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Écouter les élèves pour les faire travailler

Comment l’étude a disparu

Dans sa conférence d’ouverture, Philippe Savoie, professeur d’histoire contemporaine à l’ENS de Lyon, a évoqué la crise de l’enseignement secondaire et plus particulièrement l’externalisation du travail des élèves. Sa mise en perspective historique nous a rappelé qu’à la Sorbonne des XVIe-XVIIe siècles, les étudiants comme les collégiens étaient pensionnaires et encadrés par des élèves plus âgés qui jouaient le rôle de répétiteurs.

Aux siècles suivants, l’internat s’impose comme forme de scolarisation optimale. Les élèves écoutent quelques cours magistraux, suivis d’exercices et de mises en application en étude, sous la direction d’un répétiteur. Mais ces maitres d’internat sont mal considérés. Leur promotion ne va pas empêcher le déclin des internats publics. Les familles aisées préfèrent alors embaucher ces répétiteurs. Le travail d’étude s’externalise.

Les répétiteurs vont devenir enseignants sous un statut inférieur, puis disparaitre au moment de l’arrivée des classes populaires dans l’enseignement secondaire. Dans le collège (et le lycée) pour tous, les élèves ne sont plus accompagnés dans leur travail personnel, la plupart du temps externalisé, malgré quelques courants réformateurs comme celui de la classe inversée, promouvant les exercices faits en classe. On comprend ici le succès grandissant des cours particuliers, qui reprennent ce rôle tenu autrefois par les répétiteurs.

La table ronde qui a suivi nous a permis de réfléchir à ce qui peut aider l’élève à travailler.

  • Anne Philippon, professeure d’histoire-géographie au Microlycée de Sénart, membre de la FESPI (Fédération des établissements scolaires publics), accompagnée de l’élève Fanny Gauthier de Terminale STMG. L’élève et l’enseignante ont témoigné de leurs stratégies pour dépasser les blocages d’élèves en échec qui s’auto-handicapent. Moment rare où l’émotion rencontre la réflexion.
  • Sylvie Sisakoun, professeure de Lettres au lycée Le Rebours à Paris, formatrice en formation initiale et continue a partagé son utilisation des heures d’Accompagnement Personnalisé au lycée : Mutualisation entre élèves sur leurs stratégies d’apprentissage. Réfléchir, anticiper une évaluation. Travailler sur critères d’évaluation. L’AP serait une réponse à l’aide au travail scolaire ?
  • Viviane Bouysse, Inspectrice Générale de l’Éducation nationale a insisté sur les compétences que demande l’accompagnement d’un élève. Même la classe inversée demande des compétences de haut niveau que tous les élèves n’ont pas.

Catherine Rossignol
Professeure d’histoire-géographie en collège


Quand « faire travailler les élèves » fait réfléchir le prof…

Au colloque « Faire travailler les élèves », on rencontre surtout des adultes, qui sont « de l’autre côté de la barrière » (chercheurs, enseignants, proviseurs…). Les adultes sont aussi dans l’assistance. Pour tous, la même quête : rendre l’élève acteur.

Une élève pourtant est là, pour parler de son expérience au Microlycée de Sénart, en particulier de son processus pour « raccrocher » et renouer avec la réussite. Un de ses professeurs, Anne Philippon, lui a permis de comprendre qu’elle s’auto-handicapait – et cette notion est, je pense, particulièrement éclairante pour nos pratiques enseignantes. L’élève préfère alors ne pas tenter de réaliser un exercice ou se braque, plutôt que d’essayer et d’échouer à l’arrivée, en somme « il se protège », car « c’est violent, si on ne réussit pas ». Ainsi, progressivement, cette élève qui avait de grandes difficultés en anglais a pu progresser et atteindre le niveau attendu.

Pour l’enseignante, faire travailler les élèves, c’est donc « leur faire prendre conscience de ce qui les “auto-handicape ” », c’est aussi établir un lien de confiance qui va pousser l’élève à s’engager dans une activité, faire des efforts pour y parvenir, persévérer pour avoir la satisfaction de réussir mais aussi d’accéder à quelque chose de nouveau.

Sylvie Sisakoum, professeur de lettres classiques, explique son changement de posture : après une crise de sens dans son métier, elle s’est mise dans la peau d’un élève pas motivé. Le changement a été progressif, après partages d’expériences, nombreuses lectures personnelles et tâtonnements. Elle présente quelques uns des dispositifs mis en place avec ses élèves : métacognition (les élèves envisagent les questions de la future évaluation), travail sur les annotations des copies et leur sens pour eux, évaluation par les pairs (par exemple, à l’oral), coopération, proposition d’une variété d’activités (un groupe en semi autonomie, elle-même en appui auprès des autres). Elle insiste sur son nouveau positionnement : écouter, plutôt que parler.

Ces deux exemples ont particulièrement retenu mon attention, car ils correspondent aussi à une recherche personnelle de sens dans mon métier, à savoir permettre à chaque élève de suivre (pas poursuivre, mais intégrer le sens) et arrêter mon refrain improductif et lassant « tu devrais travailler plus » : une position peut-être facile pour moi (car dégageant ma responsabilité) et sans résultat (puisque ne donnant pas « le mode d’emploi » pour travailler).

Anne-Sophie Martinez
Professeure d’histoire-géographie en collège


Soutenir les élèves

Patrick Rayou inaugure les travaux de l’après-midi. Il s’intéresse dans son intervention aux conditions qui font « que les élèves se mettent ou ne se mettent pas au travail », et à ce « qu’ils mettent d’eux-mêmes » dans cet engagement.

Après avoir rappelé qu’« il y a une manière d’apprendre à l’école qui est propre à l’école », spécificité devenue invisible aux yeux des enseignants, Patrick Rayou décline les trois pôles autour desquels, selon lui, s’organise le travail scolaire et fait apparaitre la nécessité d’articuler les aides apportées aux élèves autour de ces trois registres simultanément, pour soutenir efficacement le travail des élèves.

Le pôle cognifif : celui qui développe et entraine la pensée et le raisonnement. Pour que les élèves apprennent, ils doivent passer de la simple effectuation minimale des tâches, centrée sur le spécifique, à un niveau de problématisation et de généricité qui leur permet d’accéder au pourquoi de la tâche. De nombreuses difficultés d’élèves au collège sont liées à cette « polarisation sur le spécifique » qui fait écran à « l’accès au générique ».

Le pôle culturel : tous les élèves ne sont pas à distance égale de la culture légitime véhiculée par l’école. Les univers culturels des élèves de milieu populaire sont peu investis par l’école, alors que les enfants d’enseignants sont dans une grande connivence avec ses références, ce qui leur permet d’y réussir particulièrement bien.
Le pôle identitaire/symbolique : s’il y a distance culturelle, ce qui se joue à l’école n’est pas du même ordre que ce qui se joue à la maison et entraine pour les plus éloignés de la culture des conflits de loyauté (voir Annie Ernaux). Une manière, pour certains, de se défendre c’est d’empêcher d’apprendre. Comment à la fois ne pas se couper des pairs et ne pas se couper des chances d’ascenseur social que peut offrir l’école ? Défi insurmontable pour certains élèves.

Par ailleurs, les malentendus peuvent aussi se jouer sur un autre terrain. Là où l’élève idéal – aux yeux des enseignants – est autonome, capable de se prendre en mains, de s’occuper quand il a du temps libre, pour des élèves de REP + interrogés être autonome c’est « ne jamais rien demander à personne ».

Alors comment soutenir les élèves ?

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Sans doute en les écoutant davantage ; Patrick Rayou, professeur en sciences de l’éducation, pour conclure, insiste sur cette écoute des élèves et donne l’exemple du travail fait par des chercheurs avec des élèves de 4e réagissant à des enregistrements vidéos de deux cours sur le site neopass@ction. Leurs analyses des cours visionnés mettent en relief deux caractéristiques appréciées des élèves dans les pratiques des enseignants : proposer des savoirs consistants et « protéger » les élèves. Maintenir donc des enjeux cognitifs exigeants, dans une posture de côte-à-côte.

Plutôt que de penser que les élèves n’apprennent pas parce qu’ils se comportent mal, faisons l’hypothèse qu’ils se comportent mal parce qu’ils n’apprennent pas.

Dans la table ronde de clôture animée par Jean-Michel Zakhartchouk, Anne Barrère, professeure de sciences de l’éducation, s’appuyant une recherche réalisée en 1996, a rappelé deux éléments saillants observés quant au travail des élèves.

Une explication majeure du manque de réussite de certains se fonde sur leur manque de travail. Or, nous dit l’intervenante, la somme de travail demandée aux élèves n’est jamais pensée collectivement. De plus la mise en correspondance par les élèves de la somme de travail qu’ils fournissent et de l’évaluation qu’ils obtiennent en retour est souvent source d’un sentiment d’injustice scolaire, certains élèves se sentant mal rémunérés par la note au regard du travail fourni, là où d’autres réussissent sans beaucoup de travail : « mon non travail produit d’assez bons résultats ». A cela, il convient d’ajouter l’opacité sur ce que la note évalue, vu sa variation en fonction des contextes.

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Comment les choses ont-elles évolué depuis 1996 ? Pour Anne Barrère, il y a une prise de conscience que l’école doit reprendre la main sur la question de l’organisation du travail scolaire. L’externalisation participe aux inégalités. L’organisation du travail scolaire doit être pensée au sein de l’institution et non laissée au marché ou aux familles.

Un mouvement s’esquisse pour conduire à retrouver le sens du travail pour apprendre et non pour être évalués (classes sans notes, compétences, cycles),
Une enquête plus récente, qui a donné lieu à la publication de L’éducation buissonnière, montre l’importance grandissante des activités de loisirs pour les jeunes : c’est un vrai « curriculum alternatif », un lieu d’investissement très fort qui a une influence sur la façon de vivre le temps scolaire.

Quel rapport entre le temps passé dans ces activités et le travail à la maison ? Ce continent des loisirs et sociabilités juvéniles est largement méconnu par les profs. L’aptitude observée des jeunes à cumuler les activités interroge l’école : jusqu’où peut-elle continuer à exiger la mono-activité ?

Cet envahissement de l’école buissonnière interroge aussi les contours des activités scolaires, leur temporalité. S’ils sont zappeurs, les jeunes sont aussi en recherche d’investissements sur le long terme. Ils sont friands de compétitions ludiques : qu’est-ce que l’école en fait ?

Les jeunes aujourd’hui sont aussi en quête d’intensité, de choses qui marquent, en quête de difficultés. Or, le travail scolaire est souvent présenté comme un travail de basse intensité. Comment est pris en compte leur besoin de challenges ? A quand la « nuit des maths » ? Un besoin d’intensité à faire cohabiter aussi avec une nécessaire décélération et un besoin de ralentir les rythmes.

De nombreuses pistes ouvertes par cette journée de travail à compléter – pour prolongements – par quelques lectures ci dessous.

Nicole Priou


A lire aussi :

N° 468 des Cahiers pédagogiques « As-tu fait tes devoirs ? » Dossier coordonné par Régis Guyon et Jean-Michel Zakhartchouk.

Hors-série numérique n° 12 des Cahiers pédagogiques « Aider et accompagner les élèves, dans et hors l’école » Coordonné par Sylvie Grau et Jean-Michel Zakhartchouk

Pour un accompagnement éducatif efficace Anne Mansuy, Jean-Michel Zakhartchouk, CRDP de Franche-Comté, 2009

« Représentations et enjeux du travail personnel de l’élève », Dossier de veille de l’IFÉ n° 111, juin 2016.

« Comment soutenir et accompagner la réussite des élèves ? Dispositifs, apprentissages, trajectoires », compte rendu de la formation du Centre Alain Savary, 4 et 5 juin 2014.

Qu’est-ce qui soutient les élèves ?, rapport de recherche, sous la direction de Dominique Glasman et Patrick Rayou, Centre Alain Savary-IFE, 2016.