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Deux rapports pour une même cause : la réussite de tous les élèves

« On ne traite pas d’un petit sujet, souligne Jean-Paul Delahaye. La pauvreté concerne 1,2 million d’enfants qui, à cause de leur vécu quotidien précaire, ont des fragilités qui les empêchent d’apprendre sereinement. Mais on en parle beaucoup moins que du nombre de disciplines à enseigner dans les filières générales du lycée. » Voilà le cadre clairement posé, pour une double publication, celle donc du rapport de l’inspecteur général de l’Éducation nationale, intitulé « Grande pauvreté et réussite scolaire », et celle de l’avis du CESE qui fait des propositions pour « Une école de la réussite de tous ».

Quatre leviers ont été identifiés par Jean-Paul Delahaye pour combler les écarts de réussite, afin que tous les élèves acquièrent le socle. A commencer par la concentration des efforts et des moyens, aussi bien sur le plan social qu’éducatif. Il s’agit de répondre aux difficultés quotidiennes des enfants pauvres. Ainsi, l’inspecteur général pointe le montant des bourses de collège : 1,98 euro par jour de classe, ce qui ne représente même pas le prix de la cantine. L’accès aux soins est aussi problématique alors que manquent les médecins scolaires. Il défend aussi les dispositifs de l’Éducation nationale qui concentrent les moyens là où ils sont le plus nécessaires, comme les RASED, ou le « plus de maitres que de classe » en REP. Quant à la suppression du redoublement, elle permettra de dégager des moyens budgétaires qu’il faudra selon lui redonner aux écoles et aux collèges. Car si en France l’école primaire reçoit 15% de budget en moins par rapport à des pays à budget comparable, le différentiel est de15% de plus en lycée.

Mais concentrer les efforts ne suffira pas.

Et le deuxième levier est pédagogique. Jean-Paul Delahaye défend une École inclusive, c’est à dire qui Pour lui, le système éducatif doit s’organiser autrement pour faire du commun, et scolariser ensemble tous les enfants jusqu’à 16 ans. « Comment être crédibles sur le vivre-ensemble si l’on ne scolarise pas ensemble ? Il faut apprendre à se connaître pour qu’il y ait du commun possible. » Cela passe par « l’indispensable mixité sociale et scolaire » mais doit aussi concerner les principes et les organisations pédagogiques pour tous les élèves : pas question, en somme, de réserver les pédagogies novatrices aux élèves ou aux territoires en difficulté, hypothèse qui ne remet pas en cause la disqualification sociale des plus pauvres.

En matière de pédagogie, Marie-Aleth Grard, rapporteure de l’avis du CESE, affirme que « toutes les pédagogies ne se valent pas. Il y en a qui permettent une vraie réussite de tous », et elle cite en particulier la pédagogie de la coopération « qui doit être renforcée car elle permet à tous les enfants de se mettre en route, de développer l’estime de soi, une véritable envie d’apprendre et de comprendre ».

Jean-Paul Delahaye cite aussi la nécessité de faire évoluer l’évaluation et l’orientation. « Mais bien sûr, remarque-t-il, si on se satisfait d’un système qui trie et sélectionne, ne changeons rien, on a les notes et les moyennes ! »

Troisième levier : la formation et la gestion ressources humaines. Avec ce commentaire lapidaire et éloquent de l’inspecteur général : « Et bien sûr, la formation continue. »

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Quatrième levier, la coéducation ou « alliance éducative », à commencer par le travail avec les parents d’élèves. Marie-Aleth Grard comme Jean-Paul Delahaye rappellent que les familles pauvres ont des rapports difficiles avec École. Ils se rejoignent aussi pour étendre cette alliance aux associations et aux collectivités territoriales. Pour la rapporteure du CESE, qui est aussi vice-présidente d’ATD-Quart Monde, la place des parents importante, aussi bien dans des rencontres formelles que des moments informels. « Il faut une meilleure formation des enseignants sur le milieu où ils enseignent mais n’habitent pas forcément. Ils ont parfois du mal à comprendre la vie que mènent leurs élèves, nous recommandons des temps de formation avec les élus et les acteurs du quartier et bien sûr les parents d’élèves. »

A cela, elle ajoute la recommandation d’une gouvernance bienveillante, soutenante et formatrice de la part des chefs d’établissement et des inspecteurs : « Les enseignants ont besoin de soutien », assure-t-elle. Et Jean-Paul Delahaye de renchérir : « Il n’est pas anormal pour un enseignant d’être en difficulté face à celles de certains élèves, quand il n’a pas eu de formation, qu’elle soit initial ou continue. »

Marie-Aleth Grard concède qu’ « il n’est pas facile de travailler ensemble si on n’a pas appris à le faire mais c’est vraiment au bénéfice des enfants ». Et de saluer « le sens de l’innovation, sens de la recherche, l’envie de faire ensemble des enseignants [qui] permet la réussite de tous les élèves. »

Interrogé sur la réforme du collège voulue par la ministre de l’Education nationale, Jean-Paul Delahaye répond qu’elle s’inscrit dans le prolongement de la loi de 1975 qui a créé le collège unique. Le collège est le niveau d’enseignement le plus récent : l’école primaire date de la loi Guizot, en 1833, et le lycée du début du vingtième siècle. « Notre pays a hésité très longtemps pour cette « école moyenne » entre un primaire supérieur et un petit lycée. La loi Haby a tranché mais on garde encore les traces de cette hésitation, malgré le collège unique, qui reste à parachever. »

Et il s’autorise cette petite provocation en conclusion : « En 1992 déjà, un rapport avait été commandé sur ce thème à Philippe Joutard [sous le titre exact : « Grande pauvreté et réussite scolaire : changer de regard »]. Espérons qu’il ne sera pas nécessaire de commander un troisième rapport dans 23 ans pour constater les mêmes problèmes… »

L’avis du CESE a été adopté ce 12 mai par 129 voix pour, 4 contre et 5 abstentions.

A lire sur notre site :

La mission grande pauvreté
Entretien avec Jean-Paul Delahaye

Une école de la réussite de tous est possible !
Par Marie-Aleth Grard