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Dictionnaire de sciences humaines : s’orienter dans la vie : une valeur suprême ?

En 2001 Francis Danvers publiait 700 mots clefs pour l’éducation. En 2003, 500 mots clefs pour l’éducation et la formation. Et aujourd’hui ce sont 500 références pour s’orienter dans la vie. L’orientation francophone renoue enfin avec les démarches scientifiques. Nous voici en présence d’une somme de définitions « inspirantes » basée sur une classification multidimensionnelle et pluridisciplinaire qui a le mérite de replacer les concepts dans leurs environnements et contextes. Elle offre également un affinage sémantique qui renforce la saveur des mots, précise des notions comme celles de dialogue, de conseil, d’autonomie, de sujet, d’acteur, ou encore de projet. Mais comme il ne suffit pas de nommer pour prendre conscience, la forme d’écriture employée par l’auteur incite au questionnement et au dialogue. De larges références amènent déjà à une première rencontre pertinente avec les chercheurs répertoriés dans une impressionnante bibliographie. La lecture des thèmes traités dans cet ouvrage fait penser à la définition du dictionnaire par Roland Barthes : « une machine à rêver ». Le thème de l’orientation contribuerait-il au ré-enchantement du monde ? Si on s’en tient au volet gestion administrative des flux d’élèves et gestion économique des emplois, le concept d’orientation semble plutôt sévère. Mais, dès qu’il s’agit de « s’orienter » le rêve y prend toute sa part. Dans une société sans voute céleste où l’individu fait son choix de vie, Francis Danvers n’hésite pas à dire qu’avec tous les rapports et débats dont elle est l’objet, l’orientation est l’affaire principale du 21e siècle commençant, parce qu’un nouvel état du monde rend nécessaire un nouveau type d’émancipation où apprendre et s’orienter sont les deux chantiers prioritaires du futur.
Cet ouvrage permet de suivre les évolutions de l’orientation en France. Il dessine l’état actuel de ses organisations qui oblige à repenser les modèles passés. Ainsi notre société, prise dans un environnement en rapide évolution, parait être la première de l’histoire à récompenser le changement. Le climat d’indécision sociétale et individuel qui en découle n’exclut pas la nécessaire construction de microdécisions rationnelles d’autant plus que le hasard n’avantage que les esprits préparés. Côté formation et éducation, entre l’optimisme de Dewey et la méfiance de Durkheim, le système scolaire, qui parait osciller entre l’adaptation aux règles de la libre entreprise et le développement personnel, entre le paradigme industriel et le paradigme existentiel, fait l’objet de nombreuses réflexions. La notation qui tendrait à induire des jugements implicites autour des origines des élèves et ainsi figer les perspectives d’avenir, l’absence de préparation à l’orientation de l’époque, ainsi que celle d’une démarche active au lycée sont des constats plusieurs fois interrogés sans complaisance. Pourquoi, souligne Francis Danvers, a-t-il fallu attendre si longtemps pour introduire une mission d’accompagnement à l’université ? C’est dans le même esprit de critique positive que l’auteur estime qu’il conviendrait d’élaborer une véritable didactique de l’information sur le monde professionnel. Mais, au-delà, c’est le concept même de la bonne orientation qui est remis en cause tant les habitudes ont conduit chacune et chacun à viser les mêmes buts, les mêmes métiers, les mêmes emplois et donc à vivre « l’autre » comme un concurrent pour la recherche de son devenir original. Dans la même optique, se contenter de proposer les situations les plus belles aux plus méritants n’induit pas une élévation générale des niveaux et ne fait alors plus de l’école le plus formidable outil de transformation de notre société (Delors).
Depuis « accident du travail » jusqu’à « ZEP », Francis Danvers présente 500 références pour s’orienter. Entre une préface économique et une postface philosophique, il rappelle l’importance d’une allure de vie définie comme une activité toujours continuée de construction de sens de son existence. Cette approche demande d’admettre que l’avenir dépend avant tout des capacités individuelles et pas seulement d’un destin de classe ou de caste et demande à croire d’abord à ce que l’on sait. L’approche orientante, ce nouveau concept d’une orientation qui repose sur le passage de la notion de filière à celle de parcours dans le cadre d’une reconfiguration du système fait d’ailleurs l’objet d’un développement complet. Tous les animaux sont achevés et terminés. L’homme est seulement esquissé… Ce qu’il doit être, il lui faut le devenir (Fichte). C’est cette ressource interne d’orientation et de guidage qui donne aux individus un sens à leur vie et c’est de là également que découle la satisfaction de ce qu’ils sont (Bandura). Le dictionnaire de Francis Danvers, parce qu’il est orientant, participe du devenir. C’est aussi parce qu’il fournit des repères historiques, scientifiques et éthiques « guidants » qu’il donne vie et sens à la dynamique pérenne d’orientation.

Jean-Marie Quiesse