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Écrire et réécrire pour se reconstruire

Ils ont entre 12 et 20 ans, élèves en institut médicoéducatif. Considérés en situation de handicap, ils sont, en compensation, orientés par la maison départementale des personnes handicapées vers une structure spécialisée. Beaucoup de ces élèves associent leur départ du système scolaire classique à leur difficile entrée dans l’écrit.

faire des choix et se poser des questions

Un atelier d’écriture de récits mythologiques, le module de lecture niveau 2 (CP-CE1), a été proposé à huit jeunes entre 14 et 16 ans réunis en groupe de besoin. Tous ces élèves sont lecteurs débutants, ils déchiffrent et commencent à écrire des phrases. Cette expérience s’articule autour de choix pédagogiques visant à mettre les élèves en situation d’acteur et tuteur et à leur permettre d’expérimenter une posture d’auteur. Nous entendons ici par « auteur » celui qui est capable de formuler des choix prenant en compte le récepteur (lecteur ou public) et qui peut les expliquer : « ce “je” qui pense. »

Les rôles de l’enseignant sont centrés autour de l’animation des débats, le soutien à l’agir et le renvoi vers les outils d’autonomie intellectuelle (affichages, lexiques, correcteur orthographique, cahiers et cartes de rôles, par exemple « Critique littéraire » ou « Conseiller en ponctuation »).

Chaque séance de l’atelier d’écriture s’articule autour de trois temps : un temps de lecture par l’enseignante de l’extrait d’un mythe[[Le feuilleton de Thésée, la mythologie grecque en 100 épisodes, Murielle Szac, éditions Bayard Jeunesse.]] commenté par les élèves pour mettre en lumière le questionnement posé par l’auteur et les éléments de réponses que comprend le lecteur. Ensuite, un temps d’écriture d’une vingtaine de minutes est suivi d’une réunion du comité de lecture.

« Minos peut-il changer ? », « peut-on vivre avec les autres alors qu’on est différent (Polyphème) ? », « un mensonge permet-il d’arriver à ses fins ? », autant de questions que les élèves ont posées avec leurs écrits.

Nous avions travaillé sur des versions différentes du même mythe et les élèves avaient compris que l’auteur peut donner des pistes de réflexion, nous amener à nous poser des questions ou bien encore nous proposer sa réponse. Cette découverte a été décisive pour eux, car cela les a aidés à démystifier l’écrit : il n’est pas extérieur à nous, c’est un pouvoir dont je peux m’emparer au même titre que les autres. Le premier rôle du temps de lecture littéraire par l’enseignante, à ce titre, est d’éveiller au désir d’écrire.

Le comité de lecture effectue une critique positive du travail : ce qu’on a aimé, ce qui intéresse le lecteur, ce qui lui plait, ce qui l’intrigue, ce qui l’interroge. Ces éléments sont notés sur une affiche par l’enseignante. La formulation positive est essentielle pour garantir un regard indulgent de l’écrivant sur son travail, il ne s’agit pas de dire ce qu’il faut améliorer ou ce qu’on n’a pas compris. C’est un changement de posture qui est demandé aux élèves (et à l’enseignante), pour commencer par dire ce que l’on a compris de l’écrit des camarades et ce qui est apprécié. Et ce n’est pas si facile. Les éléments identifiés permettent au groupe d’élaborer une liste de critères de réussite pour rendre le texte attirant pour le public.

La séance suivante commence par la révision des textes en fonction des critiques positives du comité de lecture. La situation tend à favoriser l’entretien d’explicitation entre pairs. Et c’est la principale difficulté pour l’enseignant, qui a plus ou moins consciemment formalisé une idée de « l’écrit bien construit » là où il est bon d’aller aussi vers la liberté nécessaire à la création. Il faut accepter de ne pas tout maitriser, d’être surprise, d’être parfois la seule à ne pas comprendre (!), et le recours à d’autres personnes est parfois nécessaire pour sortir de l’impasse.

Ne pas tout maitriser ? Un exemple : un des mythes produits se termine par la phrase : « Le cyclope mourra de faim. » Il répond donc à la question des auteurs par la négative : non, on ne peut pas vivre avec les autres quand on est différent. Dur, dur ! Connaissant la lourde histoire personnelle des auteurs, j’ai tenté d’orienter les propositions du comité de lecture vers une réécriture de la fin : et la résilience alors ? J’ai même proposé la lecture à la classe d’à côté. Vaines tentatives. Le comité de lecture qui, grâce à sa grande pertinence, a compris quelles fins visaient ces manipulations, m’a renvoyé : « On n’est pas dans le monde merveilleux de Mickey ! Apprendre qu’une histoire peut mal se terminer, ça apprend aux gosses à grandir aussi ! » Et en voilà une belle leçon de sagesse.

Surmonter des troubles des fonctions cognitives

Aujourd’hui, tous les élèves du groupe acceptent de se lancer dans l’écriture, de laisser une trace. Ils écrivent des textes plus longs. Certains ont bien compris le rôle des adjectifs pour nuancer leurs propos. Ils acceptent de lire devant les autres. Et surtout, ils acceptent de réécrire. Car écrire, c’est toujours et avant tout réécrire.

Tout d’abord, l’approche collective y a sans doute contribué, le soutien des pairs étant indispensable pour construire une image de soi positive en tant qu’écrivant.

Ensuite, l’étude de récits mythologiques semble adaptée aux préoccupations et aux questionnements des adolescents et propice à engager avec eux un travail sur la langue. Pour ce groupe au profil colérique et soumis à des accès de violence et de peur, l’étude de la figure d’Héraclès a tenté de concilier pensée et force. Comment Héraclès qui, dans un accès de fureur, est capable de tuer ceux qu’il aime, réussit-il ensuite à dominer sa colère et à se maitriser ?

Un jeune adulte compétent en français est donc capable de mettre à distance le langage et de l’utiliser comme un outil à construire et déconstruire pour dire qui il est.

 

Formes et obstacles de l’écrit

 

D’abord, écrire, c’est long et fastidieux. Cela éloigne fortement toute notion de plaisir, sauf pour certains qui aiment copier, activité vécue comme contenante, voire rassurante. Activité contenante car le cadre, la consigne et la durée en sont connus et les attentes de l’enseignante sont identifiées. Activité rassurante, car le résultat est visible, la trace est évaluable pour celui qui connait les règles du bien copier. Mais celui-là ne souhaite pas forcément produire un écrit personnel. Il y a ceux pour lesquels l’écrit n’est soumis qu’à une logique scolaire : écrire pour l’enseignante. Ou ceux pour lesquels l’écrit a une fonction utilitaire : apprendre à écrire pour trouver un métier, pour faire la liste des courses ou lire les ordonnances quand on aura nos enfants malades, etc. Cette année, Arthur veut envoyer des cartes postales à sa mamie. L’écrit a une fonction d’expression de l’intime, de la sphère privée. Il s’agit également d’une certaine manière de transcender l’espace et le temps. Envoyer un courrier à quelqu’un, c’est savoir différer ses attentes, le temps de l’écriture et de la lecture sont distincts et distants. Écrire rend l’absence présente. « Toute idée contient sous une forme remaniée le rapport affectif de l’homme avec la réalité qu’elle représente », écrit Vygotski dans Pensée et langage. Autrement dit, toute activité cognitive est chargée en affects, on ne peut séparer les fonctions intellectuelles de la dimension affective du sujet. Se raconter à un autre ? Mais que peut-on écrire lorsqu’on a une image de soi si dévalorisée ?

N. W.