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Invité pour témoigner dans un atelier sur la perception d’un enseignant des pédagogies des temps de loisirs face à celles du temps de classe, je rentre de ces deux journées plus certain que jamais de la nécessité d’un travail en commun avec les divers intervenants au service de l’éducation globale des enfants, les familles bien sûr, mais plus encore ceux qui encadrent, au jour le jour ou pendant les vacances, leurs apprentissages non scolaires. Plus certain que jamais, également, qu’il faut construire une formation en partie commune dans les Éspé et la prolonger en formation continue.

Premier conférencier, Philippe Perrenoud répondant à la question « Quelle éducation pour la vie au XXIe siècle ? » a rappelé en ouverture des travaux – salués par une intervention vidéo de Vincent Peillon – combien le système scolaire français, privilégiant une vision nationale plutôt que locale, était « loin de la vie » et proposé notamment, à propos des compétences, plutôt qu’une formulation dissimulée des  programmes, que soit développé un nombre restreint de compétences utiles à tous les jeunes, afin de leur donner les moyens (connaissances, habiletés) de construire au fil de leur vie toutes celles dont ils ont besoin, qu’elles soient donc plus liées aux pratiques sociales – pourquoi étudier, par exemple, la division cellulaire mais pas l’inflation – et aux situations qui donnent un vrai sens aux apprentissages scolaires et préparent à la vie plutôt qu’aux études longues.

Josiane Ricard, présidente de la Fédération nationale des Francas.

Josiane Ricard, présidente de la Fédération nationale des Francas.

De son côté, Roger Sue, à propos des « Projets éducatifs territoriaux, comme opportunité pour l’éducation et l’action éducative au XXIe siècle », insiste d’emblée sur la mutation actuelle du rapport à la connaissance en prenant Wikipédia comme symbole de l’intelligence collective, et la notion de réseau comme représentation nouvelle de l’accès au savoir. Avec lui, il s’agit de prendre conscience du passage de la notion de « stock » (les connaissances accumulées dans les livres) à celle de « flux » (l’échange des capabilités – Amartya Sen – originales et personnelles). Et encore, de constater la fin du rapport de verticalité (la pyramide traditionnelle des responsables en entreprise ou… dans le système éducatif) pour s’intéresser désormais en premier lieu au rapport d’horizontalité (les compétences de la personnalité qui peuvent renvoyer à « l’employabilité » managériale comme à la collaboration coopérative). De fait, le pouvoir formateur des associations, leur capacité à constituer des « porte-feuilles » de connaissances et compétences, en autorisant le partage et l’individualisation des savoirs, préfigurent un temps où le professeur lui-même deviendra un animateur au sens fort. Reste aux associations à se construire un statut nouveau en sachant collaborer pour faire de « l’éducation permanente » leur force et projet essentiels.

Travail collectif des acteurs

C’est dire si de tels apports ne manquent pas d’interroger fortement les conceptions aujourd’hui au pouvoir dans les instances dominantes de notre société.

Didier Jacquemain, délégué général des Francas.

Didier Jacquemain, délégué général des Francas.

Mais, ce que j’ai trouvé particulièrement passionnant durant ces journées, outre une riche exposition rendant compte de la réalité et de la diversité de projets éducatifs de territoires, initiés par les Francas, existant parfois depuis plusieurs années dans nombre de collectivités françaises, ce sont les échanges nombreux entre des partenaires réaffirmant leur volonté de rendre effective et maintenir concrètement les propositions de l’appel de Bobigny. Que ce soit lors des tables rondes où se retrouvaient des représentants de l’ANDEV (Association nationale des directeurs de l’éducation des villes), du RFVE (Réseau français des villes éducatrices), de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), ou dans les ateliers, chacun a insisté sur la complémentarité des approches, sur l’évidente nécessité d’un travail collectif des acteurs pour que le parcours éducatif d’un jeune soit en quelque sorte « institutionnalisé ».

Cette institutionnalisation apparait comme une condition nécessaire pour que le parcours éducatif puisse répondre à l’angoisse des parents face à la réussite scolaire aujourd’hui primordiale dans tout CV, à l’angoisse d’une école dont l’évolution reste trop liée au système d’évaluation normative initiale au lieu de préparer à une visée curriculaire de compétences à construire tout au long de la vie (VAE, par exemple), à l’angoisse des responsables de territoire enfin pour qui le travail en réseaux est indispensable. Comme aujourd’hui les différents acteurs, sous les mêmes mots, ne parlent pas nécessairement de la même chose, il semble urgent d’élaborer un référentiel de ce que serait un parcours réussi, ce qui suppose de résoudre aussi le problème de l’articulation entre le national et le local.

Un développement durable

On voit combien cette construction présume une forte et durable mobilisation, mais ces journées le prouvent, on ne part pas de rien. Nathalie Mons, en grand témoin, le rappelait en synthétisant les travaux des divers ateliers de réflexion : convergences, continuités, coopérations sont autant de mots-clés pour que le travail en commun permette à la refondation de l’école d’être autre chose qu’un espoir rapidement déçu.
J’ai retenu pour ma part cinq directions qui me semblent parfaitement correspondre à une vision partagée par les militants CRAP : la nécessaire mobilisation de tous les acteurs, l’affirmation que le « temps libre » est un contributeur indispensable aux apprentissages, l’indispensable participation réelle des enfants et adolescents aux décisions d’éducation les concernant, la nécessité d’une formation de tous les professionnels (un tronc commun dans les ESPÉ ?) et l’institutionnalisation d’une gouvernance mobilisatrice. Ce qui fait encore beaucoup de pain sur la planche, mais le millénaire est encore jeune !

De gauche à droite : Anne-Sophie Benoît (présidente de l'Andev), Sylvie Fromentelle (vice-présidente de la FCPE), Marianne de Brunhoff (ministère de l'Éducation nationale), Didier Jacquemain (délégué général des Francas), Paul Bron (membre du RFVE), Laurence Postic (journaliste).

De gauche à droite : Anne-Sophie Benoît (présidente de l’Andev), Sylvie Fromentelle (vice-présidente de la FCPE), Marianne de Brunhoff (ministère de l’Éducation nationale), Didier Jacquemain (délégué général des Francas), Paul Bron (membre du RFVE), Laurence Postic (journaliste).

Évidemment, très peu d’enseignants non universitaires, pouvaient être présents à Brest en ce début de novembre, mais ils auraient constaté combien leur travail, loin des crispations parfois ressenties sur le terrain, était pris en compte et apprécié.
De telles journées, revigorantes, apportent la confirmation pour des militants pédagogiques enseignants de devoir se défaire d’une vision trop strictement orientée « scolaire » et « éduc. Nat. », de se mobiliser activement – car il s’agit bien d’une lutte – contre les forces dominantes afin de construire au profit des enfants une véritable éducation ouverte et émancipatrice.

Guy Lavrilleux