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«En faisant de nos élèves des aristocrates»

Il a écrit ce billet, «L’un d’eux», en colère, en réaction au portrait brossé par certains journaux de la jeunesse des quartiers délaissés, de cette banlieue défavorisée assimilée aux actes les plus extrêmes. C’était au lendemain de l’agression des policiers à Viry-Châtillon. «L’un deux» raconte le contre-point d’un enseignant qui voit dans sa classe des élèves qui simplement apprennent comme tous les collégiens, avec des rêves et des réalités qui se confrontent et construisent. Il estime dommageable ce traitement de l’événement pour le reflet qui est renvoyé aux jeunes avec la tentation de s’y conformer, dans un véritable cercle vicieux.

«Quand je suis arrivé dans cet établissement, j’étais moi-même immergé dans ces images là. Je me suis fait violence pour les dépasser.» Le collège était son dernier choix dans la liste de ses vœux de mutation après une expérience de remplaçant pendant cinq ans. Pour trouver le registre juste, il est passé par plusieurs étapes. «D’abord, on essaie de tous les sauver, on peut avoir une attitude presque condescendante avec eux. Or, ils sont proches des élèves des établissements classiques.» Il descend rapidement de sa «tour d’ivoire» pour voir leurs points forts plutôt que leurs points faibles. Il s’échappe du danger de les percevoir comme «des loosers magnifiques». Il apprend à emprunter d’autres chemins pour enseigner afin de parvenir au même but, avec les mêmes exigences, que dans tous les collèges.

Ouvrir un chemin

En première intention, il pense partir de l’univers de ses élèves, puis il perçoit vite que ce chemin est erroné et procède différemment, en choisissant des textes qui leur sont a priori éloignés mais dans lesquels ils peuvent se reconnaître. «Il faut les confronter à la différence. Le plus gros problème de ces élèves, c’est un manque de mixité sociale et culturelle.» La mixité permet de confronter les points de vue, de regarder une idée sous toutes ses facettes. En son absence, la différence se recherche dans chaque individu, dans la sensibilité qui le différencie, pour enrichir le cours de l’expression des altérités. «Je cherche à comprendre chacun, les fonctionnements et dysfonctionnements du construit social qui les ont amenés là.».

Projet artistique

Projet artistique


Lors de l’étude de La promesse de l’aube de Romain Gary, il observe que certains élèves sont sensibles à la musique des mots, d’autres au sens du texte et à la relation entre le fils et la mère, d’autres au contexte historique. L’œuvre est explorée dans toutes ses dimensions, y compris sur l’aspect objet du livre. «On hésite souvent à les faire lire. Du coup, on met cet objet livre hors de leur portée.» Le chemin n’est pas tracé, il est individualisé, riche des détours et des interprétations personnelles, plein de surprises, de découvertes. «L’idée est de leur montrer qu’ils peuvent être porteurs d’une multiplicité d’approches, de leur montrer à quel point ils sont uniques, de les sortir de l’uniformité qui peut être rassurante.» Il se situe dans une dichotomie entre être au plus près d’eux pour les atteindre et être garant de l’autorité pour les fédérer.

Travail d’équipe

L’approche est partagée au sein de l’établissement dans un travail d’équipe où les personnalités différentes amènent là aussi une richesse d’idées. Les pratiques de co-enseignement sont fréquentes, dans le cadre de l’Accompagnement personnalisé et des Enseignements pratiques interdisciplinaires, mais aussi à l’invitation d’un autre enseignant. «Nous sommes attentifs aux autres, à l’écoute.» Hugo Pellerin raconte son manque de rigueur, la profusion de projets qu’il avait du mal à mener jusqu’au bout et la venue d’un collègue avec qui il a appris à être plus rigoureux. Il se sent dans une démarche d’apprentissage constant face à une routine qui n’existe pas.

Une œuvre de l'atelier photo du collège

Une œuvre de l’atelier photo du collège

On lui dit parfois que ce qu’il vit dans son établissement n’est pas normal. Alors, il relève que «c’est cette expérience anormale qui est intéressante à vivre car elle nous amène à réfléchir à nos pratiques». Cette expérience, il pense qu’on ne devrait pas la vivre d’emblée, en début de carrière, mais plutôt après quelques années passées dans
un collège ou un lycée plus classiques. Il a appris au fil des années à composer une autorité qui lui est propre, conscient qu’elle ne peut être que personnelle, qu’elle se construit de savoir-faires et de ce que l’on est. Elle permet de ne pas transiger sur les principes de base, de ne pas se laisser entraîner vers la condescendance. «Ce n’est pas parce qu’ils sont de la banlieue qu’on attendra moins d’eux. Au contraire, ils doivent être plus performants.» A la fin de la troisième, ils devront être autonomes, comme tous les néo-lycéens. «On doit devenir dispensables, s’effacer.»

Des masques et des blogs

Il dit revêtir des masques, à la manière du théâtre antique, non pas pour se dissimuler mais pour s’adapter au public de sa classe, pour mieux transmettre, mieux communiquer. Face aux sixièmes, la figure paternelle donnera la note, pour les troisièmes, une touche d’excentricité sera de mise. Les masques sont une image pour affirmer la mise à distance nécessaire des clichés qui attisent les méfiances dans les deux sens. Garder du recul pour bien vivre son métier est pour lui indispensable. Alors, il l’écrit, le raconte au quotidien dans un blog, pose ses réflexions dans un autre.

«C’est une façon de créer de la gratitude, de tirer les enseignements de situations douloureuses mais qui nous aident à nous construire.» Là, il retire tous ses masques et pose un regard quasi-extérieur sur ce qu’il fait. Ses écrits font réagir, favorisent les échanges. Parmi ses lecteurs, les nouveaux et futurs enseignants sont de plus en plus nombreux. Ils posent des questions révélant leurs angoisses face à la complexité de leur future profession, face à leur appréhension de mener une classe, de ne pas réussir à s’imposer face aux élèves. Dans ses moments d’écriture, il renoue avec sa passion première, sa pratique quotidienne des mots, son plaisir de composer des récits.

Lorsqu’il a décroché son CAPES en candidat libre, il était intermittent du spectacle. Enfant d’enseignants, il envisageait plutôt une carrière artistique mais aujourd’hui, il mesure toute la richesse de son quotidien professionnel. Et lorsque des anciens collégiens passent dans son établissement, il regarde avec plaisir leur assurance, leur confiance dans ce qu’ils sont, des élèves devenus comme les autres, en ayant détourné le miroir faussé par les clichés qu’on leur tendait.

Monique Royer

Les blogs d’Hugo Pellerin :
Monsieur Samovar et notamment le billet «L’un d’eux»
Prof en scène