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École et familles migrantes en Italie

L’Italie, désormais pays d’immigration, est passée, en moins d’une décennie, d’un million de migrants en situation régulière à près quatre millions d’entre eux. Elle se retrouve maintenant à la troisième place en Europe derrière l’Allemagne et l’Espagne, qui comptent respectivement 7.287.900 et 4.002.500 immigrés, dépassant de fait la France et la Grande-Bretagne qui ont pourtant une histoire migratoire non communautaire liée à leur riche passé colonial. Les statistiques de 2007 [Caritas/Migrantes., 2007] sur l’immigration en Italie montrent que sur dix étrangers, cinq sont européens, deux africains, deux asiatiques et un américain. En outre, un immigré sur quatre provient des pays de l’Europe de l’Est. Les principales communautés de migrants sont les Albanais et Ukrainiens pour les non communautaires, et les Polonais et Roumains pour les communautaires. Parmi les immigrés non communautaires, les communautés les plus significatives sont marocaine pour l’Afrique, chinoise et philippine pour l’Asie, péruvienne et américaine pour le continent américain. Les immigrés en Italie parlent 150 langues différentes [Caritas, Migrantes., 2007]. Sur le plan de la répartition géographique, d’après le dix-septième rapport sur l’immigration de la Caritas, 59,5 % des migrants résident dans les villes du Nord d’Italie, 27 % dans les villes du Centre et seulement 13.5 % dans les villes du Sud. Leur présence est surtout plus significative dans les aires métropolitaines de Milan et de Rome. Les provinces avec le plus haut taux d’incidence de population étrangère sont : Prato 12,6 %, Brescia 10,2 %, Rome 9,5 %, Pordenone 9,4 %, Reggio Emilia 9,3 %, Trévise 8,9 %, Florence 8,7 %, Modène 8,6 %, Macerata et Trieste 8.1 %. Sur le plan religieux, 49 % de migrants sont chrétiens, 33 % sont des musulmans, 4,4 % pratiquent des religions orientales.

Problématique et méthodologie

La prise en main par les pouvoirs publics, depuis près de deux décennies, de la thématique de l’immigration a débouché sur la mise en place de dispositifs divers, règlements et lois, qui n’ont pas encore produit les résultats escomptés notamment en matière de maîtrise des flux migratoires. Les images et opinions stéréotypées sur l’immigration persistent même en milieu scolaire où la présence des élèves immigrés pose trois types de problèmes : les rapports entre élèves migrants et autochtones ; les rapports entre enseignants et élèves immigrés et enfin les relations entre l’institution scolaire et les familles migrantes. En outre, les discriminations dont sont victimes les immigrés nécessitent d’être abordées dans un cadre plus global de mise en place d’une politique du savoir-vivre ensemble qui doit surtout commencer à l’école en tant que lieu symbolique de l’intégration. Au stade actuel, on note une absence d’outils validés et généralisés permettant de gouverner les conflits parents migrants-enfants, enfants migrants-enseignants, parents migrants-enseignants. L’école peut pourtant être promotrice du dialogue interculturel à partir des actions éducatives concrètes de lutte contre la crise d’identité et le repli sur soi-même chez les élèves et leurs parents. Notre question de fond consiste à dire que l’amélioration des relations entre les deux agents d’éducation que sont les familles migrantes et l’école contribue à faciliter l’intégration des populations issues de l’immigration. Toutefois, cette amélioration ne sera effective que si les représentations du personnel scolaire et des parents, qu’elles soient sous forme conscientes ou non, sont déconstruites car reconnues comme frein à la communication interculturelle. Les situations d’incompréhension sont plus particulièrement en cause car fortement susceptibles de miner les relations entre l’école et la famille migrante. On est alors de fait amené à aussi nous interroger sur les éléments suivants : Comment les familles migrantes sont-elles accueillies au sein des établissements ? Existe-il dans les écoles une stratégie de communication interculturelle visant à favoriser les relations école et famille migrante ? Est-il possible de mettre en place une démarche de co-éducation entre la famille migrante et l’école ? Comment mettre en place une relation école et famille migrante qui ne soit vécue par ces derniers comme une intrusion dans leurs approches d’éducation familiale ? A partir de notre questionnement, nous nous interrogeons donc sur les relations entre l’école et la cellule familiale issue de l’immigration. Afin de donner un poids substantiel à notre démarche et un sens opérationnel à nos analyses, notre étude s’est focalisée sur un échantillon de familles migrantes et de professionnels scolaires de la Province de Pesaro. Vingt familles migrantes issues des pays tiers et quinze enseignants du primaire furent respectivement interrogés sous forme d’interviews semi-directifs. Parmi les familles interviewées, six ont déclaré avoir passé leur vie dans des villes rurales avant leur arrivée en Italie. Cet échantillon de familles et d’enseignants, sans toutefois être représentatif des respectives populations migrante et scolaire, permet tout de même de comprendre comment s’opèrent les mécanismes d’adaptation et de (re) formulation identitaire des familles issues de l’immigration. Par ce biais, on peut en effet identifier les situations d’incompréhension entre les parents migrants et le personnel scolaire nous envoyant ainsi à comprendre comment est structuré l’espace communicationnel école-famille migrante. Les investigations faites auprès de ces familles et enseignants permettent de mettre en évidence les principaux obstacles qui minent leurs réciproques relations. Nous nous interrogerons aussi sur les politiques et les dispositifs à mettre en oeuvre pour un renforcement des compétences des familles migrantes et du personnel scolaire à la communication interculturelle. Nos propositions se situent dans une logique de régulation à savoir harmonisation des comportements, coordination des actions, construction d’un cadre commun de dialogue interculturel. La finalité de nos propositions est de favoriser la mise en place de politiques publiques de communication interculturelle entre les familles migrantes et les institutions formatives. L’ensemble de notre questionnement interroge d’une part la dimension de la socialisation des familles migrantes dans le tissu socioculturel italien et d’autre part l’acquisition de compétences éducatives en terme d’orientation et de connaissance du système scolaire à travers une éducation non formelle.

Résultats d’une enquête

De manière générale, les instructions officielles du ministère de l’instruction publique ont conduit toutes les écoles à s’organiser pour répondre aux nouvelles exigences posées par l’immigration. Des commissions d’accueil des primo arrivants ont été mises en place dans les écoles. Elles concentrent principalement leurs activités sur l’apprentissage de la langue italienne et la mise en place de projets d’éducation interculturelle à l’école. Une modification partielle de l’offre formative a été opérée par certaines écoles afin de s’adapter à la nouvelle réalité multiculturelle de la société. Certaines villes, telles Rome, Milan, Turin, Bologne, Modena, ont mis en place un partenariat écoles et collectivités locales pour coordonner les actions d’intégration des élèves issus de l’immigration. Malgré tous ces efforts en cours, très peu d’actions pertinentes sur le plan national ont été mises en place afin d’aider les parents issus de l’immigration à mieux comprendre le système scolaire italien avant toute inscription de leur enfant dans une école. Pourtant, l’école est pour les élèves migrants, le lieu idéal où peut se façonner la réalité vivante de l’intégration. Pour cela, il faudrait que les modèles culturels issus de l’immigration soient pris en compte dans la gestion administrative de l’école ainsi que dans les activités pédagogiques et didactiques. Considérer l’école comme un instrument clé d’intégration des élèves migrants et de leurs familles signifie élaborer des pratiques éducatives formelles et non formelles favorisant à la fois la socialisation des jeunes immigrés dans la société d’accueil et dans leurs familles. Les interactions entre les parents immigrés et l’école sont porteuses de sens si elles s’enracinent et se modélisent dans un réseau relationnel et communicationnel pertinent prenant en compte les règles et codes régissant les rapports entre les individus issus de cultures différentes.

Quelques exemples de dysfonctionnements communicationnels

Si l’on peut noter les efforts menés au sein des écoles italiennes pour faciliter l’intégration des élèves immigrés, il existe toutefois encore beaucoup d’obstacles à surmonter comme on a pu l’observer dans les entretiens. Les relations même entre l’école et les familles migrantes en sont un. Les malentendus involontaires qui en dérivent minent le processus d’intégration des élèves immigrés. En effet, les parents immigrés que nous avons interrogés, éprouvent de réelles difficultés à comprendre le système éducatif italien. Ce qui constitue un obstacle pour accompagner leurs enfants dans leur scolarité. Les principales difficultés rencontrées par ces parents concernent : la méconnaissance de la culture d’accueil ; les problèmes linguistiques ; le manque de connaissance sur le fonctionnement du système scolaire italien en comparaison avec celui de leur pays d’origine notamment sur les types d’enseignement et d’écoles, la durée des enseignements, les congés scolaires, les horaires scolaires. À cela il faut ajouter les difficultés socio-économiques, le poids des traditions.

L’école vue par les parents migrants
Les quinze parents disent tous éprouver des difficultés de compréhension du système scolaire italien, et par conséquent de certains de ses enjeux tels les méthodes de suivi scolaire, les rapports élèves/enseignants, enseignants/parents, et directeurs/parents, l’orientation scolaire, etc. Ils déclarent tous qu’à leur arrivée en Italie, la recherche de l’emploi et d’un logement fut leur principale préoccupation. La compréhension du fonctionnement des institutions publiques, dont celles scolaires, ne fut que secondaire. Les parents asiatiques, africains et sud-américains disent tous avoir de l’école l’image d’une institution rigoureuse, autoréférentielle, fonctionnant suivant un modèle descendant top down. Ils estiment qu’ils n’ont rien à voir avec les questions didactiques. Pour eux, l’école est synonyme de discipline, rigueur, impartialité et compétitivité. Une femme marocaine déclare à cet effet :

« l’image que j’ai de l’école se réfère au modèle d’école que j’ai fréquenté dans mon pays. Je n’ai jamais imaginé qu’il y avait une différence entre l’école en Italie et celle de mon pays, en dehors de la langue. Pour moi, l’école c’est l’école ».

Ces populations considèrent l’enseignant comme un porteur de savoir, de connaissance, une référence pour la société qu’on contredît difficilement. Ils attendent de lui recommandations et conseils. Ils n’imaginent pas discuter ni le programme scolaire ni les méthodes d’enseignement. Dans la logique de leurs perceptions, il est impensable que les enseignants convoquent les parents d’élèves afin de leur présenter une action pédagogique et solliciter leur collaboration. Ils avouent d’ailleurs être surpris que certains parents immigrés soient invités à l’école pour parler de leur culture. De telles pratiques n’existent pas dans leurs pays d’origine. Ils estiment que ce sont de bonnes actions mais qu’il faut être prudent car plusieurs parents ne maîtrisent pas l’italien et ne sont pas nécessairement à la hauteur des attentes de l’institution scolaire. Particulièrement significatif est le discours des parents provenant de zones rurales, qui ont l’image d’un enseignant proche des familles mais top down dans ses démarches didactiques. Les propos d’un parent ivoirien sont à cet effet éloquents :

« dans mon village d’origine, tout le monde se connaît et les relations entre personnes sont très familiales. L’instituteur est bien accepté, il est connu comme un membre important du village. Les contacts entre parents et école à travers l’instituteur peuvent se produire à tout moment de la journée, dans la rue, au marché, lors dune fête, etc. Les parents peuvent se permettre d’aller trouver l’instituteur chez lui, lui poser des questions sur la conduite de leur enfant à l’école. L’instituteur peut aussi faire les mêmes démarches envers les parents sans que cela ne pose de problèmes particuliers. Mais il ne nous vient jamais à l’esprit de discuter des contenus d’enseignement ou de contester les méthodes pédagogiques de l’instituteur ».

L’enseignant est dans ce contexte une référence, dont les compétences et l’autorité ne sont pas remises en cause. Il est important de tenir compte du fait que plusieurs immigrés proviennent des zones rurales et ont le plus souvent une scolarité moyenne. Ils sont aussi parfois abusivement considérés comme « analphabètes » parce que ne maîtrisant pas une des langues européennes. Tel sera par exemple le cas d’un parent musulman d’origine marocaine capable de lire et écrire le coran, mais déclaré comme « analphabète » étant donné l’inutilité de ce savoir dans le contexte italien. La plupart sont déconnectés quand ils arrivent en Italie, et sont confrontés à des mécanismes de fonctionnement de l’école totalement différents de leur vécu. En outre leurs conditions de migrants économiques, venus en Italie pour sortir de leur misère, les mettent dans une situation fragile. Ils parviennent très difficilement à comprendre l’approche italienne de la relation école/famille fondée sur des réunions ponctuelles impliquant parents et enseignants, des rencontres occasionnelles à l’entrée ou à la sortie des classes, ou encore à travers des avis envoyés aux parents. Cette démarche est d’autant plus difficile pour les migrants suivant qu’ils aient un niveau plus ou moins élevé de maîtrise de la langue italienne. On ne peut donc négliger ou ne pas prendre en compte la perception que les familles migrantes ont de l’école avant même de commencer à parler des relations école/famille migrante. Un travail de fond est donc à faire pour identifier les représentations que la famille migrante nourrit au regard de l’institution scolaire italienne et poursuivre dans un second temps à leur déconstruction à travers des actions éducatives non formelles pertinentes.

Le modèle organisationnel de l’école italienne
Les parents s’accordent pour souligner qu’ils ont une vague idée du système scolaire italien. Ils disent tous apprendre son fonctionnement au jour le jour à travers le parcours scolaire de leurs enfants. Les procédures d’inscription, la maîtrise des horaires et calendrier scolaires, la connaissance des fonctions du personnel scolaire sont autant d’éléments problématiques pour la famille migrante. À propos des horaires scolaires, les parents interviewés déplorent qu’ils ne correspondent que trop peu aux horaires des autres membres de la famille, étant entendu que la majeure partie d’entre eux sont ouvriers ou se dédient à l’assistance des personnes âgées. En effet, l’école primaire s’organise avec les horaires suivants : du lundi au samedi, elle accueille les élèves de 8 heures à 13 heures. Certaines écoles publiques organisent toutefois les classes du lundi au vendredi, aussi bien le matin que l’après-midi, à partir de 8h00 et jusqu’à 16h00 avec la possibilité pour l’élève de manger à la cantine scolaire. Les parents migrants optent presque toujours pour cette solution. Les leçons au collège et au lycée se tiennent de 8h00 à 13h00. De fait, bien souvent, en l’absence de soutien familial et de l’occupation des parents au travail, les enfants, y compris les plus jeunes, sont livrés à eux-mêmes l’après-midi. Les parents reprochent le manque d’harmonisation des horaires scolaires entre les différents degrés scolaires. Madame Z, albanaise, me raconte sa situation en ces termes :

« j’ai deux enfants. Mon premier fils est au collège en classe de sixième et arrête les cours à 13 heures. Ma fille qui est au CM2, a école toute la journée jusqu’à 16h. Comment donc concilier les deux situations ? Mon mari travaille dans une coopérative de bâtiments et travaux publics (BTP). Il ne rentre jamais du travail avant 19h30. Je suis obligée pour gagner un peu d’argent, de travailler aussi mais en situation irrégulière le matin entre 6 heures et 10 heures dans une entreprise de nettoyage car je dois être à la maison à midi pour préparer à manger à mon fils qui rentre des cours à 13 heures 30. Je me demande pourquoi les autorités italiennes, avec toutes les réformes scolaires menées chaque année, ne proposent pas la généralisation des horaires continus dans toutes les écoles primaires et secondaires de manière à nous permettre de travailler ? Comment ne se rendent-ils pas compte de ce que nous vivons ? »

À propos des aides scolaires, plusieurs parents immigrés inscrivent leurs enfants dans les programmes d’accueil extra-scolaires, proposés par certaines écoles primaires en collaboration avec les municipalités, afin de pallier au problème de la garde des enfants en dehors du temps scolaire. Parmi les parents interrogés, les trois quarts ont inscrit leurs enfants à ce service, par ailleurs payant. Cependant, le percevant comme une aide aux devoirs, ils sont surpris que leurs enfants rentrent le soir à la maison sans avoir fini ses devoirs. A cette considération, l’école réplique qu’il est impossible à l’enseignant encadreur de pourvoir à un suivi individuel des élèves, compte-tenu de leur nombre élevé. La vision exposée par les parents interviewés sur les réunions scolaires porte aussi à des réflexions. Ils affirment tous participer très rarement aux réunions scolaires où ils sont pourtant invités les parents. Les raisons avancées sont alors multiples. Certains évoquent l’éternelle question linguistique. Une femme chinoise déclare à cet effet :

« la conduite de ces réunions ne tient pas compte de nos difficultés linguistiques. Nous les chinois parlons le plus souvent mal l’italien parce que les cours de langues ne sont pas adaptés à nos exigences linguistiques. Quand nous allons à ces réunions, nous rentrons sans avoir rien compris. C’est frustrant. On préfère attendre les rapports de réunions que l’on fait ensuite traduire ».

Le contenu des réunions est souvent bien spécifique et nécessite une bonne connaissance de la langue italienne. À ce propos un parent péruvien raconte le fait suivant : « tu vas à la réunion. Là, non seulement tu ne comprends pas ce qui se dit, mais en plus les gens te regardent au point de te sentir mal à l’aise. Personne ne t’adresse la parole. Tout cela ne nous encourage pas à prendre part à ces réunions ». Les regards réducteurs et misérabilistes, dont sont victimes certains de ces parents, le plus souvent à cause de leur manière de s’habiller ou de parler, les humilient. Ils se sentent d’éternels étrangers. Il est bien évident que la perception négative que les autres se font d’eux limite le dialogue et radicalise les positions des uns des autres. Même les parents primo-arrivants ayant un niveau de vie et d’éducation élevé, trouve cette situation stressante et humiliante. Un couple ivoirien ayant fait une demande de réfugiés politiques déclare :

« nous ne sommes pas des migrants économiques. Mais ici tout le monde est mis dans le même sac. Dans notre pays, nous avions un niveau de vie très élevé. Tous les ans, nous venions même passer nos congés en Europe. Mais pour des raisons politiques, nous avons été obligés de partir. Aujourd’hui nous menons une vie de galère. Nos enfants fréquentaient les meilleures écoles du pays et nous n’étions pas habitués aux réunions des parents d’élèves ni aux convocations des enseignants. C’est la première fois que nous nous trouvons dans de telles situations. Nous n’avions pas non plus de problèmes d’aides scolaires. Nos enfants avaient des professeurs qui venaient à la maison. Mais ici, tout cela ne sert à rien. C’est du passé. Tu es assimilé aux autres… c’est difficile à accepter et à vivre. Mais on n’a pas le choix ».

D’une manière générale, les réunions scolaires sont importantes. Elles devraient être co-animées par les enseignants et les médiateurs interculturels surtout dans le cas de la première réunion de parents qui a lieu en début d’année. En effet, il s’agit là de l’occasion pour les enseignants de présenter les objectifs d’apprentissage, l’organisation de leurs enseignements et les dispositifs d’évaluation. Les dispositions pourraient être prises afin que les médiateurs interculturels participent aux entretiens individuels entre les enseignants et les parents lors de la remise des évaluations de la fin de chaque trimestre. La présence des médiateurs pourrait aider certains parents n’ayant pas de bonnes compétences linguistiques à mieux comprendre le travail accompli par leur enfant à l’école, ses connaissances actuelles et les efforts à fournir pour atteindre les objectifs d’apprentissage. Cela pourrait être une occasion pour l’enseignant de les indiquer des pistes pour un meilleur suivi de leur enfant dans sa scolarité et l’aider à surmonter ses difficultés et renforcer sa motivation. Les parents interrogés remettent aussi en question les activités périscolaires, en déplorant le coût. Ils auraient bien aimé qu’elles soient programmées et estimées dès le début de l’année scolaire afin de ne pas toujours se trouver devant le fait accompli. Ils ont l’impression de subir l’organisation des activités périscolaires.

La question linguistique

Selon les parents interrogés, la question linguistique est fondamentale. Ils disent tous avoir pris conscience de leur limite linguistique face aux contacts qu’ils ont eus avec l’école. Un parent congolais nous raconte par exemple qu’on lui a toujours dit à son lieu de travail qu’il parle bien italien. Et lui-même, en était convaincu en sentant parler certains de ses collègues de service issus de l’immigration. C’est à l’arrivée de sa fille, suite au regroupement familial, et donc de l’inscription de cette dernière à l’école, qu’il a pris conscience du fait que ses connaissances linguistiques étaient plutôt de type professionnel. A la première réunion des parents d’élèves, il dit n’avoir pas compris beaucoup de choses car les mots et expressions utilisés par les enseignants pour expliquer certains aspects de leur travail, lui étaient nouveaux. Les termes italiens de « traceuse », « trousse », « taille-crayon », « gomme » lui ont échappé parce que non utilisés dans le cadre de ses précédentes relations de communication, qu’il s’agisse de son lieu de travail, des grandes surfaces ou encore de la préfecture. Il s’est aussi rendu compte ne pas connaître la signification du vocabulaire d’évaluation utilisé par les enseignants qui n’est pas basé sur des chiffres mais sur des appréciations verbales (passable, bien, distinction, etc). Il dit également qu’avec l’arrivée de sa fille, il s’est rendu aussi compte ne pas maîtriser les paroles de communication parentale. Il n’avait pas une connaissance spontanée et articulée des expressions typiquement italiennes pour exprimer sa tendresse et son affection à son enfant. Un parent camerounais souligne le fait que de manière spontanée il a tendance de parler à ses enfants en mélangeant italien, français et le Duala. Il commence la conversation en italien, il passe en français, puis en Duala et revient en italien. C’est une habitude très fréquente chez les camerounais liée à la grande diversité linguistique de leur pays d’origine où il est courant de mélanger les langues locales, le français et anglais. C’est une forme de communication interculturelle et c’est très apprécié au Cameroun. Mais il dit avoir pris conscience qu’il ne pouvait pas s’exprimer ainsi en Italie, compte-tenu du fait que ses enfants lui répétaient sans cesse qu’ils ne comprenaient pas ce qu’il disait. Effectivement sur le plan général, l’enseignement de l’italien aux adultes se fait suivant un apprentissage fonctionnel à l’emploi. Plusieurs migrants parlent un italien approximatif surtout lorsqu’ils occupent des postes de travail non qualifiés où une très bonne connaissance de la langue italienne n’est pas nécessaire. Cette situation fait qu’en dehors des migrants ayant fait des études universitaires en Italie, très peu de travailleurs issus de l’immigration ont une bonne connaissance linguistique, qui pour le moins leur permet de mener un dialogue paritaire avec les institutions. Le témoignage du parent congolais montre très bien que la difficulté linguistique empêche non seulement la communication entre les parents immigrés et les institutions scolaires, mais également la communication entre les parents et leurs enfants en langue italienne. Plus de la moitié de nos interviewés disent éprouver d’énormes difficultés quand ils sont convoqués à l’école car ils ne parviennent pas à mieux exprimer et comprendre ce qu’on attend d’eux. Le même scénario se reproduit dans la lecture des informations scolaires leur parvenant à la maison par le biais de leurs enfants concernant les vaccinations, les activités extra-scolaires, etc. On comprend alors bien combien le manque ou la faible connaissance linguistique des parents migrants a un impact négatif dans la scolarité de leur enfant. Certains ne parviennent pas à expliquer à leurs enfants certains exercices qu’ils sont pourtant capables de faire en leur langue maternelle.

La relation enseignants – famille migrante
Selon les enseignants interviewés, les problèmes communicationnels entre l’école et la famille migrante se cristallisent autour d’un ensemble d’éléments qui doivent être analysés et résolus pour le bien de l’élève. Les enseignants interviewés concordent pour la plupart que :

  1. N’ayant pas toujours tout leur matériel scolaire, les élèves immigrés empruntent parfois certain matériel scolaire à leurs compagnons de classe. Il s’agit là d’une situation pas très agréable sur le plan de l’estime personnelle, susceptible en outre d’alimenter les préjugés et de démotiver l’élève ;
  2. les primo arrivants sont fermés sur eux-mêmes. Ils ne jouent pas toujours avec les autres élèves. Certains d’entre eux, notamment de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine, ont le plus souvent un regard effrayé, une certaine torpeur. Les élèves originaires de l’Afrique subsaharienne, ne regardent jamais l’enseignant dans les yeux, ils sont crispés ;
  3. certains élèves dérangent et ralentissent la normale gestion des activités didactiques. Ils n’ont pas un encadrement adéquat, ne sont pas suivis par leurs parents. Ils sont le plus souvent turbulents en classe à cause du laxisme des parents qui n’exercent qu’une faible autorité sur eux. Leurs parents ne réagissent pas toujours aux sollicitations des enseignants pour résoudre ensemble le problème. Dans d’autres cas, certains interviennent parfois par des gestes violents. Les professeurs alors décident de ne pas tenir la famille informée du comportement de leur enfant pour éviter des représailles ou des conflits trop fâcheux. ;
  4. les parents immigrés ne tiennent pas toujours compte des avis, communications et circulaires, qui leur parviennent à la maison par le biais de leurs enfants. Le plus souvent ces communications ne sont pas signées par les parents, confirmant ainsi qu’ils les ont effectivement pris connaissance comme l’exigent les procédures de communication école/familles ;
  5. les parents ne justifient pas convenablement les retards et absences de leurs enfants ;
  6. les parents responsabilisent très tôt leurs enfants à travers des tâches domestiques. Cet élément vaut surtout pour les familles nombreuses où les parents tendent à confier certaines des tâches domestiques à leurs filles. Ces dernières s’en trouvent parfois épuisées et moins attentives et productives en classe ;
  7. les parents ralentissent l’intégration de leurs enfants à l’école dans la mesure où très peu d’entre eux utilisent l’italien à la maison comme langue de communication.

La vision des enseignants interrogés concernant les traditions est partagée. Une partie des personnes interrogées reproche à certains parents de se laisser trop influencer par leurs traditions. Ils sont en Italie et doivent apprendre à vivre en intégrant les valeurs du peuple italien. Leur vision de la famille, des rapports enfant/parents, de la politesse, doit être celle de l’Italie. Ils doivent éviter de conditionner leurs enfants. Pour l’épanouissement de ces derniers, ils ont donc intérêt à ne pas se refermer sur leurs modes de vie mal adaptés à la culture scolaire et provoquant le repli identitaire. Une enseignante raconte deux épisodes qu’elle a vécus. Le premier concerne une jeune fille sénégalaise qui se cachait chaque fois que sa mère se rendait à l’école. La raison évoquée par l’élève sur son attitude était le fait que sa mère venait à l’école avec les pagnes africains. Le deuxième exemple concerne une fille marocaine qui était pourtant brillante en classe que le père a renvoyée au Maroc parce qu’elle s’habillait à l’européenne, ne suivait pas les pratiques religieuses, se rebellait à l’autorité parentale et avait un petit ami italien. Elle se demande s’il ne faudrait pas exiger des parents un code de conduite compatible avec la culture italienne. Ces deux exemples montrent la complexité de la situation et posent de manière indiscutable la question de l’autorité parentale.
La vision des parents interrogés s’oppose à celles des enseignants. Les parents concordent tous sans exception que les enseignants italiens sont laxistes, parce qu’ils n’ont pas d’autorité sur les enfants et les laissent faire n’importe quoi. Les parents d’origine africaine, asiatique et sud-américaine disent ne pas apprécier l’excès de confidentialité entre les enseignants et les élèves. Certains disent être surpris par le fait que les élèves plaisantent avec leurs enseignants. Le manque de distance entre l’enseignant et l’élève, à leur avis, conduit à la perte d’autorité de ce dernier. Nos interviewés pointent du doigt la mauvaise influence de l’école italienne sur le comportement de leurs enfants à la maison. Ils se montrent irrités par le fait que leurs enfants répètent à la maison les comportements observés à l’école, qu’eux-mêmes, en tant que parents, finissent par perdre progressivement leur autorité. A ce propos, une mère congolaise dit avoir été choquée quand elle a été convoquée à l’école et que s’est entendue dire par l’enseignante que sa fille répond mal aux professeurs et conteste les consignes. Cette situation a été pour elle difficile à accepter au point où elle a perdu son sang-froid et a giflé sa fille devant l’enseignante. Ce que cette dernière non plus n’a pas apprécié. La dame a justifié sa réaction à l’enseignante en lui disant :

« dans mon pays d’origine, les enfants obéissent sans riposter aux consignes de l’enseignant et des adultes. Moi sa mère, je dois le respect à ma grande sœur qui vit dans un bidonville de Kinshasa, même si j’ai un niveau de vie plus élevé que le sien. Le droit d’aînesse dans ma culture est fondamental. Ma fille doit le savoir et apprendre à se comporter en conséquence ».

Les propos de cette mère traduisent bien qu’on ne peut occulter la réalité. Les parents migrants sont angoissés par la dévalorisation de leur image et la perte de référentiel comportemental pour leurs enfants. Puisque l’immigration transforme en profondeur les normes, valeurs et pratiques des immigrées, et que les modèles éducatifs et parentaux dont sont porteuses les familles migrantes se diluent avec le temps, il convient toutefois de prendre des dispositions pour éviter leur assimilation. Compte tenu du fait que plusieurs parents occupent des positions professionnelles dévalorisées, ne correspondant pas toujours à leur niveau d’étude, il faut bien que l’école contribue à lutter contre la négation symbolique des pères immigrés déchus de leur statut. La crise du modèle parental présente de réelles conséquences : d’une part les parents, humiliés sur leur lieu de travail, se trouvent aussi démunis du droit de parole à la maison et d’autre part leurs enfants apprennent à l’école à ne revendiquer que des droits sans tenir compte des devoirs. En écoutant les parents immigrés, émerge clairement un décalage entre leur modèle d’autorité parentale traditionnelle et celui de la société italienne. Cette observation se vérifie à travers les nombreux exemples de crise de l’autorité de certains parents immigrés résidant en Italie. Les parents interrogés concordent tous pour reprocher l’attitude des enseignants qui leur demandent de parler italien avec leurs enfants à la maison en prenant pour motivation le fait qu’ils vivent en Italie. Pour plusieurs parents, il s’agit d’une demande irrecevable. En effet, la langue maternelle est avant tout pour une question d’affection et d’identité culturelle. Ne pas la parler c’est priver l’enfant de sa culture d’origine. Cette pression de l’école fait que certaines familles que nous avons interrogées sont ballottées entre deux tendances et un choix est très difficile. Nous pouvons comprendre l’attitude des parents car au stade actuel, aucune étude ne démontre que l’apprentissage de la langue maternelle ou son utilisation domestique ait une incidence négative sur les performances scolaires. Le plus souvent deux années scolaires suffisent aux primo arrivants pour qu’ils puissent s’approprier convenablement la langue italienne. La non-maîtrise de l’italien par les primo arrivants n’a rien à voir avec l’intelligence. Et pourtant, certains de ces enfants vivent des expériences scolaires moins enrichissantes pouvant déboucher sur un sentiment d’infériorité manifesté par une difficulté à exprimer leur opinion. Un mauvais suivi du migrant dans cette phase peut conduire à un comportement passif, introverti, ou à un mimétisme par rapport aux comportements des personnes dominantes dans le groupe, dans l’espoir de susciter le respect. Les parents disent aussi être acculés par l’excès de sollicitation de l’école. Ils reçoivent des communications dont la teneur est parfois complexe pour leur niveau de compréhension de l’italien écrit. Ils ont les difficultés à lire les évaluations des enseignants car les méthodes d’appréciation sont très différentes de celles auxquelles ils sont habitués. On ne leur a jamais expliqué comment on procède à l’appréciation des élèves en Italie. Ils ne savent vraiment pas comment juger le niveau scolaire de leur enfant. Concernant les absences et les retards, ils disent ne pas être informés sur la possibilité de les justifier de manière anticipée. Les parents estiment que les travaux domestiques font partie de l’éducation des enfants dans leur culture. Ils ne comprennent pas le fait que les enfants puissent avoir des obligations familiales soit perçu comme un handicap pour leur réussite scolaire. Certains parents immigrés interrogés estiment que les enfants italiens ont désormais une conception du jeu liée à la société de consommation. Ainsi la plupart des enfants italiens ont beaucoup de jouets à la maison. Une péruvienne estime que certaines activités didactiques organisées à l’école maternelle et primaire sont construites sur un mode ludique répondant à la logique de la société de consommation. Elle constate que les enseignants ne se posent pas la question de comprendre quelle est la perception des parents immigrés sur certaines pratiques ludiques à la maternelle. Elle dit qu’il lui est même arrivé que l’enseignante lui conseille d’acheter les jouets à son fils car en le voyant jouer à l’école, on a l’impression qu’il lui manque certains jouets à la maison. Elle estime par contre que de part ses origines et sa culture, elle a une conception naturelle et sobre du jeu. Aujourd’hui, elle dit être dans un dilemme entre les perceptions consuméristes et celle plus traditionnelle du jeu. Un parent tunisien pose le problème de la folklorisation de l’invitation des parents immigrés dans les classes pour parler de leur culture, des problèmes d’immigration et de développement. Selon lui, si l’action est louable et intéressante sur le plan didactique, le problème réside dans le fait que les enseignants ne prennent pas toujours le soin d’identifier des professionnels issus de l’immigration ayant une bonne connaissance de l’italien pour le faire. Ils invitent les parents d’élèves qui se retrouvent le plus souvent dans des situations embarrassantes pour plusieurs raisons : la non maîtrise d’un italien adapté à des fins didactiques ; une connaissance approximative des traditions et problèmes culturels, économiques et politiques des pays d’origine, etc. Pour cette personne, il s’agit là d’autant de lacunes qui contribuent indirectement à renforcer certaines images stéréotypées sur les familles issues de l’immigration. Enfin, il faut souligner le fait que certains enfants ne voient pas toujours d’un bon œil cette immersion de leurs parents dans un rôle qu’ils ne considèrent comme n’étant pas le leur. En outre, les enseignants croient par exemple que tous les parents immigrés connaissent leur culture et traditions, qu’ils ont des informations sur la situation politique de leur pays d’origine. Ils croient qu’ils lisent les journaux de leur pays à la maison, que les élèves peuvent ramener toute sorte de matériel issu de leur culture à l’école. Or tel n’est pas toujours le cas. Ce faisant, l’école oublie le faible niveau de scolarisation et la position socio-économique très fragile de nombreux parents immigrés. Lorsque ces parents ne satisfont pas aux attentes de l’enseignant, cela suscite la déception au point de les considérer comme non intéressés par l’éducation de leurs enfants. L’enseignant aimerait bien voir les parents jouer un rôle plus actif, participatif dans la scolarité de leurs enfants.

Quelles solutions pour améliorer la relation école-famille issue de l’immigration ?

Dans la situation actuelle, les dysfonctionnements du rapport école et famille migrante ne peuvent être essentiellement imputés qu’à l’une ou l’autre de ces deux institutions éducatives. Ni les parents, ni les enseignants ne sont, à eux seuls, en mesure de transmettre aux jeunes issus de l’immigration toutes les connaissances, compétences et valeurs dont ils ont besoin pour bien s’insérer dans la société d’accueil. Etant donné que les enfants immigrés ont besoin d’avoir une image positive d’eux-mêmes, de retrouver leur propre estime et d’avoir confiance en eux, il est important de s’interroger sur la manière de motiver ces élèves à travers une amélioration des rapports entre l’école et leurs parents. Mais face aux multitudes de situations complexes, on constate une confusion croissante quant au rôle que doivent jouer les parents immigrés et l’école dans l‘éducation de ces jeunes migrants. Il est question aujourd’hui de comprendre comment une conscience accrue des responsabilités respectives des parents et de l’école est possible. Il faudrait examiner comment leurs tâches et responsabilités peuvent s’articuler et contribuer ensemble à améliorer la communication entre enfants – parents – école. Ceci suppose aussi le soutien d’autres institutions comme le milieu associatif et la valorisation de l’éducation non formelle afin de répondre aux besoins formatifs des parents à travers des actions de renforcement de capacités. La relation école et famille migrante peut s’améliorer si certains ajustements sont faits pour réduire les incompréhensions. Quatre mesures à nos yeux nous semblent pertinentes sur la base des images et opinions collectées dans les entretiens : (i) l’introduction systématique de la médiation interculturelle en milieu scolaire ; (ii) le renforcement des capacités des parents d’élèves migrants sur le fonctionnement des institutions publiques italiennes ; (iii) la révision des contenus didactiques des cours d’italien pour immigrés en y intégrant des connaissances liées à l’interaction avec les institutions ; (iv) actions de valorisation des langues des populations issues de l’immigration.

La médiation interculturelle
La médiation interculturelle perçue comme une démarche de sociabilité et d’interaction entre personnes issues de cultures différentes est une pratique qu’il faut désormais instituer de manière systématique dans les écoles, aussi bien sur le plan didactique que sur le plan de la gestion administrative. A travers la médiation interculturelle, l’ensemble des diversités et cultures présentes à l’école doit se reconnaître et être en symbiose. Le rôle du médiateur en milieu scolaire est de faciliter la communication par la traduction, l’interprétariat, la recherche de solutions consensuelles et l’apprentissage en intervenant sur les processus de transposition didactique. Le médiateur interculturel est un acteur clé de l’intégration en milieu scolaire et ne doit pas seulement intervenir pour les migrants, mais pour toutes les situations d’altérité rencontrées à l’école. Sa qualité d’écrivain public, d’expertise conseil et de personne de référence pour les communautés issues de l’immigration est pour cela importante. Il doit être habile pour faciliter la compréhension des informations, apporter des informations. Intermédiaire relationnel, il aide à la valorisation de la diversité culturelle et du dialogue entre les cultures. Il aide à la prise de décision. Le fait que les écoles italiennes accueillent des enfants venant d’autres pays ou nés en Italie de parents étrangers et de couples mixtes est un atout pour faire de la médiation interculturelle, un pilier du management des écoles. Dans un contexte où les parents immigrés n’ont ni soutien ni modèle auquel se référer, avec le risque du repli identitaire ou de perte de repères culturels, il est important de pouvoir se référer à des personnes capables de les accompagner à mieux s’orienter au sein de la société afin d’éviter une inadéquation qui rendrait encore plus difficile l’exercice de leur rôle. La Finlande et la Suède sont les seuls pays en Europe à reconnaître officiellement le droit aux parents immigrés de faire appel à un interprète pour dialoguer avec le personnel de l’école. Une telle bonne pratique est à généraliser dans d’autres pays et notamment en Italie.

Le renforcement des capacités des parents d’élèves migrants
Afin que la relation éducative soit partagée avec les familles migrantes, une action de renforcement de leurs capacités est indispensable dans le domaine de la connaissance du fonctionnement des institutions publiques italiennes. Si l’on veut que les parents immigrés respectent des règles bien définies et acceptées de tous, il faut bien que quelqu’un s’engage à les leur faire connaître. Des rencontres d’éducation non formelle des parents d’élèves sur le fonctionnement des institutions publiques sont donc indispensables. On peut imaginer que de telles actions puissent se faire lorsque le migrant doit retirer son titre de séjour ou sa carte de résidence. Le retrait de ces deux documents peut être associé à des formations sur le fonctionnement des institutions publiques (fonctionnement de la mairie, du commissariat, de la préfecture, du service des urgences de l’hôpital, de l’école, etc), organisées par les services publics et animées par les médiateurs interculturels. Une telle action formative se présenterait comme un contrat qui contribuerait à aider les parents à mieux connaître les instituions de leur ville de résidence et à mieux jouer leur rôle. En outre, les écoles pourraient créer des moments de vie et de partage autres que les réunions parents-enseignants afin de créer des liens. Le renforcement des capacités aiderait les parents immigrés à ne pas être laissés pour compte. S’il est vrai que des actions ont été mises en place dans certaines villes pour aider les familles immigrées à inscrire leurs enfants à l’école et à suivre leurs progrès scolaires, beaucoup reste encore à faire pour permettre aux migrants de pouvoir effectivement exercer leur rôle.

Réviser les contenus d’enseignement de l’italiens aux migrants
La connaissance de l’italien par les migrants est importante dans la mesure où la langue joue un rôle considérable dans l’accès à la connaissance, à l’insertion professionnelle et socioculturelle. Cependant la manière dont l’italien est enseigné aujourd’hui privilégie seulement son rôle comme élément d’insertion professionnelle des migrants. Les contenus sont essentiellement tournés vers une connaissance de base de la langue avec comme finalité l’insertion professionnelle. Or les compétences acquises, tant à l’oral qu’à l’écrit, doivent servir au migrant pour s’orienter dans les services publics, et dans ses rapports avec les institutions scolaires. Ce qui nous conduit à s’interroger sur la validité des méthodes d’enseignement. Il nous semble pour cela important de rénover voir reconstruire l’architecture des cours d’italien en y intégrant des contenus concernant le dialogue au sein de la famille, la communication et la connaissance des services publics. Ces remaniements auraient pour vocation première de soutenir un enseignement de l’italien pouvant contribuer plus facilement à l’intégration du migrant. Tout ceci exigerait de former de manière systématique des équipes de personnes ressources, dans le champ de l’ingénierie pédagogique de l’enseignement de l’italien aux migrants adultes. Les pôles de référence d’enseignement de l’italien aux migrants adultes devraient donc revoir leurs pratiques d’enseignement si l’on souhaite que l’italien soit une langue d’intégration. Maîtriser la langue italienne est une priorité incontournable pour tout immigré souhaitant s’intégrer. Il serait aussi souhaitable d’organiser ces cours en fonction des communautés car les besoins phoniques et difficultés d’apprentissage ne sont pas les mêmes pour tous les migrants.

La valorisation des langues des populations issues de l’immigration
Il serait souhaitable de disposer d’instruments visant à valoriser les langues des populations issues de l’immigration. L’exemple de la Suède est sur ce point important à signaler. C’est le seul pays européen où tous les élèves immigrants en âge de scolarité obligatoire peuvent bénéficier, s’ils le souhaitent, de cours dans leur langue maternelle. Cet enseignement est souvent organisé comme activité extra-scolaire. Une réglementation au plus haut niveau en Italie visant à promouvoir des adaptations possibles de la vie scolaire pour prendre en compte les spécificités culturelles des migrants notamment la valorisation de leurs langues et culture nous semble pertinente. Quelques pays nordiques ainsi que l’Estonie, Chypre et la Lettonie proposent déjà un enseignement bilingue où les cours sont donnés à la fois dans la langue d’origine de l’élève et la langue d’instruction de l’école. C’est un exemple qui peut servir à l’Italie.

Esoh Elamé, SSIS – Université Cà Foscari Venise.


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