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Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs

À première vue, le sous-titre du troisième ouvrage de Britt-Mari Barth semble enfoncer des portes ouvertes : Donner du sens aux savoirs. Évidence ? Évidence nécessaire à rappeler ? Progrès de la recherche en éducation ?

L’auteure approfondit et illustre sa théorie déjà présentée dans ses deux premiers livres. Prenant appui sur les sciences cognitives, en particulier sur les théories de Lev Vygotski et de Jerome Bruner, B.-M. Barth propose une nouvelle relation d’enseignement, un nouveau rapport entre l’enseignant, l’élève et le savoir : l’enseignant devient plus un guide, un médiateur dans la structuration de la pensée en concepts qu’une source unique de savoirs à transmettre, à défaut de les partager. Pour les enseignants, il s’agit de revoir leur conception de leur rôle, leur façon de faire accéder aux savoirs. À l’heure de la réflexion sur la formation des nouveaux enseignants, B.-M. Barth donne du sens à l’idée de partenariat entre enseignants et élèves, de coopération active.

Elle revient par ailleurs sur l’idée de conceptualisation, d’élaboration des concepts par ceux qui apprennent comme un processus de construction par confrontation. Le savoir ne se donne pas tel quel, il ne se transmet pas froidement mais se construit, se structure pas à pas.

Enfin, elle réaffirme l’importance de la motivation des élèves, si nécessaire à l’apprentissage et à la progression. L’enseignant ne doit pas passivement espérer cette « intention d’apprendre » qui serait de la responsabilité de l’élève, mais travailler à la construire avec lui, engagement cognitif et affectif allant de pair.

Cet ouvrage associe habilement la théorie de la conceptualisation et de nombreux exemples de la démarche : des situations variées, réelles, qui permettent au lecteur de se rendre compte des possibles, de découvrir une mise en pratique, qu’il s’agisse d’un travail sur l’impressionnisme en primaire, sur l’évaluation avec des étudiants au Québec, etc., autant de cas pratiques, de situations qui rendent lisible et explicite la démarche et qui doivent permettre aux enseignants de franchir ces portes ouvertes.

« Il s’agit de penser pour apprendre, afin d’apprendre à penser. » Par ces paroles, Britt-Mari Barth nous donne à revisiter les situations d’apprentissage d’un point de vue affectif, cognitif et social.

Agnès Coester


Questions à Britt-Mari Barth

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Vous insistez dans votre ouvrage sur la nécessité de « construire la motivation » : en lien avec cette problématique, quelles sont pour vous les priorités pour l’indispensable réforme de l’évaluation ?

L’apprentissage, comme son évaluation, demande un engagement, un investissement personnel. Les élèves ont besoin de modes d’évaluation qui les stimulent, leur offrent des défis et permettent d’apprécier ce qu’ils savent, tout en les informant sur la profondeur de leur compréhension. Mais pour cela, il faut d’abord être préparé, afin d’avoir quelque maitrise sur sa propre réussite. En construisant des « savoirs outils » en classe et en s’entrainant, avec les autres, à les mettre en œuvre dans des tâches plus complexes, avec l’aide du professeur qui offre un feedback constant, l’élève prend conscience des critères d’évaluation, il gagne en efficacité et il prend confiance en ses capacités à apprendre et à faire des progrès. Il faudrait donc mettre un mode d’évaluation par compétences en amont de l’apprentissage et trouver des activités pertinentes et variées qui permettent « d’apprendre en faisant », en ayant droit à l’exploration, à l’erreur. Quand l’évaluation est ainsi intégrée à l’apprentissage, les élèves ont le temps d’ajuster leur compréhension et peuvent participer à leur propre évaluation, c’est motivant et responsabilisant.

Dans quelle mesure la conceptualisation permet-elle un meilleur soutien aux élèves en difficulté ? Comment peut-elle venir en appui à la différenciation ?

En guidant les élèves à travers ce processus, on les conduit à faire le lien entre leur propre perception et celle qui est visée. On guide leur regard en quelque sorte, à condition, bien sûr, de prévoir des supports pour la pensée (comme des exemples ou des contrexemples). En les initiant à l’outil de pensée qu’est la comparaison (la base de la conceptualisation), on permet à chacun de distinguer et de structurer les éléments qui sont récurrents (et donc importants) dans la situation donnée, de faire les liens qui s’imposent. Cela demande de l’enseignant une écoute des observations des élèves afin de se rendre compte de ce qu’ils arrivent ou non à distinguer. À partir de là, il peut varier les situations exemples (en incluant toujours les éléments essentiels), s’appuyer sur des explications différentes des enfants eux-mêmes, pour rejoindre ceux « qui ne voient pas ».

Finalement, est-ce que ce n’est pas un peu décourageant d’en être aujourd’hui à insister encore sur la nécessité de donner du sens aux apprentissages, ce qui devrait être une évidence ? Comment faire pour ne pas être pessimiste devant les lenteurs du changement ?

Changer de paradigme est toujours un processus lent. Traditionnellement, on pensait que le sens était dans le message, dans les mots. Qu’il suffisait de dire et de répondre. Aujourd’hui, nous savons que le sens s’élabore dans les personnes, dans leurs expériences, dans leur « sentiment même de soi », pour utiliser le terme de Damasio. Cela veut dire, concrètement, qu’au lieu d’exposer le savoir comme un contenu, l’enseignant gagnerait à le contextualiser, à le problématiser, à le traduire en questions, de façon à ce que les élèves puissent entrer dans un processus d’interaction et en avoir une expérience, dans sa forme vivante. Mais ce changement-là exige d’abord de l’enseignant qu’il s’engage lui-même dans cette interaction, qu’il considère l’élève comme un interlocuteur valable, qu’il lui fasse confiance. C’est une autre forme d’autorité (auctor en latin signifie « qui fait grandir l’autre ») qui est en jeu, basée sur la confiance et le respect mutuels. Avec des collègues désireux d’enseigner autrement, pourquoi ne pas profiter des formations qui se développent, travailler en équipe, créer un forum virtuel, se servir (de façon sélective) du numérique qui ouvre d’autres champs de possibles, pour favoriser les interactions des élèves avec le savoir dans une forme plus concrète ? Bref, devenir des enseignants médiateurs.