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Égalité et discrimination en classe de lycée professionnel

Le projet mené avec eux va au-delà de l’éducation morale et civique, il essaye véritablement de contribuer à une éducation à la citoyenneté et de permettre aux élèves d’être actifs face à l’acquisition de leurs savoirs tout en ajoutant une notion de plaisir de faire. Il faut noter que la classe n’est composée que d’une fille sur trente-trois élèves, que la filière n’est pas toujours le premier choix de ceux-ci et qu’enfin, les contextes familiaux sont parfois délicats.

Cette action est la deuxième étape menée cette année concernant la même problématique. Dans un premier temps, la classe a eu le bonheur de gagner le deuxième prix national du concours de l’ONISEP/SYNTEC « Découvrez les métiers du numérique ». Il s’agissait de mettre en lumière via un blog le parcours exemplaire d’une professionnelle exerçant dans le milieu et pouvant faire naitre des vocations chez les jeunes filles. Le blog #YesWeFemmes a eu un franc succès et a permis aux élèves de travailler énormément de données hétéroclites et leur a fait prendre conscience des différences de traitement entre hommes et femmes à différents moments de la vie. La suite du projet a pris un tour plus citoyen puisque les élèves ont popularisé en ligne sur les réseaux sociaux, le mot clé #YesWeFemmes pour eux aussi, apporter leur contribution et inciter les filles à faire tous les métiers sans peur des remarques.

La suite du projet a pris la forme d’une exposition multi-supports et connectée. Nous avons choisi de réaliser le portrait de dix femmes exemplaires aux yeux des élèves, dans différents domaines et de les afficher sur les murs de notre établissement. Le choix de ne pas exposer dans une salle de classe résulte dans l’envie que cette exposition soit accessible à tous au lycée, que la voir ne soit pas une volonté, mais presque un moment fortuit afin que chacun puisse la recevoir comme il l’entend. L’idée est aussi celle d’un « hall of fame », un mur empli de femmes exemplaires qui nous contemplent et qui nous guident sur l’attitude à avoir dans la vie. L’exposition prend le nom de YesWeFemmes et le tout sera retranscrit sur le blog du même nom ainsi que sur la page Facebook pour encore une fois populariser le thème, ses enjeux et les travaux. Cela ajoute de la cohérence à notre projet à terme. Au-delà des textes, les affiches comportent aussi des « flashcodes » renvoyant vers des vidéos ressources permettant par exemple d’assister à la course victorieuse de la championne olympique Cathy Freeman aux Jeux de Sydney en 2000 ou même de visionner le discours de Simone Veil lors des débats sur l’avortement à l’Assemblée Nationale dans les années 1970. Cette exposition se veut la plus interactive possible et encore une fois la plus accessible à chacun au moment de son choix. A la fin de l’exposition un livret récapitulatif est créé, distribué et conservé dans le LP. L’idée étant qu’il puisse servir de ressources pour le futur et de trace concrète pour valoriser les élèves dans leur parcours citoyen. Ce projet permet véritablement de mettre les élèves en situation face à la citoyenneté, ils doivent décloisonner les murs de l’école pour parler de ce thème qui sincèrement leur parle. Côté enseignant, les compétences à travailler sont nombreuses et diverses.

Évidemment, les capacités au programme en EMC sont travaillées tout comme les notions clés ainsi que les textes fondateurs. Les élèves sont maintenant actifs, ils doivent chercher ses informations pour poursuivre le travail et acquièrent les points importants plus rapidement. Les compétences numériques sont largement mises en œuvre avec une dizaine d’items du B2i véritablement travaillés. Les élèves manipulent et créent un contenu composé de photographies et de textes mais doivent agréger des flashcodes, réaliser des notes de bas de pages, modifier l’orientation des documents… L’occasion est aussi très adaptée pour travailler les documents sélectionnés en ligne : les sources, la propriété intellectuelle ou le droit à l’image sont exploités. L’enseignant n’est plus ici celui qui se positionne face aux élèves, prêt à leur apporter un savoir et une conscience citoyenne, mais au contraire il devient un guide qui met à disposition des ressources, qui les accompagne sur un chemin qui se construit petit à petit dans leur conscience. Ainsi les attitudes recherchées au cours du projet tiennent compte de l’autonomie et de la prise d’initiative. Au début de l’activité, les élèves réalisent eux-mêmes en collaboration avec l’enseignant une grille d’évaluation qui permet de faire verbaliser les élèves le nécessaire à mettre en œuvre correctement pour fournir une production satisfaisante. Ils ont par exemple souhaité que leur capacité à faire un plan adapté ainsi que la gestion du temps soient évalués. Pour que les plus faibles ne soient pas pénalisés, un binôme d’élève qui était chargé de retranscrire les travaux sur la page Facebook, a eu aussi pour mission de faire le point régulièrement avec chaque groupe et éventuellement de donner assistance. La remédiation entre pairs entre donc aussi en jeu au cours de ce travail. Un autre groupe était chargé de réaliser un panneau reprenant des stéréotypes attachés aux femmes, en lien avec les domaines abordés dans l’exposition. Les documents illustratifs retenus, souvent visuels et caricaturaux ont fait leur effet. Lors d’une dernière réunion avant affichage et pour faire un point sur le travail accompli, les élèves ont encore une fois fait remonter le besoin de s’exprimer sur les injustices nombreuses et insidieuses qui sont faites aux femmes très souvent et dans de nombreuses circonstances. Le contexte du Lycée Professionnel paradoxalement pourrait laisser croire l’inverse, mais les élèves aimeraient que des filles soient présentes et pensent largement qu’elles auraient toutes les compétences pour réaliser les mêmes tâches qu’eux. C’est lors de ce moment qu’il semble que l’objectif de citoyenneté est atteint : Les jeunes ont eux-mêmes réalisé que les stéréotypes sont puissants, ont exprimé un jugement affirmé et surtout ont envie de faire évoluer les choses, d’être actifs face à une injustice qu’ils ressentent profondément.

Les élèves se sont appropriés le projet ; ce qui constitue un point positif supplémentaire. Ils souhaitent poursuivre sur le même thème et surtout réaliser des actions d’une ampleur plus importante. Ils se sentent comme investis de la mission « représenter l’égalité homme-femme ». C’est un fait à souligner car on constate que dès lors que des projets existent et que les élèves sont valorisés, ils prennent conscience et confiance. Conscience des points qu’ils ont soulevés au cours du travail et confiance en eux-mêmes, grâce au fait d’avoir réussi quelque chose qui sort de l’ordinaire et qui a fait appel à de nombreuses compétences. D’ailleurs, il est important de reprendre avec eux la grille d’auto-évaluation qu’ils ont remplie : il faut qu’ils verbalisent ce qu’ils ont acquis. Notre expérience nous montre que lorsque des élèves prennent du plaisir à réaliser un projet « concret », ils pensent qu’ils n’ont pas travaillé. Même si la remarque est plutôt plaisante pour l’enseignant, elle est à nuancer pour les élèves. Il faut au contraire faire la liste des capacités-connaissances-attitudes qu’ils ont dû mobiliser pour arriver aux résultats obtenus. Là encore, une fois ce moment passé, les élèves prennent souvent conscience et confiance qu’ils ont toutes les capacités pour mener des actions d’envergure.

L’exposition a été menée de manière presque simultanée avec le moment où ces lignes sont écrites, seul le très court terme est analysable. Cependant, à la lumière des travaux menés cette année, on peut constater que mettre des élèves en situation, les faire apparaitre au cœur même des enjeux de la citoyenneté semble être un chemin pour réellement contribuer à une éducation à celle-ci ou plutôt à une co-construction active d’une conscience citoyenne ouvrant le champ des possibles pour le futur des élèves, jeunes citoyens en formation.

Romain Cordier
Professeur au lycée professionnel St Bénigne de Pontarlier.