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Des fondamentaux de la lecture avant le CP

On insiste habituellement, et à juste titre, sur un savoir-faire « fondamental » pour apprendre à lire : la conscience phonique, c’est-à-dire l’habileté à repérer et manipuler les sons du langage. On en fait même depuis quelques années un préalable – un prérequis – à l’apprentissage de la langue écrite et de la lecture. Mais on oublie souvent, trop souvent, que d’autres acquis et d’autres savoir-faire sont tout aussi « fondamentaux » pour l’acquisition de la lecture, avant même l’entrée au CP.
Dans le même domaine, celui de la conscience linguistique ou des capacités métalinguistiques, d’autres habiletés sont de très bons facilitateurs de l’accès au savoir lire. C’est le cas de l’habileté à réussir des « devinettes » comme : « c’est un animal. Son nom commence par “é”, ça finit par “fan” » ou « ça commence par “pa”, ça finit par “illon” ». C’est aussi le cas de l’habileté à « trouver le mot qui manque » dans des énoncés oraux du genre : « le coq chante (…) la cour, il fait un grand bruit ».
Le développement de la conscience phonique va de pair avec celui de la conceptualisation, c’est-à-dire de la compréhension de notre système d’écriture. L’habileté à jouer avec les sons du langage évolue d’autant mieux que, vers cinq ou six ans, l’enfant a la possibilité de « penser (sur) l’écrit », de réfléchir sur le code écrit, d’interroger (ou de s’interroger) à propos du fonctionnement de « la chose écrite ». Plus l’enfant pré lecteur exerce son activité réflexive sur le code écrit (comment ça s’écrit ? – par exemple mouton, girafe -, pourquoi c’est pareil ? – par exemple la fin de lundi, mardi, mercredi, etc. -, comment on fait ? – par exemple pour écrire Mathieu ou pour savoir que c’est écrit Mathieu -, pourquoi train a moins de lettres que bicyclette ?) et plus il progresse en conscience phonique et dans la découverte du principe alphabétique de notre écriture.
Le « vouloir relire », et plus précisément l’élaboration d’un projet personnel de lecteur, apparait comme l’un des fondamentaux, l’une des conditions de la réussite en lecture au CP. Ce projet de lecteur est en place lorsque l’enfant est capable de donner au moins cinq raisons culturelles ou fonctionnelles d’apprendre à lire : « pour lire des livres d’aventures ou qui raconte des histoires (Peter pan, Boucle d’or) ; pour lire des livres sur les dinosaures ; pour faire de l’histoire ou de la géographie, il faut savoir lire ; pour lire les papiers des médecins ou des médicaments ; pour écrire à un ami, etc. »

Enfin, certains comportements de pré-lecteurs ou de futurs lecteurs–écriveurs sont également des fondamentaux, c’est-à-dire des bases, des pivots nécessaires à l’acquisition du savoir-lire (et écrire). Avant de savoir lire pour de bon, l’enfant prend d’abord de bonnes habitudes, ou les adultes lui donnent de bonnes habitudes en lecture écriture. Il prend l’habitude – ou on lui donne d’habitude – de lire avec un adulte, de se se faire lire des livres et des histoires par un adulte, de lire (des livres et des histoires) par la médiation de l’adulte. Il prend l’habitude d’écrire des petites histoires ou des petits messages en pratiquant la dictée à l’adulte. Il prend l’habitude de « jouer à lire » et de « jouer à écrire » grâce à la relecture et à la réécriture de l’adulte.
L’enfant commence à devenir relecteur (et écriveur) en installant des comportements qui précèdent et annoncent le savoir-faire (les compétences) en lecture – écriture du CP.
Ces quatre fondamentaux devraient constituer le cœur de la pédagogie de l’écrit – de l’éducation à l’écrit – en grande section… Le cœur de l’activité de l’enfant apprenti-lecteur qui se prépare à entrer au CP.

Gérard Chauveau, chercheur à l’INRP.