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École et imaginaire dans l’Algérie coloniale. Parcours et témoignages.

Voici un livre qui réserve une surprise, une très bonne surprise. Sous ce titre un peu convenu, en effet, dieu sait ce qu’on aurait pu trouver. Or ce qu’on trouve ce sont des témoignages très simples, descriptifs autant que la distance temporelle le permet, d’hommes (principalement) qui écrivent en réponse à la demande l’auteur, ce que fut leur vie quand ils se sont retrouvés projetés en tant qu’instituteurs dans des « écoles du bled » en Algérie dans les années cinquante. Ces écoles, les Français en ont ouvert alors par centaines chaque année, dans une ultime tentative pour parer au mécontentement grandissant des colonisés. Or il n’y avait pas assez de candidats sur place pour les ouvrir. On fit donc venir des enseignants de France, ils furent formés rapidement (mais efficacement de l’avis des concernés) et envoyés dans la montagne, où ils affrontèrent des conditions matérielles, professionnelles, culturelles, politiques qu’on dira simplement violentes. Tout démunis qu’ils fussent, ils ont fait face, et c’est leur expérience qu’ils racontent. La méthode derrière le livre ressemble donc à celle de Mona Ozouf. Mais ici, c’est l’UNSA qui est donneur d’ordre : il s’agissait pour A. Ghouati de recueillir des mémoires sur l’action du SNI dans ces années-là en Algérie. Nous lisons donc la voix de ceux qui ont milité au SNI jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’après la scission de 1961, quand la grande majorité des membres du SNI en Algérie a fait sécession pour créer son propre syndicat, de tendance Algérie française. Ceux qui parlent ici sont ceux qui sont restés au SNI, ils ont parfois continué leur carrière quelques années encore dans l’Algérie indépendante avant de revenir en France. Ils avaient à peine plus de vingt ans, ils lisaient souvent le Canard Enchaîné. Sans prendre le parti de la résistance au système colonial, ils en percevaient profondément l’injustice et la fragilité. Ils le disent sans emphase. A. Ghouati a eu la sagesse de ne pas commenter leurs propos, c’est eux seuls qu’on entend. Il était temps, nombre d’entre eux sont décédés en quelques années.
Hasard de l’édition ? Est parue en même temps la transposition plastique de la nouvelle « L’Hôte » de Camus (recueil L’exil et le royaume), par Jacques Ferrandez (Gallimard, « Fétiche », 2009, 64 p.), complètement en phase avec le climat des témoignages précédents. On peut lire aussi le témoignage fascinant d’un jeune de « là-bas » après la Deuxième Guerre mondiale, qui souhaitait connaitre le désert : Marceau Gast, Tikatoutin, Un instituteur chez les touaregs, itinéraire d’un apprenti ethnologue, Édition de la Boussole, Paris 2004. Après l’école normale à Alger, il fut envoyé en école nomade chez les Touaregs. Manquant de tout, de matériel pédagogique, mais aussi de classe, de logement, de nourriture (et ses élèves encore plus), il a fait face lui aussi et mené une pédagogie active inspirée de Freinet, avant de revenir à Alger où il allait devenir ethnologue…

Françoise Lorcerie