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Éduquer à la citoyenneté : construire des compétences sociales et civiques

Vous êtes convaincu qu’il est possible de construire des compétences sociales et civiques dans le cadre scolaire ? Ce livre est pour vous. Vous en doutez ? Ce livre est pour vous. Est-ce à dire que l’auteur n’a pas de convictions ? Certes non ! Dès la préface, François Audigier annonce : « Il n’y a pas, il n’y a jamais de certitudes en la matière. »
Les six chapitres de ce livre collectif présentent chacun une série d’expériences très diverses. Plus de la moitié des contributions situent le travail au cœur des apprentissages disciplinaires. L’ensemble débouche sur une double démonstration. D’abord, toutes les disciplines contribuent à la construction de compétences sociales et civiques. Quand il s’agit de l’éducation civique, de l’histoire-géographie ou de la philosophie, ce sont les contenus des programmes qui fondent le pari d’Audigier : « Il y a plus de probabilité, pour un individu qui connait les droits humains, de ne pas les violer que pour un individu qui ne les connait pas. » L’ouvrage refuse toutefois d’en rester là : la compétence ne tient pas dans le seul énoncé de savoirs déclaratifs. Les apports des autres disciplines sont essentiels. Cathy Patinet montre à quelles conditions l’éducation physique et sportive contribue à construire une citoyenneté en actes. Caroline Bayet et Guillaume Caron font des mathématiques un instrument de construction de l’esprit critique.
L’autre moitié des contributions élargit le cercle des intervenants à tous les membres de la communauté éducative (conseiller d’éducation, documentaliste, etc.) et aux partenaires (institutions, associations). Il s’agit bien de développer chez les élèves deux attitudes : engagement et distanciation.
Le lecteur est mis dans la même position : poussé à agir et contraint à réfléchir. L’un des axes forts de l’ouvrage est l’insistance sur le débat. Ainsi, le lecteur est-il incité à la vigilance, y compris quand il arrive qu’un contributeur paraisse trop péremptoire. Ce livre autorise le doute. Et les interventions de Bernard Rey, distillées en fil rouge dans le livre, obligent à prendre en compte les écueils, les dérives, les contradictions : « Quelle valeur y aurait-il à ce qu’un élève prenne une initiative pour répondre à une demande explicite d’initiative ? » ou « Évaluer, dans un livret, les compétences sociales et civiques peut conduire à sanctionner des comportements liés, au moins partiellement, à une appartenance sociale. » Son apport essentiel me semble être cette suggestion : « L’idée est qu’à travers l’apprentissage des savoirs, se joue la possibilité d’accès à des compétences sociales et civiques […] penser que le degré de vérité d’une affirmation n’est pas proportionnel au statut de celui qui l’énonce […] accepter que ses idées soient discutées et réfutées sans perdre la face, accepter de changer ses opinions sans avoir le sentiment de perdre ainsi son identité. » Cela suppose une remise en cause du rapport au savoir dominant dans notre école qui n’est pas sans risque pour l’autorité des maitres ! Cela suppose aussi que l’on soit convaincu, comme Laurent Fillion, que « les effets pervers possibles ne doivent jamais être des arguments pour ne rien entreprendre ! »


QUESTIONS À LAURENT FILLION

 

laurent-fillion.jpgFrançois Audigier, dans sa préface, évoque les contradictions chez les adultes entre les valeurs qu’ils professent et les actes. Cela est vrai aussi pour l’institution scolaire et alimente, à l’adolescence, des postures de distanciation ironique, de désengagement. Comment prendre en compte ces contradictions ?

Vous avez raison d’ajouter l’institution scolaire. Tensions et contradictions entre la recherche du vivre ensemble et des méthodes coopératives bien peu répandues, tensions et contradictions entre l’éducation à l’autonomie et l’éveil de l’esprit critique et une situation d’élève le plus souvent en position de réception, tensions et contradictions entre égalité proclamée et compétition et sélection qui jalonnent le parcours scolaire. La réponse est peut-être dans l’expression « éducation à la citoyenneté ». Le rapport sur la concertation pour la refondation de l’école ne dit rien d’autre : « Pour exercer de manière lucide et raisonnée la part de souveraineté qui lui est dévolue, le citoyen doit avoir appris à s’informer sur des sujets politiques, à juger du point de vue de l’intérêt général, à avoir le souci du bien commun, de la justice et de l’égalité, à argumenter et à débattre, à assumer des responsabilités collectives. Ces compétences civiques s’acquièrent notamment par la participation aux instances représentatives ou à la vie associative de son établissement. » Les pistes proposées par les collègues qui ont contribué à cet ouvrage sont encore plus diverses et variées.

Le chapitre  6 de votre livre aborde la question soulevée par l’intervention du ministre autour de l’enseignement d’une morale laïque. Le développement des compétences sociales et civiques est-elle pour vous soluble dans cet enseignement ?

C’est plutôt le contraire : c’est l’enseignement d’un cadre dans lequel doit s’exprimer la citoyenneté qui est soluble dans celui des compétences sociales et civiques. Apprendre aux élèves à s’engager, à débattre nous amène à aborder la question des limites et des règles dans lesquelles ces compétences s’exercent. Échanger les idées n’est pas affirmer que toutes les idées se valent. Apprendre à assumer des responsabilités, c’est apprendre à se mettre au service d’une collectivité, qui a ses règles de fonctionnement et ses principes et valeurs. Apprendre à vivre ensemble, c’est mettre en pratique une tolérance réelle. Développer un esprit critique, c’est gagner en indépendance et en liberté.

Si, dans la reformulation du livret de compétences et du socle commun, elles sont intégrées aux quatre premières, cela signifie-t-il leur disparition ?

Oui. En fixant clairement ce qui doit être acquis par tous, le socle commun nous oblige à réfléchir aux moyens à mettre en œuvre. Noyer ces compétences dans les autres compétences, davantage identifiées disciplinairement, conduira vite à considérer affirmer qu’elles ont été indirectement abordées et que cela suffit. On sait bien ce qui advient des objectifs d’enseignement implicites. Dans notre système scolaire, quand un domaine concerne tout le monde, il finit par ne concerner personne. C’est ce qui a été fait avec la compétence disparue « apprendre à apprendre ». On a jugé qu’elle était implicitement liée à toutes les autres. Est-elle mise en place pour autant ?