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Des enfants et des hommes – Littérature et pédagogie. La promesse de grandir

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On est plus d’une fois consterné quand on lit dans de bien mauvais livres les procès en sorcellerie qui sont intentés à Philippe Meirieu [[L’horreur pédagogique, dit l’un de nos pamphlétaires. Comment désormais ne pas avoir en horreur l’usage stéréotypé de cette expression dont Viviane Forrester a été la première à faire un fonds de commerce]] : n’est-il pas accusé de détruire la culture, brader les savoirs en introduisant dans l’école une  » pensée unique  » visant à normaliser les comportements et à soumettre ce qui reste de cette noble institution républicaine à la  » barbarie douce  » ? L’insulte supplée à l’analyse bien souvent, telle l’utilisation répétée du qualificatif  » gourou  » à côté de phrases tirées de leur contexte qui se substituent à une lecture sérieuse.

Or, quand on lit le dernier ouvrage publié par notre ami Philippe, que trouve-t-on ? Une apologie de la littérature, un plaidoyer pour la présence dans les centres de formation des enseignants de ces pédagogues révolutionnaires que sont, n’est-ce pas, Chrestien de Troyes, Giraudoux ou Montherlant. Et de toujours sévères mises en garde contre les tentations de manipulation de l’individu, contre toutes les formes de démagogie qui pointent dès que l’adulte renonce à jouer pleinement son rôle.

Suprême ruse manipulatrice, bien sûr, pour mieux masquer l’emprise du  » pédagogisme  » et la démolition de l’école républicaine ? Mais laissons là nos penseurs paresseux à leurs lamentos pitoyables et dégustons, les amoureux de la littérature, mais aussi les autres, ce beau et intelligent ouvrage qui stimule, donne envie de lire ou relire les auteurs évoqués et nous ramène de façon subtile à nos problèmes quotidiens, d’éducateur, d’enseignant ou de parent.

De quoi s’agit-il ? Philippe Meirieu nous propose des lectures  » pédagogiques  » de dix textes classiques (certains sont à découvrir comme ceux de Kenzaburô Ôé ou Russel Banks, d’autres sont bien connus : Perceval, 1984, La Trêve), tout en annonçant d’autres études ultérieures. Dix lectures où il est question de  » grandir  » : la difficulté que cela représente pour l’enfant et pour celui qui l’accompagne dans cette aventure, quand par exemple il s’agit de  » grandir entre deux cultures  » (analyse de L’aventure ambiguë de Cheik Hamidou Kane) ou de se préserver de la folie de l’attachement excessif (Dites-nous comment survivre à notre folie). Philippe Meirieu nous fait parcourir le texte en mettant en scène parallèlement la réflexion pédagogique exposée dans d’autres ouvrages, et en premier lieu les siens, en cherchant des échos de cette réflexion (par exemple, la place du maître, les relations école/société, la nécessité de la pédagogie différenciée, le traitement de la violence, etc.), dans les attitudes, les comportements, les choix des personnages les plus divers, tel le Droguiste d’Intermezzo qui propose une voie plus féconde que le mysticisme rationaliste de l’Inspecteur ou la compassion du Contrôleur.

Dans son avant-propos, l’auteur justifie cette option de présenter ainsi quelques grands textes comme  » leçons de sagesse  » (ce qui pourrait surprendre en plein tumulte idéologico-pédagogique, mais justement, un peu de recul ne fait pas de mal) :  » quels outils, mieux que les uvres littéraires, peuvent-ils permettre de s’entraîner ainsi à explorer les chances de l’avènement de l’humain dans l’aventure pédagogique ? « . Il s’agit en fait surtout d' » éprouver, à travers un texte […] l’émotion étrange d’un éducateur aux prises avec un être dont il veut le  » bien  » et qu’il ne peut pourtant pas contrôler Retrouver à la lecture d’un ouvrage, l’inquiétude de ne pas être à la hauteur, la tentation du découragement qui s’instille et la violence du volontarisme qui affleure.  » Et de réclamer une présence accrue des uvres artistiques dans la formation pédagogique des enseignants (à partir d’une pratique déjà existante à l’université de Lyon 2).

Des objections ? Une part trop belle faite à la littérature, conformément à une tradition nationale qui fait qu’elle jouit d’une image de marque prestigieuse démesurée ? Est-on si sûr qu’un roman vaut bien des traités savants en sciences de l’éducation ? N’y a-t-il pas là exagération de  » lettré  » ? Il y aurait peut-être des débats à organiser sur ce thème et sur les dangers de sacralisation des Lettres
De plus, les littéraires pourraient se montrer réservés devant une approche réductrice des uvres et l’utilisation d’une méthode faisant peu de cas de la construction formelle du texte et de son inscription dans un contexte socioculturel, dans un genre, etc. Mais en même temps, quoi de plus  » piquant  » pour l’esprit que cette lecture où l’on retrouve parfois la finesse d’analyse d’un Roland Barthes ou d’un Jean-Pierre Richard, une lecture non exclusive des autres, où en fin de compte l’uvre retrouve sa véritable fonction : nous éveiller, dialoguer avec nous, nous parler de nous-mêmes, au-delà des  » intentions  » de l’auteur, mais aussi des jeux purement formels dans lesquels s’est enfermée quelque temps la critique littéraire ?
Et si on adaptait aussi cette démarche dans le travail avec les élèves, sur les contes de Grimm comme sur les pièces de Molière par exemple, et si la littérature étudiée en classe nous permettait un peu plus souvent de parler aussi avec nos élèves de l’école, de l’éducation, de  » grandir « , autant de questions qui les intéressent au premier chef, plus sans doute que la recherche des figures de rhétorique ou de champs lexicaux (utiles comme moyens, et à dose raisonnable).
On attend avec impatience les suites et on aura noté p. 18 l’appel au lecteur à proposer à son tour de semblables parcours dans des oeuvres.

Jean-Michel Zakhartchouk


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