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Éducation et recherche : un couple improbable ?

La recherche en éducation se présente sous la forme d’une carte peu lisible et ses résultats sont rarement diffusés ou exploités. De même, la communauté des chercheurs en éducation ne s’adresse guère à la société ou même aux acteurs de l’éducation de façon organisée et collective. La question de savoir comment mettre en place un processus de transfert entre recherche et pratique est encore aujourd’hui non résolue, et ce, pour plusieurs raisons.

Une image brouillée

Tout d’abord, la recherche publique en France est marquée par la coexistence de différents organismes, principalement des universités, des instituts de recherche et des grandes écoles, dont les missions reflètent des situations variées. Ces organismes sont parfois fortement imbriqués les uns dans les autres, situation qui ne facilite pas l’accès à l’information, aux connaissances et aux ressources qui y sont développées. La dissémination des résultats de la recherche est rarement organisée officiellement par ces institutions. Il existe bien des revues émanant des laboratoires de recherche, mais elles sont souvent méconnues et peu accessibles. Les organisations qui ont une influence sur les praticiens de l’éducation (les inspecteurs, les réseaux professionnels, les think tanks) agissent souvent dans des cercles très restreints et de façon plus théorique que pratique.

Ensuite, même s’il était opérationnel, le transfert de connaissances ne pourrait pas fonctionner en sens unique ni être appliqué comme une procédure top-bottom. Les chercheurs, qui se sont aussi penchés sur la façon dont les connaissances se transfèrent, distinguent trois zones d’échange entre les différents acteurs : les producteurs de la recherche, les utilisateurs (praticiens et décideurs) et les organisations-individus chargés du processus de rapprochement entre recherche et pratique. En effet, connaitre les résultats d’une recherche efficace ne suffit pas pour la transformer en prescriptions directement applicables dans la classe.

Privilégier une approche dynamique

La mise en relation de ces trois contextes de médiation privilégie une approche plus dynamique que mécanique et ne peut fonctionner que si les résultats de recherche tiennent compte du milieu et des pratiques auxquels ils sont destinés. Le transfert de connaissances n’implique pas automatiquement la transmission de nouveaux savoirs qui contribuent à accroitre les capacités d’apprentissage ou les compétences des élèves, mais il permet de juger de la pertinence de telle ou telle recherche ainsi que de la faisabilité de sa mise en œuvre sur le terrain. On ne peut pas comprendre comment peuvent être utilisés les résultats de la recherche, si on ne réalise pas d’abord que l’activité professionnelle n’est pas une science, mais une pratique. Les résultats de la recherche ne sont, dans ce cadre, qu’une source d’information en concurrence avec beaucoup d’autres de natures différentes.

Une réappropriation est donc nécessaire par la communauté des utilisateurs animés par la volonté de s’interroger sur leurs pratiques. Le transfert de connaissances est un processus complexe et désordonné qui va au-delà du simple push[[La méthode push consiste à apporter à l’utilisateur ou à « pousser » vers lui, de manière directe et automatique, de l’information.]] vers les personnes concernées, des chercheurs vers les décideurs, des chercheurs vers les praticiens, des chercheurs vers le grand public. Le fait qu’un praticien utilise des résultats de recherche pour faire évoluer sa pratique dépend plus de son environnement et de ses relations sociales que de ses dispositions individuelles.

Construire un pont entre deux mondes

Enfin, la mise en place d’un modèle collaboratif introduit l’idée d’aller-retour entre le monde de la recherche et celui de la pratique. Un des obstacles principaux au transfert des résultats de recherche vers les pratiques réside dans l’écart important entre chercheurs et utilisateurs. Leurs valeurs, les croyances et les modes de fonctionnement sont différents. Les enseignants agissent plus sur la base de croyances fondées sur leur expérience que sur celle de connaissances produites par la recherche. Il serait donc nécessaire d’accentuer les efforts liés à la mobilisation des connaissances, en particulier dans les universités et les laboratoires de recherche, et surtout de donner les moyens aux établissements d’enseignement de trouver, partager, comprendre et utiliser la recherche avec l’aide d’organisations intermédiaires officielles, de passeurs de connaissances dont le rôle est de recenser et de restituer les travaux de recherche.

Marie Gaussel
Cellule de Veille & Analyse de l’IFÉ-ENS