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Des tablettes d’argile aux pages web

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Notre projet a consisté à réaliser un site sous forme d’un récit à choix multiples. Nous avons voulu privilégier une entrée dans les apprentissages qui n’était pas du « déjà vu » par les élèves : un outil différent pour écrire et une forme narrative non linéaire. L’idée d’être lu par d’autres, de s’ouvrir sur l’extérieur pouvait susciter une certaine motivation et donner du sens aux activités scolaires. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la documentaliste du collège et une assistante pédagogique. Ce travail d’équipe a été essentiel pour la réalisation et la réussite du projet. Pour évaluer la pertinence de nos choix, nous avons mis en place un questionnaire sur les représentations des élèves sur l’acte d’écrire et sur l’utilisation de l’ordinateur en début et en fin d’année.
Le projet comportait deux volets. Le premier concernait des séquences en littérature et écriture. Le deuxième s’axait autour de séquences de manipulation et de création en informatique.
Nous avons programmé le projet sur trois périodes :
– une période de mise en place et de familiarisation avec les différents outils,
– une période de réinvestissements et de consolidation,
– une période d’aboutissement du projet.
Les séquences se sont déroulées au CDI et en salle informatique à raison de deux heures par semaine (sur les cinq heures de français). La classe était scindée en deux groupes encadrés par deux adultes : un au CDI et un autre en salle informatique. Ces groupes alternaient au bout de quarante-cinq minutes. Les adultes aidaient, répondaient aux questions ou précisaient les consignes. Chaque séance débutait en classe entière par un rappel de ce qui avait été fait, de ce qu’il fallait faire. Elle se terminait par une mise en commun et un bilan suivis d’un temps d’écriture individuel sur un carnet de bord.

Lecture et appropriation des outils

Lors de la première période, d’octobre à janvier, nous avons étudié en cours L’épopée de Gilgamesh[[Jacques Cassabois, L’épopée de Gilgamesh, Livre de poche, 2009.]], un des textes fondateurs au programme. Des thèmes tels que l’oppression, l’amitié, la tolérance, la perte, la peur de la mort ont été abordés sous forme de débats interprétatifs très animés. Les élèves se sont passionnés pour les aventures de ce roi et la découverte de la civilisation mésopotamienne. Finalement, ce récit riche en émotions et en culture a servi de fil conducteur au projet. Une visite au musée des beaux-arts de Lyon, organisé par un professeur d’histoire-géographie, a clos cette séquence sur la Mésopotamie. Pendant les séances au CDI, les élèves travaillaient sur des livres jeux[[Patrick Burston, L’ile aux 100 squelettes, etc., Claude Delafosse, La peur du Louvre : une bande dessinée dont tu es le héros, L’école des loisirs.]] et s’appropriaient les structures en arborescence. Par deux ou trois, ils lisaient puis schématisaient les chemins qu’ils avaient choisis dans les livres. Ils présentaient leur travail au moment des bilans. Ces schémas permettaient de confronter les différents chemins suivis pour un même ouvrage. Le côté ludique des livres jeux les a mobilisés et les a amenés à s’approprier assez facilement ce genre littéraire, tant en lecture qu’en écriture.
Dans le même temps, en salle informatique, les élèves découvraient un logiciel de diaporama et se familiarisaient avec son interface, en attendant l’installation du logiciel de création de site. Ils ont appris à créer des pages en insérant sons, images, effets spéciaux, liens, et à soigner la mise en page. Pour éviter les manipulations dans le vide, les élèves devaient individuellement écrire un petit texte lié à un épisode précis de l’épopée de Gilgamesh et son ami Enkidu. Ces sujets imposés, mais connus et appréciés des élèves évitaient à la fois une approche purement technique du logiciel et le syndrome de « l’écran » blanc. La dimension technique des diaporamas a captivé les élèves, au point de leur faire oublier l’heure de la fin des séances.

Réalisation d’un récit interactif

Durant la deuxième période, de février à mai, les élèves étaient à l’aise dans l’utilisation de l’outil informatique et manipulaient aisément la structure en arborescence. La classe a donc pu passer au stade de la conception du projet. Les élèves ont imaginé et construit un récit à choix multiples : une énigme policière à résoudre en surmontant des obstacles sous forme de jeux et d’énigmes. La trame générale, l’introduction, certaines pages et l’arborescence ont été élaborées et écrites collectivement sur affiches ou directement sur ordinateur avec un vidéoprojecteur. La visite au musée a servi de base à la conception de la trame : La classe de 6e se rend au Musée Saint-Pierre. Les élèves constatent le vol d’un « clou de fondation ». Ils décident de mener l’enquête et de résoudre ce mystère.
Pour rendre le récit interactif, les élèves, en groupes de deux ou trois, ont donc créé des jeux ou des énigmes ayant un lien avec la Mésopotamie, en s’inspirant de modèles mis à leur disposition[[Yak Rivais, Jeux d’écriture et de langage (T1, T2), Conjugaison impertinente : cycle 3 6e/5e – Retz.
Audrey Candeloro, Michel Criton, Les mensonges de Pinollio : énigmes mathématiques, POLE.]]. Puis ils ont mis en écran les textes et énigmes réalisés, à l’aide de logiciels de dessin et de création de pages web, en faisant preuve d’un fort investissement. En fin de séance, nous avions un temps de mise en cohérence et de correction des pages.
Lors de la dernière période, en mai et juin, les élèves ont finalisé le récit et affiné les activités avec un souci d’amélioration et d’harmonisation entre les pages. Au final, le récit comporte vingt pages, dont sept proposant des énigmes ou des jeux. Nous n’avons pas pu mettre en ligne le résultat pour des raisons de droit d’auteur, mais nous l’avons gravé sur des CD, à la grande fierté des élèves.

Une autre ambiance de travail !

Nous avons constaté une nette et progressive évolution durant l’année. Un climat de confiance et de respect réciproque s’est instauré et cette ambiance s’est étendue aux autres heures de français. Sur le plan de la gestion de la classe, le projet a bien été fédérateur. Ce n’est pas devenu une classe calme, mais les élèves ont appris non seulement à construire et à réaliser un projet ensemble, mais aussi à s’écouter et à respecter la parole de l’autre. Toutefois l’équipe pédagogique ne s’est jamais départie d’une grande vigilance.
Le rapport des élèves à l’écrit s’est modifié. La comparaison entre les questionnaires de début et de fin d’année est très révélatrice. Voici un des exemples les plus significatifs[[Questionnaire reproduit sans modification.]] :

Une élève en décrochage scolaire en septembre
22/09/09 11/06/10
Pour moi écrire c’est important d’écrire sa mede a refflechire a me detendre et en plus on apprendr
Pourquoi écrit-on ? On écrit pour kel que fois le plaisire ou pour apprendre des chose pour que il reste une trace
Quand écrit-on ? sur cahier, livre, tableau, et Ardoise… ect sur cahier, livre, tableau, et Ardoise… ect
On peut écrire sur tout
Avec quoi écrit-on ? On écrit avec des stylos, des marker (etc)…
Où écrit-on ? Ou on veut quand on veut tant quon peut
Qu’est-ce qu’on peut écrire ? On peut ecrir toute sorte de truk n’importe kô je sais pas tous se qui nous passe par la teté
J’aime écrire


Je n‘aime pas écrire
Oui, parce je refflechi, je mentraîne, je me détent, en écrivant, l’enleve tous se que je resen la joi la colére

En septembre, cette élève n’avait presque rien écrit, sauf sur le caractère scolaire du support, dimension la plus tangible. En juin, l’acte d’écrire lui apparait comme une aide à la réflexion et à l’apprentissage, mais aussi une détente, un moyen d’extérioriser ses sentiments (peut-être, par ce biais, à mieux les canaliser). Cette évolution se retrouve dans la majorité des dix-sept questionnaires du mois de juin. Il en ressort que l’acte d’écrire correspond à une demande institutionnelle, à une aide à la conceptualisation et à un intérêt personnel.
Quant à l’outil informatique, les élèves ont développé leurs compétences et utilisent le vocabulaire technique (insérer, modifier, mise en page…) à bon escient. Leurs représentations ont évolué : l’ordinateur n’est plus seulement un outil de communication sur les réseaux sociaux, mais aussi un outil d’apprentissage. La majorité des élèves a fait preuve de plus d’autonomie qu’en classe. Le travail sur écran (support vertical) a facilité la lisibilité, le partage de l’espace et la collaboration entre les élèves du même groupe. Les élèves ont également tous fait preuve de dynamisme et d’inventivité pour créer « leur page ». On n’a cependant pas constaté de transfert vers les activités plus scolaires.

La forme et le sens…

Au niveau linguistique, le constat est plus beaucoup plus mitigé : il n’y a pas eu de véritable apprentissage ni d’amélioration au plan de la correction de la langue. Peut-être parce que nous en sommes trop restées au niveau global du projet et de l’histoire. Nous n’avons pas systématisé les activités langagières formelles. Notre préoccupation première était de souder cette classe autour du projet et de mener celui-ci à bien. Au plan langagier, nos préoccupations tournaient autour de la cohérence du récit et de la pertinence de chaque activité. Ne fallait-il pas passer d’abord par cette longue étape de réconciliation avec les apprentissages scolaires et avec le travail collectif avant d’entrer plus avant dans le détail de la grammaire et de l’orthographe ?
La conclusion peut être laissée à une des élèves : « Puis nous avons parlé des choses ensemble pendant des heures et des heures… Puis après tout le monde sur l’ordinateur a fait une page… C’est devenu une vraie histoire… C’était chouette, car on choisissait la couleur de fond de l’image, de l’écriture. Enfin, on se débrouillait un peu seuls. »

Lucia Mirabello
Professeure supplémentaire RAR, collège Schoelcher Lyon


Annexe : exemples de pages d’activités

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