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Donner le choix, pas si simple…

L’autre jour on est allé en famille faire des courses de fringues dans un centre commercial et on a mangé au Flunch. A l’entrée il y avait une affiche avec des plats et des prix, j’ai choisi Aigrettes de poulet aux pruneaux, avec une salade de fruits en dessert. Quand on est entrés, j’ai pas trouvé le stand avec les plats chauds, y avait que des desserts d’un côté, des bouteilles de soda, des plateaux, des couverts, des entrées froides et puis les caisses. J’ai pris une salade de fruits, tu pouvais en prendre autant que tu veux du moment que ça rentrait dans le bol. J’étais content mais en fait le bol était vraiment petit. Les enfants m’ont expliqué qu’il fallait passer à la caisse et dire que je voulais du poulet aux pruneaux. J’ai payé et en effet après les caisses j’ai pu aller à un stand où ils donnaient le poulet contre le ticket. Y avait pas de légumes ! Les enfants m’ont charrié en m’expliquant qu’il y avait un stand où on pouvait choisir ses légumes à volonté ! Sylvie avait choisi une omelette aux champignons et tomates. Quand elle a donné son ticket au stand-omelette, on lui a dit qu’il y avait rupture de stocks de champignons et de tomates et qu’il ne restait qu’omelette au jambon ; elle a demandé si elle pouvait pas changer pour des aigrettes de poulet (ça ! je lui avais dit que c’était mieux, mais elle m’écoute jamais…) mais c’était pas possible parce qu’elle avait payé pour une omelette… elle a pris l’omelette au jambon. Moi comme légumes à volonté j’ai pris champignons et tomates. C’était pas terrible. A table les enfants m’ont dit que tout le monde est paumé la première fois mais qu’on finit par comprendre comment ça fonctionne… puis ils m’ont demandé d’expliquer la réforme du lycée.

J’ai pris ma respiration et j’ai parlé finalités, tronc commun, modules, semestre, choix, aide… Ils m’ont dit « oui bon, ça on a compris, mais comment ça va marcher ? ». J’ai dit : « Prenons un exemple. Ça serait un lycée de dimension moyenne, y aurait 300 élèves en seconde. Les élèves auraient choisi des « modules » au troisième trimestre de l’année précédente et on les aurait mis dans des groupes en fonction de ça. C’est plus simple en disant qu’il n’y aurait que 4 « menus » imposés, chaque élève choisirait un menu pour chaque semestre et il ferait ce qu’on lui dit de faire (par exemple dans « sciences » il ferait 2 heures de module de biologie, 2 heures de module de maths-info et deux heures de TP de physique, c’est un exemple). Donc il y en aurait 100 qui auraient choisi de faire les modules d’un paquet « sciences de la société », 100 qui auraient choisi les modules du paquet « sciences », 100 les modules du paquet « technologie » et 50 les modules du paquet « humanités ».
A la fin du premier semestre ils ont le choix : conserver leur module ou changer. Première hypothèse : personne ne veut changer. Ouf ! on continue comme au premier semestre avec les mêmes élèves, les mêmes profs, les mêmes emplois du temps et les mêmes horaires… ça c’est facile à comprendre c’est quasiment pareil que maintenant. Quasiment, ça veut dire que les profs de SES auraient moins d’élèves que maintenant mais on trouverait à les occuper en leur donnant la coordination des travaux interdisciplinaires ou du soutien : ils aiment le social.

Mais ils vont vouloir essayer autre chose, les élèves. Ou alors ça n’a pas de sens, cette histoire de semestres. Donc on dirait qu’ils voudraient changer. Mais pas tous : y en a qui savent ce qu’ils veulent et qui ont trouvé ça pas mal au premier semestre (sauf en SES parce que c’est vachement compliqué…). Dans le cas « humanité » ça roule : on a deux groupes de 30 qui font chacun un module différent (un module d’approfondissement pour les trente qui « restent », un module de découverte pour les trente qui « arrivent »). En « science » et en « science de la société » c’est plus embêtant : il y en a 10 qui « arrivent ». On leur fait un module de découverte à part (pour 10 ça va être le grand luxe, mais on ne va pas regarder aux moyens, c’est bien connu…) ou bien on les met dans les groupes avec ceux qui restent et on fait de la pédagogie différenciée (tout le monde sait faire ça au lycée c’est bien connu….) ? Et en « technologie » c’est pire parce que 75 ça fait soit deux groupes très très nombreux soit 3 groupes qui coûtent cher.
Bien entendu ça peut marcher quand même… sauf que c’est dans l’hypothèse « simple » où il n’y aurait que des menus tout faits ! Or, il y a des choix à faire dans chaque menu. Prenons le menu « humanité » : latin ou grec ? ou troisième langue vivante ? cinéma ou histoire de l’art ? ça sera assez compliqué sans doute… »

A ce moment les questions ont fusé : « combien de plats on peut choisir : comme il faut en prendre pour 6 heures, c’est deux fois 3 heures ou 3 fois 2 heures ou l’un ou l’autre comme on veut ? est-ce qu’on peut panacher par exemple SES dans le menu technologie ? A la fin du semestre, si un élève avait choisi latin (ou grec ou lv3) et qu’il change, est-ce que ça veut dire qu’il renonce au latin en première ou bien qu’il pourra y revenir ? dans ce cas, il rejoindra ceux qui auront continué et baignera dans la pédagogie différenciée à laquelle se seront formés tous les profs de latin de lycée de France pendant les vacances d’été des élèves, ou bien on lui fera un module spécial « mise à flot en latin » ? Et si t’as pris cinéma, tu pourras revenir au latin ? Et si t’as pris science, est-ce que tu pourras faire du latin ? (la prof de latin elle dit que c’est très utile si on veut faire médecine…) dans quel module ? pour quoi faire en première ? quand un élève aura fait un semestre cinéma et audiovisuel en seconde et qu’en première il choisira un parcours à dominante sciences, ça aura servi à quoi tout ce cinéma ? » 

Moi : « Du calme ! j’y perds mon latin dans toutes vos questions. Il parait que ça fonctionne ailleurs ! A la fac, ça marche (enfin faudrait voir…) parce qu’on a affaire à des plus grands nombres et parce que les nombres d’étudiants par cours ne sont pas très contraints (t’en mets 50 ou 100 ou 250 dans l’amphi, c’est pas pareil mais ça rentre). En Finlande ça marche (enfin faudrait voir…) parce que chaque module fait l’objet d’une validation spécifique (si j’ai compris) : pour que ce soit comparable (et vivable ?) il faudrait mettre en place un système d’évaluation du genre du système par points d’ECTS tel qu’il fonctionne (enfin faudrait voir…) dans le supérieur. Mais le ministre a dit qu’on ne toucherait pas à ça…».

Alors Adrien a demandé : « Avant de faire Ministre, Darcos, il travaillait chez Flunch ? »

Yannick Mével, professeur de lycée à Dunkerque, rédacteur aux Cahiers pédagogiques


D’autres textes sur notre site sur cette réforme du lycée :
un appel cosigné par le CRAP-Cahiers pédagogiques, Éducation & Devenir, la Ligue de l’Enseignement et la FCPE, « Réforme du lycée : un essai bloqué »
une tribune du CRAP-Cahiers pédagogiques et de la FESPI, « Réformer les lycées : au-delà des mots, quels remèdes ? »
le point de vue de Denis Paget, « Lycée  : construire la diversité».


Parmi les anciens numéros des Cahiers, on pourra consulter sur les lycées :
– le N° 376/377, « quelle pédagogie pour les lycées ? »
– le N° 403, « les lycées professionnels ».

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