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Enseignants : à l’aune de l’idéal, on se trouve toujours mauvais

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Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui n’a pas changé ? Changé depuis quand ? Ce que je vais développer se situe du point de vue de la recherche et prend appui sur trois enquêtes récentes.

Les enseignants sont désorientés : cette désorientation peut être mise en relation avec une série de zig zag politiques, injonctions contradictoires, réformes qui amènent à s’interroger sur ce qu’est l’institution scolaire. La réforme des rythmes scolaires a souvent été mal perçue parce qu’elle interroge les frontières de l’institution. Au sein de l’école, il faut partager l’espace entre des intervenants qui ont des métiers différents, des conceptions de l’enfant différentes. Tension entre différentes logiques portées par différents acteurs qui sont de plus en plus nombreux à intervenir au sein de l’école.
L’école sanctuaire qui aurait un groupe professionnel homogène, c’est fini. La part des vacataires de toutes sortes dans le système éducatif ne cesse d’augmenter. Il y a parfois lutte d’influence, choc des métiers, et la difficulté de coordonner l’action, de coopérer, entre professionnels d’origines diverses et qui ont des missions différentes.

Cela pose la question des alliances et ces alliances ne se décrètent pas. Elles se construisent pas à pas, difficilement, à condition d’accepter le débat, entre des professionnels différents et entre les professionnels et le reste de la société. C’est une des difficultés actuellement pour de nombreux enseignants, la désorientation ne facilite pas l’ouverture et la discussion. Il y a une nécessité de s’affirmer dans le débat comme professionnels, comme disposant d’une expérience inégalée en la matière, pour définir ce que sont les critères de qualité de l’éducation en milieu scolaire du point de vue des divers professionnels.

Un autre point me parait à réfléchir : l’innovation est devenue une norme et poser l’innovation comme une norme c’est avoir l’idée, comme le dit Yves Schwartz, de renormaliser le travail autour de critères qui n’étaient pas les critères habituels. On peut s’interroger sur le sens que peut avoir le fait de poser l’innovation comme nouvelle norme du bon travail. Peut-être faut-il avoir un esprit à la fois intéressé et critique à cet égard, dans la mesure où elle pose comme principe premier le fait que tout changement est forcément bon et que le changement constitue un organisateur du travail, un organisateur des politiques publiques. Or, on sait bien que c’est un mode de management qui empêche aussi de se poser, de réfléchir à ce qu’on est en train de faire, de prendre du recul, d’évaluer ce qu’on fait.

On observe aussi un besoin énorme de ressources qui pourraient venir de la recherche, un besoin de liens entre formation, recherche et pratiques, chaque élément étant en relation avec les autres. Il faudrait avoir des lieux et des temps pour débattre, pour rencontrer des chercheurs, des formateurs, et éviter ainsi les effets de modes et de lobbies. Attention aussi à résister à la tendance à assigner à la recherche un rôle de producteur de préconisations pour la pratique ; ce serait un appauvrissement pour la recherche et une ignorance de ce qu’est le travail.

La question des choix politiques se pose également. Peut-être faudrait-il cesser de mettre 30 % du budget sur les différents types de classes préparatoires et grandes écoles alors qu’elles ne recueillent qu’un tout petit pourcentage des élèves, pour aller vers une plus grande égalité. Un point d’espoir : j’ai vu dans un récent discours des présidents d’université qu’enseigner est un métier qui s’apprend…

Comment accompagner les enseignants au changement ?

Besoin d’accompagnement dans toutes les phases du métier. Accompagner ? ce n’est pas de l’encadrement bureaucratique et tâtillon. Là où ça marche le mieux là où les enseignants sont confortés dans leurs engagements, dans leur désir d’aller explorer telle ou telle façon de faire c’est quand l’accompagnement prend appui sur leurs compétences, leur expérience, sur des solidarités qui se sont construites sur la créativité qu’ils ont su développer pour résoudre des problèmes quotidiens et en même temps quand l’accompagnement leur permet d’avoir des ressources nouvelles d’être en connexion avec un réseau élargi de personnes, de dispositifs, de compétences. c’est là où ça marche le mieux ; ça évoque aussi le rôle des inspections mais aussi des formateurs, des conseillers pédagogiques, des formateurs académiques. Un accompagnement qui ne prendrait pas appui sur ce que les enseignants sont capables de faire, qui serait « bureaucratique » est un accompagnement voué à l’échec

Et les chefs d’établissement ?

Pour répondre je m’appuierai sur deux recherches, autour des PPCP, les projets pluridisiplinaires à caractère professionnel, pour l’une et du socle commun pour l’autre.

On pourrait souligner leur travail de traduction, de ré-interprétation de chaque réforme en fonction de problématiques locales, qui peuvent donner des orientations extrêmement différentes par rapport à ce qui est prescrit. Chaque établissement joue un rôle déterminant dans ce travail de traduction entre ce qui est prescrit et le milieu local.

D’autre part, le socle commun était perçu par les chefs d’établissements comme un levier pédagogique mais il y a eu des chainons manquants très forts dans le réseau de « traduction » de la réforme.

Sur l’évaluation

Ce qui est perçu par les enseignants comme important dans le travail est l’autonomie, le sentiment d’utilité, la reconnaissance et le salaire bien sûr, mais ce qui vient en premier c’est l’autonomie et le sentiment d’utilité. L’évaluation participe de la reconnaissance. Elle est ressentie comme diffuse, passant par la presse, les tests internationaux, mais passant aussi par les jugements des parents. Elle est normée lors des inspections. Mais il existe aussi, même si on en parle moins, l’évaluation par les élèves et l’évaluation implicite entre collègues, qui est très forte mais dont les enseignants ne parlent pas. Quel est le jugement qui leur importe le plus sur leur travail ? Á 100 % : l’évaluation par les élèves. Mais à la question « Pensez-vous que les élèves puissent juger de toutes les dimensions de votre travail ? » les enseignants répondent « non »

L’évaluation repose donc sur trois pieds : le jugement de la hiérarchie, le jugement des collègues, le jugement des élèves, voire des parents. Comme les deux premiers pieds sont souvent défaillants, les enseignants se replient beaucoup sur le troisième. En même temps c’est le moins fiable parce que les élèves sont le moins aptes à juger de la qualité du travail professionnel. Du coup, les enseignants se retournent vers quelque chose qui m’apparait comme très dangereux : l’idéal. Ils jugent leur travail à l’aune de l’idéal qu’ils se font de leur travail, ou du prescrit idéal. Or, quand on regarde ce qu’on fait à partir de l’idéal de ce qu’on voudrait faire on se trouve toujours mauvais… D’où une tendance chez les enseignants au doute et à la dévalorisation, que l’évaluation instituée ne tend pas à renverser. Face à cette tendance à la dévaluation, il me semble qu’une des pistes c’est de débattre entre collègues sur ce que sont les critères du travail bien fait selon les attendus du métier, selon les attendus de la prescription, selon les besoins des élèves et des parents ; cela peut donner des éléments d’évaluation moins rapportés au seul idéal qui, lui, conduit plutôt à la déprime collective.

Je retiendrai aussi l’idée que c’est quand on met les personnes en situation de réussite qu’elles découvrent qu’elles peuvent faire beaucoup plus que ce qu’elles pouvaient imaginer. Moins prescrire l’idéal et mieux soutenir l’existant, voilà qui serait bien.

Une phrase pour finir ? Je reprendrais volontiers celle d’Eunice Mangado qui inversait la formule habituelle et je lancerais bien à mon tour : « Quand on peut on veut » !

Texte transcrit par Nicole Priou et validé par Françoise Lantheaume