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Éduquer à Schengen ?

Je ne me suis pas retrouvé dans le dossier N°442 sur l’Éducation à l’Europe. Le pluralisme même des Cahiers m’a paru être ici en cause.
Il semble acquis dans ce dossier, comme dans un consensus naturel, que l’idée d’Europe ne saurait être que généreuse, ne représenterait que le dépassement des nationalismes et l’ouverture aux autres. Certes, un article de Jean-Richard Cyterman évoque les critiques contre l’Europe libérale, mais c’est pour les balayer d’un revers de main comme « exagération » et « diabolisation ». Nicole Tutiaux-Guillon évoque aussi la possibilité qu’il y ait débat, pour d’ailleurs constater qu’il n’a pas réellement lieu dans les classes. Est-ce suffisant ?
En réalité, le dossier laisse une belle part aux défenseurs patentés d’une Europe idyllique (comme « Idées Nouvelle Europe »), qui, pendant la période référendaire, inondaient jusqu’à la nausée les casiers des profs d’histoire-géo d’une propagande unilatérale. J’avoue souffrir de retrouver cet unilatéralisme dans les Cahiers.
Etait-il si difficile de s’adresser au service formation et éducation populaire d’ATTAC pour faire la balance ? Nul ne paraît y avoir songé.
Car le « désir d’Europe » avec lequel est introduit ce cahier ne semble vécu que de l’intérieur d’une Europe confortable, protégée par les frontières barbelées de l’espace de Schengen. Quid du « désir d’Europe » des Africains qui se jettent sur les barbelés de Ceuta et Melilla, qui meurent dans le détroit de Gibraltar ou au large de la Mauritanie, d’une Europe qui externalise ses camps de concentration pour immigrés en confiant à la Libye du colonel Khadafi le soin de stocker les indésirables ?
Sur le plan pédagogique, il me semble manquer de la complexité dans l’idée d’Europe construite au long des expériences racontées par les collègues. Dans ma région où l’on a voté à plus de 60% non au référendum de 2005, l’enseignement de l’Europe tel qu’il est présenté dans ce Cahier risquerait de conduire à une fissure souterraine dans la classe : les enfants des milieux populaires qui ont massivement voté contre l’Europe de Bolkestein, se heurteraient à un enseignant porteur d’un « désir » magique d’Europe, vérifiant l’injonction paradoxale des familles populaires dans bien des cas : « Apprends, mais ne trahis pas ta classe ». Il ne s’agirait pas là d’une sorte de représentation-obstacle, mais bien d’une tentative d’ignorer certains aspects de la réalité européenne, par une vision idéologique de l’Europe fort présente dans les programmes mêmes d’enseignement.
Bien sûr qu’il est utile de faire fraterniser des enfants et adolescents de pays différents à travers le sport ou l’échange culturel, mais apprendre l’Europe, c’est aussi apprendre ses réalisations, ses contradictions, et parfois même ses crimes.
Ma critique vient bien tard et sans doute aurais-je dû réagir aux appels à contributions lancés de façon ouverte par la rédaction des Cahiers. J’ai pensé que d’autres maîtrisaient mieux cette question. Je n’aurais eu à proposer que ces moments passés en classe, après la classique étude du fonctionnement idéal de l’Union, à partir de quelques caricatures d’origines nationales diverses, pour construire un portrait plus nuancé des rapports de l’Europe avec ses citoyens.
L’idéalisation d’une Europe peu démocratique et largement soumise aux intérêts des grands groupes financiers me semble contre-productive pour aider à dépasser les nationalismes.
Alors, changer l’Europe pour changer l’école et changer l’école pour changer l’Europe, est-ce trop demander ?

Dominique Natanson


NDLR : Merci à Dominique Natanson pour cette réaction.
Précisons que nous avons, sur ce sujet, sollicité de façon forte Christian Laval ( Institut de recherches de la FSU, auteur de l’Ecole n’est pas une entreprise, La Découverte, 2003), qui a décliné –fort courtoisement– la proposition de donner sa position. D’autres pistes ont été essayées sans succès.
Nous accueillerons volontiers d’autres contributions pour rompre avec l’unilatéralisme que Dominique Natanson reproche à ce dossier.