrative, le développement de l’outil informatique est d’abord conçu comme au service de la structure et non pas au service des usagers ni des acteurs. Concrètement, cela se traduit par la multiplication des enquêtes et des courriers à rendre dans un délai très court, la multiplication des statistiques, des rapports à fournir, des fichiers à compléter, avec tous les risques de croisement de fichiers possibles.
Dans la classe, l’utilisation du numérique reste souvent un combat à mener pour disposer de la salle, des équipements opérationnels, de la connexion Internet en état de marche, du vidéo projecteur opérationnel. Cela crée du stress, une surcharge de travail évidente, et une dépendance à la technique, d’autant qu’il n’est pas rare qu’un élève en sache plus que le professeur dans la gestion des fichiers ou dans l’utilisation d’un logiciel. La formation des personnels a été empirique et l’on sort à peine de l’époque des « pionniers » où un passionné était à disposition des collègues pour assurer la maintenance et le suivi. Les professeurs ressources informatique (PRI) avec une ou deux heures de décharge de service hebdomadaire ne comptent d’ailleurs toujours pas leurs heures.
Le numérique peut donc dégrader les conditions de travail, pour des raisons techniques, pour une absence de formation ou pour des raisons liées au caractère instantané de la communication mêlant vie professionnelle et vie privée. Mais l’utilisation du numérique peut aussi être au service de la réussite des élèves. Nous sommes arrivés à un point de maturité des équipements, des réseaux, de l’interactivité par le Web 2.0, qui ouvre des horizons et peut contribuer à résoudre ce qui, pour beaucoup de collègues, reste la quadrature du cercle : comment faire réussir chacun quand on est dans le cadre « une classe, un enseignant, un programme » ? Il est aujourd’hui possible de proposer des outils qui intègrent l’erreur comme constitutive des apprentissages, qui valorisent le travail collaboratif, la communication, la différenciation pédagogique, qui donnent ainsi du sens aux apprentissages. Le numérique est un outil qui peut être au service de la transformation du système éducatif, et donc au mieux-être des acteurs et des usagers. Et dans ce sens, cela contribue à améliorer les conditions de travail, donc cela relève bien de la responsabilité d’une organisation syndicale qui veut transformer l’école et défendre les personnels.

On a parfois le sentiment d’un décalage entre les intentions proclamées de l’institution, les investissements matériels spectaculaires de certaines collectivités locales, et une mise en œuvre bien compliquée dans les établissements, provoquant un certain scepticisme : quel est votre bilan ?

Plusieurs facteurs expliquent ce scepticisme. Il faut se rappeler que le numérique est d’abord apparu comme une nouvelle « lucarne » de plus, comme l’avaient été la télévision ou la radio à l’école. Et ces médias avaient en leur temps été perçus autant comme des fenêtres sur le monde que comme des concurrents à l’instruction et au savoir dispensé par le maitre. Dans une vision de l’école où il suffit d’écouter, et éventuellement voir, pour apprendre, tout vecteur de connaissance est suspect. Les ordinateurs sont donc apparus comme les avatars de la télévision distribuant des connaissances via les CD-roms, puis via les encyclopédies en ligne. Cela n’apportait pas grand-chose, mis à part un accès plus rapide à l’information que le dictionnaire. La dimension logicielle, en dehors de la formation professionnelle y restait marginale.
L’autre facteur majeur a été la vision politique du numérique à l’école conçu comme débouché naturel d’une politique industrielle illustrée par le plan Fabius dans les années 80. Pour avoir utilisé MO5 et TO7 dans mes débuts d’enseignant, j’ai pu constater comment l’enthousiasme des acteurs et des élèves s’est étiolé au fil des mois devant les difficultés techniques et l’incapacité du système à intégrer l’outil au service de la réussite des élèves, même si des logiciels m’ont été d’un grand secours pédagogique (je pense notamment à Elmo ou Lirebel, dont les enseignants de français se rappelleront avec nostalgie). Sont donc arrivés au fil des années des ordinateurs dans les écoles ou établissements, parfois par surprise, sans que leur usage soit intégré dans une réflexion pédagogique. Différents débats se sont succédé dans les années 1990 : faut-il diluer les équipements dans les salles de classe ou les regrouper dans des salles spécifiques ? Qui en assurera la maintenance ? Comment faire fonctionner un réseau ? Comment contrôler la connexion Internet ? Qui va installer et faire fonctionner les TBI, arrivés fin aout et que personne n’attendait ?
Mais surtout, le facteur essentiel de ce scepticisme réside dans l’approche administrative et imposée des outils numériques, perçue comme outil de contrôle. La résistance à l’espace numérique de travail en est l’illustration. Souvent conçue en dehors du système, la gestion des absences, du cahier de textes numérique ou des communications est lourde, déconnectée des réalités et charges de travail. Rares sont les formations à l’utilisation de l’outil informatique comme outil pédagogique, et la course au programme reste, quelque soit le support, incompatible avec l’usage d’un outil où chacun avancerait à son rythme.

De votre point de vue, quels seraient les leviers décisifs pour permettre aux enseignants d’avancer effectivement dans la maitrise des outils numériques ?

Sans présumer des débats et conclusions de notre colloque le 18 mai prochain, il me semble que les leviers ne sont pas dans les équipements ni même la formation, mais dans la pédagogie. Bien sûr, il est nécessaire d’intégrer les nouvelles technologies comme les tablettes ou les smartphones comme outils, rendant moins lourde la question des équipements des établissements ou de la maintenance. Bien sûr, il faut manier un minimum de grammaire numérique pour être à l’aise. La formation initiale et continue est une exigence forte. Mais surtout, et on y revient toujours, le levier principal est le travail collaboratif pour proposer, échanger, expérimenter, apprendre ensemble que ce soit entre formateurs et formés, et mettre les connaissances en action. Le Web 2.0, comme l’a montré le dossier des Cahiers pédagogiques, est un moyen au service de la réussite des élèves qui est susceptible de « faire sauter la classe » conçue comme unité administrative au service de la réussite de certains. Cela suppose la remise en cause des principes de l’évaluation des personnels comme des élèves. C’est un défi considérable, qui, si l’école ne s’en empare pas, sera relevé par d’autres.

Albert Ritzenthaler
Secrétaire national, fédération des Sgen-CFDT

Propos recueillis par Patrice Bride

Numérique : quelle école, quels enjeux ?

Numérique, conditions de travail et transformation de l’école
– Colloque organisé par le Sgen-CFDT, en partenariat avec le Crap-Cahiers pédagogiques et le Café pédagogique
– Mercredi 18 mai de 9 h 30 à 16 h 30 à Paris, dans les locaux de la CFDT, 4, boulevard de la Villette, Paris 19e (métro Belleville).
Deux tables rondes :

  • Comment l’outil numérique modifie-t-il le travail des personnels en dehors de la classe (ENT, espaces collaboratifs, etc.) ?
  • Le numérique pour transformer l’école

Programmation 2014-2015

Programmation 2014-2015

Les inscriptions seront ouvertes en ligne à partir du 15 mars
Le colloque sera retransmis en direct par Internet.