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École et valeurs : la table brisée ?

Dans cet ouvrage dense, structuré par un parcours méthodique, l’auteur nous convie à suivre ses réflexions concernant la laïcité et sa mise en pratique. Il s’agit du cheminement fortement étayé d’un chercheur exigeant, d’un acteur proche du terrain de l’école, et des praticiens qui la font vivre au quotidien.
Dans nos dictionnaires usuels, la laïcité est généralement définie en creux : serait laïc ce qui n’a pas de rapport avec le religieux. La définition est réductrice, caricaturale, comme le sont les approches neutralistes ou consensuelles proposées ici ou là. La laïcité dans l’exercice de l’enseignement ne peut en effet se rabattre sur une simple neutralisation des différences, ou des événements particuliers, pouvant bousculer l’harmonie du flux des activités de l’école. Elle ne serait alors que « virtuosité protocolaire de l’accueil ». Elle ne peut pas plus s’afficher par des discours ou des anathèmes simplistes dispensant leurs auteurs de la nécessaire réflexion sur leurs pratiques quotidiennes d’éducateurs et d’enseignants, et du témoignage qui en découle.
L’auteur, qui refuse d’élaborer ici une analyse exhaustive des valeurs à l’école, cherche plutôt à comprendre comment l’enseignant peut, au lieu de subir et de véhiculer des cadres de pensée préétablis, réélaborer les valeurs qu’il transmet et fait émerger dans sa pratique. Il en appelle à une laïcité en actes, à une tension d’ouverture et d’accueil, à une exigence d’ordre philosophique et politique pouvant amener à subvertir les systèmes établis de pensée et d’action.
Au cours de sa réflexion, l’auteur parcourt un siècle de prises de position sur l’école, ses missions, et sur la laïcité. Pour lui, l’enjeu fondamental est l’accueil, par l’école publique, de tous et de chacun. Dès lors, l’accueil des enfants « différents » devient un révélateur essentiel, et l’auteur soumet à l’analyse les différents modes d’accueil, et les offres méthodologiques de tous les mouvements de rénovation pédagogique, des méthodes actives à la pédagogie différenciée. En ce qu’elles permettent une ouverture de l’espace de la classe en espace de médiation et d’analyse, toutes ces propositions méritent d’être réintégrées – et réhabilitées – dans l’offre pédagogique commune.
L’espace de laïcité est du coup l’espace permettant la confrontation d’idées et l’élaboration de solutions porteuses de sens, à la fois pour l’enseignant dans sa pratique quotidienne et dans sa participation au débat d’idées, et pour l’élève, membre de collectifs qui ont à progresser grâce à l’apport de tous, et à faire grandir chacun. Et l’auteur de citer Jules Ferry qui recentre sur l’essentiel : « Tous ces accessoires (pratiques de la démocratie, activités d’éveil) sont à mes yeux le principal parce qu’en eux réside la vertu éducative », et c’est en fait à travers l’acquisition – incontournable – des connaissances que doivent émerger la pratique de la laïcité et la construction de systèmes de valeurs.
Pour G. Fath, il s’agit à la fois de faire exister un monde cohérent entre les murs de l’école, sans survaloriser les mécaniques organisationnelles, et de ne jamais considérer les clôtures de l’école – parfois salutaires – comme des obstacles à la proximité du monde, proche et lointain, et aux enjeux du vivre-ensemble qu’il véhicule.
L’auteur qui a été professeur de philosophie, puis formateur et maintenant chercheur, propose ici une schématisation approfondie de l’espace axiologique (espace des valeurs) dans le champ scolaire, plus comme outil évolutif que comme modèle figé. Ce travail ouvre par ailleurs sur un développement ultérieur, un tome supplémentaire devant poursuivre la réflexion, en cours.
Tout au long de cet ouvrage, c’est l’école qui est présente, celle qu’on fait vivre, celle qu’on idéalise, et celle que représentent les communautés d’étudiants confrontés à des enjeux de même nature que les élèves. On parle alors d’aller à l’école « pour être avec de vraies personnes et interroger le monde avec eux, jouir de leurs présences et s’allier avec eux, même dans le conflit toujours possible, pour apprendre ce qui se cache derrière les couches du réel, ce réel qui se rêve autant qu’il se sait », comme conclut Gérard Fath.

Daniel Bersweiler